Esclave des Anglais: A propos de la création du Royaume d’Ibn Saoud 2/2

Esclave des Anglais: A propos de la création du Royaume d’Ibn Saoud 2/2 938 400 Jaafar Al Bakli

Dernière mise à jour le 7 janvier 2015

Récit sur la base des archives britanniques et arabes, publié dans le Journal libanais Al Akhbar 29 Octobre 2014.

La mauvaise réputation des Saoudiens … fanatiques, frustres, fauteurs de troubles.

Trois raisons expliquent la méfiance des Anglais à l’encontre de la famille Al Saoud, à leur apparition sur le devant de la scène du Najd au début du XX me siècle.

1 ère raison: la mauvaise réputation des saoudiens, glanée un siècle auparavant en ce qu’ils étaient perçus comme un groupement religieux fanatique, frustre. Des fauteurs de troubles du fait de leur tempérament sanguinaire et leurs appétits territoriaux, leur goût de l’annexion. Le leg wahhabite suscitait la suspicion en ce qu’il nourrissait des visées sur les Cheikhdoms sous protectorat britannique.

2eme raison: Donner satisfaction à la Turquie, à court terme, en ce que la sublime porte revendiquait un droit de souveraineté sur le Sandjak du Najd (District du Najd). Il n’était pas  alors dans l’intérêt de Londres de susciter la colère d’Istanbul en soutenant des saoudiens rebelles. La diplomatie anglaise prenait en considération le fait que les Ottomans contrôlaient le Détroit des dardanelles, une voie de passage importante vers la Russie.

3eme raison: L’hermétisme anglais vis à vis des offres de séduction saoudiennes provenait du fait que les Anglais doutait des chances de succès d’Abdel Aziz de reconquérir les terres de son père raflés par Ibn rachid, l’allié des Turcs, en raison de la disproportion des forces en faveur de l’adversaire du saoudien. Une opération qu’ils considéraient comme une «aventure».

Dans une lettre en date du 3 septembre 1904, l’agent anglais au Koweït faisait part au résident anglais à Bouchher de ses sérieux doutes quant à la possibilité pour Ibn Saoud de consolider sa position sans aide extérieure. Ce qui signerait sa chute prochaine. Ibn Saoud n’avait trouvé que Moubarak le koweitien pour l’aider à chaque fois qu’il rencontrait une difficulté. L’agent britannique précisait que Moubarak ravitaillait le saoudien, hebdomadairement, en armes, munitions et provisions (6).

A noter que le gouvernement des Indes britanniques menait une politique dans la région du Golfe arabe divergente de celle menée par Londres. Le gouvernement des Indes britanniques fermait l’oeil sur l’assistance du koweitien Moubarak au nouvel émir de Najd, Abdel Aziz Al Saoud en ce qu’il n’ignorait pas le fait que Moubarak caressait le projet de s’introniser «Seigneur du Najd» en activant, en sous main, Ibn Saoud. Moubarak s’est bercé d’illusions à propos d’Abel Aziz, considérant le saoudien comme un «pantin» qu’il pouvait manipuler à sa guise.

Dans une précédente lettre au résident britannique à Bouchher (Iran), datée du 24 juin 1904, le gouvernement des Indes britanniques levait l’embargo qui frappait les livraisons d’armes à Ibn Saoud, en guerre contre Ibn Rachid, soutenu par les autorités ottomanes (7).

Dans la foulée, le gouvernement des Indes a encouragé ouvertement le Koweït, et en sous main Ibn Saoud, à faire la gueguerre à Ibn Rachid, en conformité avec sa politique traditionnelle vis à vis des Sheikhdoms arabes, visant à constituer des micros leadership tribaux locaux se guerroyant entre eux, mais soumis à l’autorité de Londres, selon le principe diviser pour régner.

La divergence entre Londres et Delhi a subsisté jusqu’à la 1ère Guerre mondiale. Londres décida alors de se ranger aux vues de Delhi à la suite de l’entrée en guerre de la Turquie contre l’Angleterre. Londres comprit alors que le saoudien qui la courtisait depuis 12 ans méritait considération. Le Foreign office dépêcha un émissaire auprès d’Abdel Aziz pour négocier un accord le reconnaissant «Gouverneur du Najd, d’Al Hassa, du Qatif et de ses environs de même que les ports y relevant et débouchant sur le golfe persique». Le négociateur anglais n’était autre que l’ancien résident au Koweït, le capitaine William Shakespeare, unique diplomate britannique qui avait rencontré auparavant Abdel Aziz et qui avait une bonne connaissance du personnage.

L’accord s’engageait en outre à protéger la personne du gouverneur et son domaine. En contrepartie, Abdel Aziz s’engageait, de son côté, de ne contracter aucun accord dans le domaine de la diplomatie ou de l’économie, sans en référer au préalable à Londres et  se conformer à son avis, sans réserve (8).

Cet accord visait à obtenir d’Ibn Saoud de contrarier les menées des ennemis des anglais dans la zone, à savoir Ibn Rachid et son protecteur, la Turquie, en transformant les forces saoudiennes en chausse trappe à travers laquelle les Anglais combattront les troupes turques dans le sud de l’Irak; une opération dilatoire visant à gagner du temps et permettre aux renforts anglais de parvenir d’Inde vers le Moyen orient.

La première guerre Mondiale: premier cas d’instrumentalisation politique de la religion musulmane.

Les Anglais avaient une requête spéciale. Ils souhaitaient que les dignitaires wahhabites émettent une fatwa proscrivant aux soldats arabes de servir dans les rangs de l’armée turque, les invitant à déserter. Les soldats arabes constituaient le gros des troupes ottomanes en Irak et en Syrie. Le mufti saoudien a déniché un prétexte pour émettre une telle fatwa en ce que l’Empire ottoman s’était allié aux impies. Un cas qui répondait pleinement aux prescriptions des textes religieux: «Oh vous qui croyez n’accorder pas la préférence aux juifs et aux chrétiens. Ceux d’entre vous qui leur concède cette reconnaissance devient identique à eux».

Abdel Aziz, chevalier de l’ordre de l’empire britannique avec le titre de «Sir Abdel Aziz ibn Saoud».

Cette fatwa a constitué la contribution saoudienne  la propagande de l’Angleterre croyante. Sur la base de cette assistance islamique, Sir Percy Zaccharias Cooks (aux origines juives) a décerné, au nom du gouvernement britannique, à Abdel Aziz le grade de chevalier de l’ordre de l’empire britannique, lui donnant droit au titre de «Sir Abdel Aziz Ibn Saoud».

Les documents britanniques y font effectivement mention mais Abdel Aziz n’a jamais fait usage de ce titre. Il a porté la décoration un jour pour une prise de photo officielle de la part des anglais, puis a déposé la décoration dans un endroit et ne l’a plus jamais porté.

L’Angleterre était déterminée à instrumentaliser Abdel Aziz et ses hommes pour son compte, simultanément avec les démarches du plénipotentiaire anglais au Caire, Sir Henry Mac Mahon (Juillet 1915-Janvier 1916) d’activer le groupe hachémite sous l’autorité du Chérif de La Mecque, Hussein Ben Ali.

Le pari sur Abdel Aziz a rapidement tourné au désastre avec les deux défaites humiliantes qu’il a subies, à six mois d’intervalles, contre ses adversaires: défaite face à la tribu As Shammar à la bataille de Jarrab, le 17 janvier 1915, suivie d’une 2eme défaite contre les tribus Ajmane à la bataille de Kenzane, où Abdel Aziz a été blessé et son frère cadet Saad, tué.

Ibn Saoud est apparu comme un coq déplumé vivant les pires heures de son existence. Il n’était plus possible de compter sur lui, même pour les affaires locales. Que serait-ce alors pour les affaires internationales?

La tribu Ajmane (nord du Najd) s’est rebellé contre son autorité et la tribu Al-Murra, au sud. La région d’Al Hassa s’est totalement soustraite à son autorité. Ne subsistait que les deux régions  d’Al Houfouf et Al Qatif. Son pouvoir naissant se disloquait.

Mais l’Angleterre a honoré ses engagements pour la plus grande chance d’Abdel Aziz; engagement souscrit par l’accord de Darine, à Al Qatif, le 26 novembre 1915. Londres fournit alors au saoudien:

  • 300 fusils turcs, et 10.000 roupies en 1915.
  • 1.000 fusils complémentaires et 200.000 munitions et 20.000 livres sterling en 2016

Une somme qui a été multipliée pour atteindre 60.000 livres sterling au début de la décennie 1920.

Sans le ravitaillement abondant des anglais, le Roi des sables n’aurait jamais pu se rétablir et tenir sur ses jambes face à ses adversaires. Il n’aurait jamais pu soumettre Ajmane ou restaurer son pouvoir sur Al Hasssa ou la région orientale de la péninsule arabique.

L’Histoire du Moyen-orient au XX me siècle en aurait été dramatiquement modifiée et écrite ans la moindre mention du Royaume Al Saoud.

Pendant trente ans, depuis l’accord de Darine, en 1915, entre Percy Cooks et Ibn Saoud, jusqu’en 1945, date de la signature du «Quincy agreement», -l’accord signé à bord du croiseur Quincy entre le président américain Franklin Roosevelt, Abdel Aziz a vécu cette période en esclave obéissant des Anglais.

Le spectacle décrit par l’ambassadeur Harold Dickson à proximité du port d’Al Akir, sur la rive du golfe arabe ne parait pas si étrange que cela lorsqu’Abdel Aziz Al Saoud, Sultan du Najd, secoua sa tête devant le plénipotentiaire anglais en Irak, Percy Cooks, puis d’une voix tremblante se mit à le supplier:

…«Excellence, tu es mon père et ma mère. Jamais je n’oublierai ce dont je te suis redevable. C’est toi qui m’a fait. Tu  m’as pris la main. Tu m’as élevé (hissé là où je suis). Au premier signe, je suis prêt à renoncer sur le champ à la moitié de mon royaume. A Dieu ne plaise, à renoncer à la totalité de mon royaume si son excellence me l’ordonne».

Références :
  1. Harold Dickson, le Koweït et ses voisins, version arabe, page 281
  2. Ibidem, page 282
  3. Deux traductions en arabe de l’encyclopédie «Guide du Golfe persique» ont été édités, le premier au Qatar, le second au Sultanat d’Oman depuis que Londres a déclassifié ces documents en1970 et autorisé leur publication. Le titre officiel de ce document dans sa version anglaise est le suivant: «Gazetteer of the Persian Gulf, Oman, and central arabia».
  4. John Gordon Lorimer: Guide Golfe persique- partie historique, page 1721
  5. Lord Lorimer, in Guide du Golfe persique. Documents additifs sur la visite du Vice roi des Indes britanniques Lord Carson aux sheikhdoms arabes dans la dernière semaine de novembre 1903. L’écrivain britannique Robert Lacey a fourni des détails amusants sur cette visite historique dans son ouvrage: «The Kingdom, Arabia and the house of Saud».
  6. Khaled Mohamad Saadoune: Les relations entre Najd et le Koweït (1319-1341 de l’hégire) 1902-1922 de l’ère chrétienne.
  7. Lorimer: Guide du Golfe persique – partie historique pages 3370-3776.
  8. Alexei  Vassiliev: The history of Saudi Arabia, page 234

Jaafar Al Bakli

Universitaire tunisien, chercheur sur les questions de l’Islam, spécialiste de l’histoire politique des pays arabes, notamment les pays du Golfe.

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