Dernière mise à jour le 14 octobre 2014
Les pièges du langage diplomatique
L’assemblée générale des Nations unies, dont la session annuelle commence le 3ème lundi de septembre, marque traditionnellement la reprise des travaux diplomatiques des grandes institutions internationaux et donne habituellement lieu à de joutes oratoires, voire par moments à une véritable guerre diplomatique. Le philosophe libanais Roger Naba’a revient sur les divers aspects de cette zone grise de la sémantique diplomatique.
I. Possible, probable / vraisemblable, plausible
Je partirai d’Aristote. Toute cette catégorie logique de concepts – auxquels il faut ajouter les proches parents comme croyable, éventuel, potentiel, acceptable – ont pour trait commun de s’opposer au nécessaire qui, se définissant comme « ce qui doit être, et être comme il est », renvoie cette cartouche de concepts et de notions logiques à « ce qui peut être ou ne pas être, ou être autrement qu’il n’est ».
Dans tous ses cas de figure, cette catégorie logique porte en elle une tendance à l’être plutôt que l’« être ». En raison de quoi si nécessaire ne laisse pas le choix, le reste se construit sur le choix « ou ».
Dans le vaste domaine de « ce qui peut être ou n’être pas ou être autrement» – le domaine donc du contingent – des nuances se sont établies pour distinguer ce qui appartient à la chose elle-même, et ce qui vient de l’esprit. On a pu ainsi classer ces concepts et notions qui modalisent presque à l’infini les passages du « pouvoir être » à « être » ou « être autrement »…
II. De délicats rapports entre « possible, nécessaire et réalité »
Si ma mort est nécessaire, la forme de ma mort (circonstances, date, comment, pourquoi, naturelle, etc.) est contingente. Ce subtil décalage a inspiré à Kierkegaard cette superbe sentence : « Car, n’en déplaise aux philosophes, la réalité ne s’unit pas au possible dans la nécessité, mais c’est cette dernière qui s’unit au possible dans la réalité », Kierkegaard, Traité du désespoir.
De délicats rapports entre « possible, nécessaire et probable » « Lorsqu’on élimine l’impossible, ce qui reste, pour improbable qu’il puisse paraître, doit nécessairement être vrai ». Anne Honymes
(NDA: L’auteur de ce texte signe de ce pseudonyme cette définition en ce qu’il lui paraît pompeux de signer de mon propre nom. Anne Honymes est un nom valise composé du seul mot « Anonyme » scindé en deux. Il en dispose d’un second nom d’emprunt : Jean Heymard qui se traduit par « j’en ai marre »).
A. Du côté de la chose
Le possible est la notion la plus abstraite. Elle se situe du « du côté de la chose ». Exemple : Il est possible qu’un oiseau vole cependant qu’il est impossible à l’homme d’en faire autant. Possible/impossible renvoie donc à la chose elle-même, à son « inhérence », à sa « nature », sa « structure », sa « fonction », à son « principe »…
En ce sens, le possible qualifie le « pouvoir être » d’une chose : le « pouvoir être » de l’oiseau est de voler, pas celui de l’homme ou de la montagne. Possible/impossible est donc un attribut « objectif » de la chose.
S’il n’y a de probable que de ce qui est possible, tout possible ne se traduit pas ipso facto en réalité (en « être »). C’est que le probable est du côté de la « réalisation » d’un possible toujours déjà-là. En ce sens le probable est un possible qui s’est actualisé hic et nunc en fonction ou en raison de telles ou telles circonstances, facteurs, conditions.
S’il est possible – dans l’absolu, en principe ou en théorie – qu’un oiseau vole, il est improbable que mon canari vole parce qu’il vient de se briser l’aile.
B. Du côté de l’esprit
Le vraisemblable et le plausible sont du côté de l’esprit humain. Mais pendant que vraisemblable se définit par « ce qui peut être acceptable par la raison comprise comme doxa » – cette croyance commune admise depuis toujours, acceptée par tous, jamais remise en question -;
Le plausible se définit, lui, par « ce qui doit être acceptable par la raison comprise comme raison (« ce qui semble devoir être admis » disent les dictionnaires). De l’une à l’autre, ce qui change c’est l’instance qui « accepte » : quand c’est la raison comprise comme raison logique, on est dans le plausible, d’où le doit ; quand c’est la raison comprise comme raison vulgaire, doxa, on est dans le vraisemblable.
Ce subtil distinguo se vérifie dans leurs origines et leurs domaines d’application. À l’origine, « plausible » qualifie un substantif désignant le contenu d’un acte de parole ou d’un discours, c’est donc un jugement rationnel et ses domaines d’application c’est l’argumentation: on parle d’un/e « argument », « cause », « conclusion », « hypothèse », « raison » … plausible.
Plus largement, « plausible » qualifie une proposition : « N’est-il pas plausible qu’un homme sans le sou demande que tout le monde puisse être riche ? » (Musset). « Il est (…) plausible que toute femme qui ne possède pas son indépendance économique demeure une enfant » (Roger VAILLAND, Drôle de jeu). Par contre, vraisemblable s’attache aux croyances.
Le décryptage du langage sera ainsi plus aisé, particulièrement le langage diplomatique avec ses arrières pensées et ses sous-entendus, ses restrictions mentales et ses omissions, son double voire son triple langage.
Pour aller plus loin
Sa production pour le compte de la Revue « Peuples du Monde » du Philosophe Paul Vieille : http://peuplesmonde.net/
Version espagnole sur le site elcorreo.eu.org : http://www.elcorreo.eu.org/Consideraciones-sobre-lo-posible-y-lo-probable