Turquie : principal bénéficiaire du pétrole extrait par Da'ech

Turquie : principal bénéficiaire du pétrole extrait par Da'ech 938 400 Haytham Manna

Dernière mise à jour le 29 septembre 2014

Entretien de Haytham Manna au journal Libanais « Al Nahar ».

La Turquie

  • La Turquie, principal bénéficiaire de la commercialisation du pétrole extrait par Da’ech.
  • Ankara a fait retirer mille combattants de Syrie, mais en a laissé sur place 18.000 combattants dans les villes, les villages et les quartiers.

La Syrie

  • Le pouvoir syrien, principal bénéficiaire de l’intervention aérienne américaine ; l’accentuation des divisions de l’opposition en est la meilleure preuve.

Traduction de l’interview réalisée le 24/09/14 par Madaniya.info dont voici les principaux points :

I – Accord de l’opposition off-shore préalable aux raids américains en Syrie

La coalition internationale n’a pas attendu le feu vert du pouvoir syrien pour mener ses raids aériens en Syrie contre Da’ech. Les États-Unis ont obtenu toutefois l’accord préalable de l’opposition off-shore syrienne avant de mener leurs raids aériens en Syrie, après que celle-ci ait obtenu l’assurance de recevoir des armes pour les unités combattantes « modérées ». Bien que des personnalités syriennes se soient élevées contre toute intervention aussi bien contre le pouvoir syrien que contre Da’ech, des dirigeants de l’Armée Syrienne Libre (ASL) ont déploré le fait que les américains se contentent de bombarder la base sans s’attaquer auparavant au sommet, c’est à dire le pouvoir syrien et le Hezbollah.

II – Efficacité des raids aériens américains sur la Syrie

Les raids américains ne viendront pas à bout de Da’ech, car la tête du groupement se trouve en Irak, comme en témoignent les précédentes expériences américaines au Yémen, en Somalie et en Afghanistan :
Au Yémen, les raids américains ont tué trois des principaux dirigeants d’Al Qaida, aussitôt remplacés par une quinzaine dépêchés de l’extérieur. En Somalie, l’organisation des jeunes somaliens (Shabab) a bien été frappée, mais le fait que les jeunes somaliens combattaient les américains ont renforcé leurs soutiens sur le terrain au point de devenir la principale force politique du pays. En Afghanistan, la guerre américaine a favorisé la constitution de bastions talibans tant en Afghanistan qu’au Pakistan.

Il est difficile de combattre un groupement qui soit le seul à ne pas s’être constitué en milice, mais en armée, avec l’appui et l’aide de 200 anciens officiers irakiens, désormais membres de Da’ech. Cent d’entre eux ont déjà été tués. Tous avaient rallié Da’ech près avoir été marginalisés. Cette marginalisation a été d’autant plus durement ressentie que chacun d’entre eux, disposait de voitures de fonctions, de chauffeurs, de gardes de corps, de décorations et qui ont été rejetés violemment dans l’anonymat, sans retraite. Ils ont alors opté pour « Le parti du diable » pour revenir au pouvoir.

III – Le porte parole, un syrien qui fait office de paravent et Omar As Shishany, un aspirateur de volontaires pour les opérations-suicide

Le porte parole de Da’ech, Abou Mohamad Al Adanani, est un syrien qui fait office de paravent, quand bien même il a vécu en Irak, s’est engagé dans les combats en Irak, s’est marié et a habité dans la zone sunnite d’Al Anbar davantage qu’à Idlib, sa ville natale. Quant à Omar As Shishany, d’origine géorgienne, il a été désigné responsable miliaire de Da’ech pour le nord de la Syrie, région frontalière de la Turquie, en vue d’attirer les étrangers, particulièrement les volontaires pour les opérations suicides. Si tu ne frappes pas la tête, il sera difficile d’affronter les officiers de second rang. Certes de nombreux cadres supérieurs de Da’ech sont en Syrie, mais les concepteurs du projet et le noyau dur du groupement sont en Irak.

IV – Les conditions d’ un règlement politique. Un nouvel état de droit versus Da’ech.

Toute violence complémentaire à la violence exacerbée présente constituerait un coup mortel à tout projet de règlement politique en ce qu’elle réduirait à néant les efforts de tous ceux qui combattent pour la démocratie et pour une société civile forte.
La confrontation sérieuse avec Da’ech doit porter sur le projet d’édification d’un nouvel état de droit et par un nouvel exemple de gouvernance qui ne soit pas fondé sur le confessionnalisme ou par une nouvelle répartition communautaire des pouvoirs. Ce nouvel état de droit doit servir d’exemple et briser les usages en vigueur en ce que tout un chacun fonctionne selon un mode de solidarité clanique. Les dictatures sont des générateurs de Da’ech.
La solution politique initiée dans la foulée de la démission de Noury Al Malki et la nomination de son successeur Haidar Al-Ababi est bonne mais insuffisante. Il importe de restructurer l’armée irakienne et de procéder à son réarmement.

V – La division de l’opposition et les perspectives de solution politique en Syrie ?

Sur ce point les choses sont décevantes. La relance d’une solution politique est décevante en raison de la dynamique militaire. L’armement de l’opposition et son entraînement selon un programme de plusieurs années signifient implicitement l’absence d’un règlement politique en vue.

Les raids aériens américains, non seulement n’ont pas implosé les positions de Da’ech, mais ont exacerbé les divisions au sein des groupements armés. Toute l’opposition est maintenant divisée entre partisans et adversaires des raids, générant une situation d’anarchie sur le terrain. En l’état actuel, a-t-on vraiment besoin de nouvelles divisions ?

Le seul bénéficiaire de l’intervention américaine est le pouvoir syrien. Les divisions de l’opposition en sont la meilleur preuve.

VI – La Turquie

Le lexique militaire est catégorique là-dessus. Les raids américains ne sauraient détruire Da’ech mais l’affaiblir. Mais quel en sera le prix ? Le prix à payer en contrepartie de l’affaiblissement de Da’ech.
La coalition occidentale baigne dans la contradiction. Ainsi la Turquie entretient à ce jour des relations avec Da’ech. Comment se convaincre que la Turquie est hostile à Da’ech, alors qu’Ankara est le principal bénéficiaire de la commercialisation du pétrole extrait par Da’ech. Certes, la Turquie a retiré 1.000 combattants de Syrie, mais en a maintenu 18.000 dans les villes, les villages et les quartiers.
Avec l’intensification des raids sur Raqqa et Abou Kamal, la question qui se pose est de savoir quelle force succédera à Da’ech dans les zones qu’il a évacuées. La question est prématurée car la carte politique et militaire est évolutive.
La confusion est grande sur le terrain. L’on nous annonce le bombardement des positions du khorrassan (subdivision de Da’ech spécialisée dans les opérations extérieures) et l’on constate que les cibles visées n’avaient aucun rapport avec les groupements djihadistes ni avec Jobhat An Nosra, ni avec Al-Qaida.
Nous en sommes venus aux guerres des quartiers, des villes et des villages. Seul le pouvoir syrien dispose de vastes superficies sous son contrôle, alors qu’en ce qui concerne les groupements armés, chacun dispose de points forts et de points faibles. Aucun n’est en mesure d’exercer un leadership global.
Ainsi Jaych Al islam dispose d’une position dominante à Douma, mais n’a pas droit de cité dans d’autres zones quand bien même il est allié aux autres groupements dans une coalition de fait.
La coalition va poursuivre sa mission car Da’ech ne comprend que le langage de la force. Le reste dépendra de la capacité manœuvrière des forces combattantes sur le terrain et du pouvoir syrien naturellement. La grande question est de savoir que va faire l’Armée Syrienne Libre (ASL), la force modérée, face à une telle situation.

Illustration

Puits de pétrole en California le long de la Route 46. http://commons.wikimedia.org/wiki/File:PumpjacksFull.JPG

Haytham Manna

Haytham Manna, Président du mouvement Qamh (Valeurs, Citoyenneté, Droits) en Syrie. Membre dirigeant de la Conférence Nationale Démocratique de Syrie. Co-président du Conseil Démocratique de Syrie, coalition de l'opposition démocratique et patriotique syrienne, est Président de «The Scandinavian Institute For Human Rights (SIHR-Institut Scandinave des Droits de L’homme). En exil en France depuis 35 ans, il s'oppose à tout recours à la force pour le règlement du conflit syrien. Son frère a été tué par les services de sécurité syriens et son cousin torturé au début du «printemps syrien», en 2011. Il est l’auteur de trois ouvrages «Islam et Hérésie, l’obsession blasphématoire», «Violences et tortures dans le Monde arabe», tous deux aux Éditions l’Harmattan, ainsi qu'un troisième ouvrage «Le Califat d Da'ech». Titulaire d’un diplôme sur la médecine psychosomatique de l’Université de Montpellier, il a exercé au sein de l’équipe médicale du professeur Philippe Castaigne au Laboratoire du Sommeil (Département de neurophysiologie) du groupe hospitalier Pitié Salpêtrière à Paris. Haytham Manna siège au comité directeur de Justicia Universalis et de l’Institut égyptien des études des droits de l’homme, titulaire des plusieurs distinctions honorifiques dans le domaine des droits de l’homme: Medal of Human Rights-National Academy of Sciences-Washington (1996), Human Rights Watch (1992).

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