Patrice Lumumba

L'Afrique en procès d’elle-même

L'Afrique en procès d’elle-même 938 400 Koro Traoré

Dernière mise à jour le 1 septembre 2014

Préface

Le sens de la critique mais aussi de l’autocritique est, indéniablement, la qualité que nous nous devons de cultiver, aujourd’hui, en Afrique, pour mieux contrer les obstacles internes et externes à un développement véritablement respectueux de notre droit à l’autodétermination et à disposer de nos richesses.

Koro Traoré, qui, aimablement, m’a confié le soin de préfacer son livre, a retenu un titre « L’Afrique en procès d’elle-même ». Au vu de ce titre, je me suis demandée, avant de m’imprégner du contenu qu’il recouvre, si je suis la personne la mieux indiquée pour l’introduire, moi qui ai fait le choix de démontrer que l’Afrique, le berceau de l’humanité, est telle qu’elle est, parce que le monde est globalement malade d’un modèle de développement qui n’a cure des êtres humains ni de l’environnement.

D’aucuns me reprochent de dédouaner les élites africaines. Mais Koro Traoré a compris que, ce ne sont pas les dirigeants africains que je défends mais notre continent pillé, meurtri et humilié. Je souffre comme lui de l’image ternie de l’Afrique par, une trop longue liste de Chefs d’Etat qui disposent des biens publics à leur guise et contribuent à affamer leurs peuples.

La question centrale est de savoir si leur responsabilité est première et si la bonne organisation des élections et la bonne gouvernance suffisent à y remédier sans changement de paradigme.

A la lumière des résultats économiques, sociaux et politiques des deux dernières décennies de démocratisation du Mali, je ne crois pas qu’il suffit de bien choisir nos gouvernants et de bien appliquer les instructions des dominants pour que tout aille bien dans le meilleur des mondes.

Combien de dirigeants africains légitimes, parce que investis à travers les urnes, de la confiance de leurs concitoyens, parviennent à défendre les intérêts de ces derniers ? Référence est faite par Koro Traoré aux intérêts français qui en Afrique justifient les incohérences et les inconséquences de la politique africaine de l’Hexagone, à peine abordée par les candidats à la course à l’Elysée.

Qui peut reprocher ce mutisme à l’ancienne puissance coloniale lorsqu’au Sénégal comme au Mali, le débat électoral exclut l’examen critique du système néolibéral ?

Mais quel est l’avenir politique du dirigeant ou du parti politique qui se met à dos les Etats-Unis d’Amérique, l’Union Européenne, le G8, le Fonds Monétaire International et la Banque mondiale, en rendant compte des conséquences sociales ingérables et explosives de ce système dans nos pays ?

Retour sur soi

L’indépendance des pays africains dans la décennie 1960 avait été saluée comme la fin d’une longue nuit d’oppression, fondatrice d’un comportement d’exemplarité, la sanction de l’échec du système des valeurs occidentales et de l’humanisme blanc.

Au regard de sa propre histoire, le continent ayant fait l’objet de la plus forte dépossession avec l’Amérique latine et l’Océanie, l’Afrique se devait de forger ses propres repères, faire prévaloir son authenticité et sa spécificité, de s’immuniser des dérives mortifères, en guise d’antidote à cinq siècles d’esclavage, de traite négrière, d’exploitation.

Ce texte ne se propose pas de faire le procès du colonialisme, un exercice fastidieux au regard de la considérable production en ce domaine, mais le procès de l’Afrique par elle-même.

Les repentances répétitives sont de peu de valeurs face à une thérapie qui fasse œuvre de prophylaxie sociale. Les blessures de l’Afrique doivent être pansées par elle-même. Le constat de ses troubles de comportement par ses propres fils, de même que ses remugles.

Quel interminable cauchemar. 79 Coups d’états en Afrique entre 1960 à 1990, les trente premières années de son indépendance, 79 coups de force au cours desquels 82 dirigeants ont été tués ou renversés, selon le recensement établi par Antoine Glaser et Stephen Smith dans leur ouvrage « Comment la France a perdu l’Afrique » Editions Calmann-Lévy 2005.

Des dirigeants caricaturaux ancrant dans l’imaginaire du Monde les pires poncifs sur les « Nègres » : Un caporal de police, John Gideon Okello, autopropulsé Maréchal de son pays, sabrant au passage près de 20.000 arabes de son royaume du Zanzibar avant de se faire absorber par le Tanganyika pour constituer la Tanzanie ; un ancien sergent de l’armée britannique, Idi Amine Dada, autoproclamé Maréchal de l’Ouganda, avant de sombrer dans le ridicule de ses frasques ; un sous-officier de l’armée française, Jean Bedel Bokassa, s’intronisant Empereur dans une cérémonie aux fastes désuètement coûteux ; un autre sergent, Joseph Désiré Mobutu, sous-traitant de la CIA, fossoyeur de Patrice Lumumba, amassant une fortune de près de 40 milliards de dollars, équivalente à la dette publique de son pays, la République Démocratique du Congo, interdit de séjour, en fin de vie, suprême infamie, en France, par une classe politique, qu’il a nourrie pendant ses 40 ans de règne.

Un « indic patenté » Charles Taylor, espionnant ses pairs africains pour le compte des services américains, instrumentalisant des enfants combattants pour le pillage des diamants de son sous-sol ; un présumé « sage de l’Afrique », ancien compagnon de routes des communistes, entretenant à grand frais ses anciens colonisateurs, ruinant son pays dans de pharaoniques projets, édifiant sur place la copie conforme de la basilique Saint Pierre de Rome, le siège du Souverain Pontife, plutôt que de valoriser l’architecture africaine dans son génie créateur ; le lieutenant Moussa Traoré, écumant d’ambition au point de déboulonner de sa haute stature morale le père de l’indépendance malienne, Modibo Keita.

Un ancien économiste marxisant, le sénégalais Abdoulaye Wade, transformé en chantre de l’ultra libéralisme prédateur ; un président off shore, Paul Biya, gouvernant son pays à distance, neuf mois par an, préférant à la chaleur de son Cameroun natal, le froid glacial des cimes enneigés de la Suisse, des dynasties républicaines maintenues au forceps par la France ; au Gabon, où Ali Bongo succède à Omar, malgré le verdict des urnes, au Congo Kinshasa, où Joseph Kabila succède à Laurent, sans autre forme de procès.

Une foire de cocagne : des châteaux en Espagne, des parcs de limousines rutilantes en France. Une foire d’empoigne : des guerres interethniques et des assassinats intertribaux. Dix huit (18) coups d’état en 30 ans sur fond d’évaporation de recettes, de fonds vautour et de profond mépris du peuple.

Entrer dans l’Histoire, selon le schéma français ? Trop peu pour l’Afrique qui mérite mieux et plus. Quelle abomination et quelle honte à l’Afrique de nourrir ses anciens bourreaux !!!

Cinq siècles d’esclavage pour un tel résultat. Pour continuer à entretenir à grands frais l’un de ses colonisateurs les plus implacables, la France, l’un de ses tortionnaires les plus effrontés, Jean Marie Le Pen. Sans la moindre pudeur pour les victimes de la traité négrière, de l’esclavage, des zoos ethnologiques… les bougnoules, les dogues noirs de la République ? Gabon, Congo, Côte d’Ivoire, Sénégal, Guinée équatoriale. Drôle de riposte que de cracher au bassinet lorsqu’on vous crache sur la gueule. Qu’il est loin le temps béni des Maï Maï du Kenya. À vomir ces rois fainéants, dictateurs de pacotille de pays de cocagne.
La honte !!! Vénalité française et corruption africaine, combinaison corrosive, dégradante pour le donateur, avilissante pour le bénéficiaire. Quatre cents milliards de dollars (400 milliards) évaporés en 35 ans du continent africain vers des lieux paradisiaques, de 1970 à 2005, en superposition aux 50 milliards de dollars au titre des intérêts de la dette, des Djembés et des mallettes, selon les estimations de la CNUCED (1).
Jamais la Françafrique, le plus extraordinaire pacte de corruption des élites françaises et africaines à l’échelle continentale, n’a autant mérité son nom de « France à fric », une structure ad hoc pour pomper le fric par la vampirisation des Africains pour la satisfaction de la veulerie française. Aberrant et Odieux.
Qu’attendent donc les Africains pour dégager leurs dirigeants fantoches, pourris parmi les plus pourris. Pas plus difficiles à dégommer que Moubarak et Ben Ali. Surtout pas à l’aide de l’Otan, la coalition de leurs anciens bourreaux, mais à la sueur de leur front, avec les larmes des patriotes et leur sang, pour sceller définitivement la reconquête de la dignité de l’Afrique.

Strate parasitaire et obséquieuse. Ventouses et vampires plus vrais que nature, plus conformes à la réalité. En toute impunité. Sans aucune pudeur, sur fond de quadrillage en douceur de l’Afrique à coups de sigle abscons Recamp ou Eurofor.
Seul échappe au discrédit général, Pretoria, le nouveau pôle de référence morale de l’Afrique du fait de l’imposante stature de Madiba Invictus, « maître de son destin, capitaine de son âme », Nelson Rolihlahla Mandela, le tombeur de l’apartheid, le fondateur de la nation arc en ciel, le vainqueur moral de l’Occident par KO technique, l’exemple impératif à suivre pour la génération de la relève africaine.
En 2003, le nombre des millionnaires en dollars, tous pays confondus, s’est élevé à 7,7 millions de personnes, soit une progression de 6 pour cent par rapport à 2002, ce qui signifie que 500.000 nouveaux millionnaires en dollars avaient émergé en l’espace d’un an.
En Afrique, durant cette même période, le nombre des millionnaires en dollars avait doublé par rapport à la moyenne mondiale, alors qu’il est de notoriété publique que sur le continent africain l’accumulation des capitaux est faible, les investissements publics quasi-déficients et le produit de l’impôt quasi-inexistant. L’Afrique comptait en 2003, cent mille millionnaires en dollars, en augmentation de 15 pour cent par rapport à 2002 et détiennent, en cumul, des avoirs privés de l’ordre de 600 milliards de dollars.

Déplorable constat : Jean Ziegler, auteur de l’ouvrage « l’Empire de la honte », paru aux éditions Fayard en 2005, soutient que les prédateurs des économies africaines se recrutent parmi les hauts fonctionnaires, ministres et présidents autochtones.
2003 l’aide publique au développement fournie par les pays industriels du nord aux 122 pays du tiers monde s’est élevée à 54 milliards de dollars. Durant cette même période, le tiers monde a transféré aux banques du Nord 436 milliards de dollars au titre du service de la dette. De 2000 à 2002, une crise boursière violente a secoué la quasi-totalité des places financières internationales entraînant une baisse de valeur de 65 pour cent des titres cotés en bourse, atteignant même pour les titres des entreprises de haute technologie une décote de 80 pour cent de leur valeur. Les titres détruits ont représenté 70 fois la valeur des titres de la dette extérieure de l’ensemble des pays du tiers monde. Malgré la sévérité de cette crise, aucun pays du nord ne s’est retrouvé en difficulté et le système bancaire mondial a parfaitement digéré la crise.

Alors pourquoi ne pas supprimer la dette ? L’Afrique est saignée depuis l’esclavage, la traite des noirs et la colonisation, la solution de substitution au manque à gagner résultant du fin de l’esclavage, jusqu’au système néolibéral mondial contemporain et sa logique de marchés qui utilise l’Afrique comme réserve de matières premières pour les pays riches, comme réserve de consommateurs pour écouler les produits uniformisés du marché mondial, comme source de capitaux par l’engrenage du remboursement de la dette qui asservit les Africains à une logique de chantage selon laquelle le pays pauvre n’est aidé que s’il rembourse et s’adapte à la logique des dominants.

« Comme si l’unique façon de savoir, c’était de savoir faire de l’argent ». Le viol de l’imaginaire, Aminata Traoré, Edition Hachette Littérature, 2004

La dette extérieure qu’aurait à rembourser l’Afrique, qui a déjà tant donné au cours des siècles depuis l’esclavage, cette dette là, très franchement, elle l’a remboursée depuis longtemps et l’Afrique ne doit plus rien. Sous la houlette des sociétés civiles africaines et quelques occidentales, la dette de l’Afrique a, certes, connu des effacements. Mais, pourquoi l’Afrique ne ferait-elle pas chœur pour réclamer l’abolition de la dette et exhorter les Africains, et, au delà, l’ensemble du tiers monde, à se mettre « aux commandes de leur propre vie », à mener le combat contre cette nouvelle forme pernicieuse de colonisation « la colonisation mentale » et à s’opposer enfin au fait que les pays riches imposent leur mode de vie à des pays censés dépourvus de culture, de traditions, de valeurs……« Comme si l’unique façon de savoir, c’était de savoir faire de l’argent », selon la belle expression de l’ancienne ministre de la culture malienne Aminata Traoré.
Cinq siècles d’esclavage et de traite négrière intensive, plus d’un million d’Africains déportés de l’autre côté de l’Atlantique, dans les îles à sucre de la Caraïbe, notamment à Saint-Domingue (3), autant sur le continent nord américain, près que quinze millions d’esclaves d’Afrique déportés ou qui ont péri lors de leur transfert, plus d’un million de combattants d’Afrique chairs à canon de la France pour sauver sa dignité et son honneur, à deux reprises au cours d’un même siècle, nous obligent. Le souvenir de leur sacrifice colonial nous oblige.

Cinq siècles de colonisation pour continuer à confier, soixante ans après notre indépendance, la gestion de nos ports au groupe Bolloré et notre téléphonie mobile au groupe Bouygues ? Pas le moindre africain des sept cents millions d’habitants du continent pour gérer correctement cela ? Que l’intérêt général commande un partenariat, soit. Mais en terre africaine, l’africain se doit d’être, chez lui, le partenaire de référence, non la serpillère.

Le rôle positif de la colonisation l’a effectivement été pour le colonisateur, et ses nouveaux représentants. Non pour le colonisé. Faisons cesser cette anomalie.
Retournons sur nos pas. Le legs colonial est certes hideux. Mais le legs post colonial l’est tout autant. L’excuse du colon était son profit et celui de sa mère patrie. Le nôtre aucun, sinon le profit de l’ex Métropole pour une police d’assurance politique pour la survie de dirigeants cupides. Et vils.

Quel autisme. Quel asservissement mental. La Françafrique ne passera plus par la Tunisie, assure son nouveau président post dictature Mouncef Marzouki. Généralisons ce mot d’ordre. Non seulement elle ne doit plus passer par l’Afrique, elle doit être combattue par l’Afrique, comme la gangrène de la société. Comme un gage de renaissance

Retournons sur nos pas. Rentrons dans notre propre histoire pour extirper les racines du mal avant de nous lancer à la conquête de notre histoire.

Références
  1. Se référant aux estimations de la CNUCED, Me Fabrice Marchisio, avocat spécialisé dans le recouvrement d’actifs frauduleux, précise que 400 milliards de dollars ont fui l’Afrique entre 1970 et 2005 vers d’autres continents et se fondant sur les estimations de la banque Mondiale, il indique que le montant des détournements des dictateurs arabes déchus lors du « printemps arabe », Hosni Moubarak (Egypte), Zine el Abidine Ben Ali (Tunisie) et Mouammar Kadhafi (Libye) serait d’une ampleur oscillant entre 100 milliards et 200 milliards, une variation qui intègre dans ses estimations des actifs dissimulés. Me Fabrice Marchisio est membre du cabinet Asset Tracing and Recovering / Cabinet Cotti, Vivant, Marchisio and Lazurel. Interview au journal Le Figaro 12 septembre 2011.
  2. Le triangle atlantique français de Christopher L. Miller (Editions Perséides).
Illustration
  1. Janvier 1960, sortie de prison. Lumumba  levant ses bras blessés par ses chaînes. http://en.wikipedia.org/wiki/File:Anefo_910-9738_De_Congolese.jpg

Koro Traoré

Haut fonctionnaire malien. Ancien chargé de mission à la Présidence de la République malienne en tant qu’assistant du Secrétaire Général (2002-2008), puis chargé de mission au Cabinet du Premier ministre (2008-2009). Auteur de L’Afrique en procès d’elle-même (Editions Golias, avril 2012). Koro Traoré est titulaire d’un diplôme de l’ENA de Paris : Promotion Mahatma Gandhi, Strasbourg, France (2011).

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