Dernière mise à jour le 5 janvier 2015
Récit sur la base des archives britanniques et arabes, publié dans le Journal libanais Al Akhbar 29 Octobre 2014.
- version arabe : http://www.al-akhbar.com/node/218607
- version anglaise : http://english.al-akhbar.com/content/servant-british-empire-founding-ibn-saud%E2%80%99s-kingdom
- traduction madaniya.info
L’étrange supplique du sultan Abdel Aziz Al Saoud du Najd au plénipotentiaire anglais.
Abdel Aziz Al Saoud, Sultan du Najd, secoua sa tête devant le plénipotentiaire anglais en Irak, Percy Cooks, puis d’une voix tremblante se mit à le supplier:
…«Excellence, tu es mon père et ma mère. Jamais je n’oublierai ce dont je te suis redevable. C’est toi qui m’a fait. Tu m’as pris la main. Tu ‘as élevé (hissé là où je suis). Au premier signe, je suis prêt à renoncer sur le champ à la moitié de mon royaume. A Dieu ne plaise, à renoncer à la totalité de mon royaume si son excellence me l’ordonne».
Telle a été la réponse du Sultan Abdel Aziz aux remontrances de l’officier anglais lors de leur entretien, le 21 Novembre 1922, consacré à la délimitation des frontières entre le Sultanat du Najd, le Royaume d’Irak et le Sheikhdom (machyakha) du Koweït.
Le général Cooks avait décidé de détacher une parcelle du désert pour le rattacher à l’Irak, ignorant les demandes en ce sens d’Ibn Saoud. Lorsque ce dernier a voulu protester contre ce qu’il considérait comme une injustice à l’égard de son sultanat, il a eu droit à de sérieuses remontrances du représentant de la couronne britannique, contraignant le saoudien à le supplier et à implorer sa grâce.
Le procès verbal de cet entretien a été consigné dans des documents officiels établis par l’agent politique britannique à Bahreïn, le colonel Harold Richard Patrick Dickson (HRP Dickson). Un procès verbal qu’il a adressé à son ministère à Londres, le 26 novembre 1922.
Quarante ans plus tard, HRP Dickson a rédigé ses mémoires sur son séjour dans le Golfe en tant que représentant de la couronne britannique. Dans cet ouvrage intitulé «Le Koweït et ses voisins» (1956), il relate cet incident survenu au lieu dit «Al Akira», dont il a été témoin en tant qu’assistant et interprète de Percy Cooks.
Le traitement désinvolte de Sir Percy Cooks à l’encontre d’Abdel Aziz Al Saoud
Voici le récit de cet entretien selon le texte de ses mémoires :
«Au sixième jour des négociations à Al Akir, Sir Percy Cooks perdit patience. Il accusa Abdel Aziz de se comporter comme un enfant, d’adopter un comportement infantile en proposant des frontières sur des bases tribales entre l’Irak et le Najd. Sir Cooks ne maîtrisait pas la langue arabe. Je me suis chargé de la traduction. J’étais surpris que le Sultan du Najd soit admonesté de cette sorte par le plénipotentiaire de la couronne britannique qui avait traité son interlocuteur comme s’il s’agissait d’un élève outrecuidant.
…«Puis Sir Cooks avertit Ibn Saoud qu’il procédera lui-même, en personne, à la délimitation des frontières, sans tenir compte de la moindre objection. Abdel Aziz s’effondra alors et se mit à chercher à amadouer et à implorer son interlocuteur, affirmant que Sir Percy était tout à la fois son père et sa mère; que c’est lui qui l’avait créé; qui l’avait hissé à la position qu’il occupait désormais; qu’il était disposé à renoncer à la moitié de son royaume, à la totalité même, si Sir Percy le lui demandait …«A ce moment là, Cooks prit un crayon rouge et traça des lignes sur la carte de la Péninsule arabique délimitant les frontières du Golfe jusqu’à la Transjordanie (1).
L’ambassadeur Harold Dicks poursuit son récit en ces termes :
«Vers 9h du soir un surprenant entretien survient. Abdel Aziz demande à s’entretenir une nouvelle fois avec sir Percy Cooks. J’ accompagne ce dernier. Nous avons aperçu Abdel Aziz, debout, seul au milieu de sa tente, l’air perturbé, s’adressant à ses visiteurs d’une voix triste: Mon ami, vous m’avez privé de la moitié de mon Royaume. Il est préférable que vous le preniez dans sa totalité et que vous m’expédiez en exil. L’homme de robuste carrure est demeuré devant nous triste, avant de s’effondrer en pleurs (2).
Les relations entre Abdel Aziz Al Saoud et le pouvoir colonial britannique étaient empreintes de confusion et de supputations. De sorte que beaucoup de faits ont été pervertis par des contrevérités. Le récit officiel saoudien s’est, lui aussi, employé à marginaliser le rôle britannique dans la constitution du royaume, voire par moment à l’ignorer complètement, évitant soigneusement de l’évoquer.
Le récit de l’opposition saoudienne, en revanche, s’est appliqué à amplifier cette relation, à lui donner plus d’ampleur qu’elle n’en avait, allant jusqu’à dénoncer une conspiration entre les deux parties, l’imputant par moment aux prétendues origines juives de la famille royale saoudienne. L’ouvrage de Nasser As Said -(Histoire de la famille Al Saoud)- constitue à cet égard un parfait exemple d’un ouvrage de propagande.
Toutefois, les documents britanniques, notamment l’annexe historique de l’encyclopédie officielle «Guide du Golfe persique, d’Oman et du centre de la péninsule arabique» nous conduit vers une vision plus objective, rationnelle et juste sur la réalité du rôle britannique dans la création du Roi Abdel Aziz Al Saoud. Cette encyclopédie a été rédigé sous la supervision de l’orientaliste John Gordon Lorimer datant des deux premières décennies du XXme siècle pour le compte du gouvernement des Indes britanniques.
L’ostracisme anglais envers la famille Al Saoud
Les correspondances contenues dans ce guide concernent les échanges entre les diplomates britanniques dans la zone du Golfe et leurs supérieures hiérarchiques à New Delhi. Elles tendent à démentir la version selon laquelle le 3eme retour d’Al Saoud au pouvoir, au début du XXme siècle, relevait d’un plan britannique mûrement conçu.
En revanche, le «Guide du Golfe», frappé pendant 70 ans du sceau du «secret pour usage exclusif du travail officiel», nous révèle une série de correspondances datant de 1902, envoyées par Abdel Aziz Al Saoud, auparavant par son père Abdel Rahman, à l’agent britannique à Bahreïn et au résident britannique Bouchher (Iran).
Ces correspondances témoignent du souci de la famille Al Saoud de gagner la sympathie des britanniques, en leur faisant des offres de service. Aucune proposition saoudienne n’a retenu l’attention des agents britanniques dans la zone.
Tout au long de cette période, le résident britannique à Bouchher qui n’était autre que Percy Cooks, -qui avait à l’époque rang de commandant dans l’armée de la couronne-,n’a jamais répondu aux offres saoudiennes, ni chargé un de ses subordonnés dans les protectorats du Golfe de le faire.
Abdel Aziz pourtant proposait rien mois que de faire bénéficier Riyad du régime de la «Côte de la trêve» nouveau nom en vigueur se substituant à la «Côte des pirates», qui désignait auparavant les pétromonarchies modernes.
Abdel Aziz a surenchéri à ses offres antérieures proposant l’accréditation à Riyad d’un résident britannique, à l’instar des autres Sheikhdoms du Koweït, Bahreïn et Mascate, avec pouvoir d’influence sur la politique d’Abdel Aziz.
La famille Al Saoud a tiré de nombreuses leçons de son long séjour à Koweït, où elle avait été exilée, sus l’aile protectrice de Cheikh Moubarak Al Sabah. Elle en avait déduit que le siège d’un prince ne se stabilise pas dans les sables mouvants du désert que s’il bénéficie de la protection britannique, lui conférant un sceau de légitimité l’habilitant avec l’aide de la Couronne à repousser les assauts dont il est l’objet de la part de ses ennemis.
Abdel Aziz a été personnellement témoin, et vu de ses propres yeux, comment un bâtiment de guerre anglais «Persius» a repoussé une invasion du Koweït par les troupes d’Ibn Rachid. L’émir du Koweït, Cheikh Moubarak, avait été vaincu à la bataille d’«Al Sarif», en 1901, et le Koweït était à deux doigts de tomber dans les mains d’Ibn Rachid, n’était-ce l’intervention de la marine de guerre britannique.
Mais ce qui a échappé à l’attention d’Ibn Saoud est le fait que la protection de la famille As Sabah ne s’appliquait pas à lui en ce que le Koweït disposait du plus important port du Golfe, alors que Riyad n’intéressait en rien l’Angleterre du fait du positionnement géographique de Riyad. Le village qui deviendra au XXme siècle à la suite de la découverte du pétrole, la capitale du royaume saoudien, n’était alors qu’un village déshérité situé en plein cœur du désert que rien ne distinguait de ses semblables que la poussière et l’ignorance de sa population.
En concédant son protectorat à la famille al Moubarak, l’Angleterre lui déblayait ainsi la voie, à l’ombre de son artillerie de marine, à étendre ses frontières vers le nord, vers l’Irak. Ce pays, alors sous l’emprise ottomane, était le seul pays de la zone à ne pas disposer d’un débouché maritime. Le projet d’extension des frontières du Koweït vers l’Irak devait transformer le Golfe en un «lac anglais» dans ses deux rives persique et arabe.
Un credo que le koweïtien a martelé aux anglais, veillant pour sa pérennité à ne pas constituer un obstacle envers l’Irak. L’émirat désertique de la famille Al Saoud ne présentait aucune utilité dans la concrétisation de ce projet.
L’ostracisme anglais à l’envers les saoudiens avait atteint un degré tel que lorsque s’est propagée la nouvelle de la visite au Koweït en 1905 d’Abdel Rahman Al Saoud, le père du jeune gouverneur de Riyad, Abdel Aziz Al Saoud, des instructions ont aussitôt été adressées à l’agent anglais au Koweït , le capitaine Knox, d’éviter toute rencontre avec «l’Imam Saoudien». Il fut un temps où les anglais considéraient non grata tout contact avec un émir saoudien. Un acte indésirable.
Le régime des sheikhdoms du Golfe, -le gouvernement des cheikhs, l’ancêtre des pétromonarchies- sous protectorat britannique, et dont Abdel Aziz Al Saoud souhaitait en bénéficier, mérite d’être analysé pour comprendre l’ampleur de l’emprise du pouvoir colonial anglais et de la crainte révérencieuse qu’il exerçait à l’encontre de ses esclaves les cheikhs arabes.
Le vice roi des Indes Lord Carson porté sur les épaules de la famille régnante de Bahreïn
Les documents britanniques ont conservé de nombreux exemples: Ainsi le 26 novembre 1903, Bahreïn accueillait le vice roi des Indes, George Nathanaël Carson, qui atteignit les rives de ce petit archipel arabe à bord du «Harding», escorté de huit bâtiments de guerre de la Royal Navy, pour y rencontrer Cheikh Issa Ben Ali Ben Khalifa.
Manama était l’avant dernière étape de la tournée Carson dans le Golfe où il avait déjà fait escale à Mascate, Bandar Abbas et Koweït. Les minuscules ports du Golfe n’étaient pas de taille à accueillir les bâtiments à gros tonnage de la Royal Navy.
Les visiteurs se lançaient à bord d’embarcation pour se rendre à terre. A la vue des embarcations, les esclaves des cheikhs avançaient dans l’eau tirant des chevaux à hauteur d’homme jusqu’à parvenir aux embarcations pour transborder les visiteurs sur le dos des chevaux afin d’éviter que les anglais ne se souillent les chaussures des tas d’immondices et des monticules d’excréments qui flottaient sur l’eau jusqu’à joncher les rives du pays.
Quant à Lord Carson et les officiers supérieurs de son entourage, le traitement qui leur a été réservé était infiniment plus prestigieux. Du fait de la famille Al Khalifa. Issa, émir de Bahreïn, avait ordonné à ses enfants de porter sur leurs épaules les hommes blancs chamarrés pour leur éviter la souillure du contact au sol. Comme Lord Carson refusait que quiconque le porte. Les cheikhs de la famille Issa donnèrent alors l’ordre à leurs enfants de porter sur leurs épaules le trône en or que Lord Carson avait fait venir spécialement d’Inde. C’était, de la part de la famille dirigeante de Bahreïn, une façon de témoigner de leur gratitude en même temps que de leur allégeance et de leur loyauté à l’égard de la Grande Bretagne.
Merci pour la qualité et la richesse de l’information !