Da'ech : Les rocambolesques retrouvailles du Calife Ibrahim avec son épouse Saja Hamid Al Douleimy

Da'ech : Les rocambolesques retrouvailles du Calife Ibrahim avec son épouse Saja Hamid Al Douleimy 938 400 René Naba

Dernière mise à jour le 24 octobre 2014

Paris – Le calife Ibrahim est redevable des retrouvailles avec son épouse à son ennemi intime, Jobhat An Nosra, aussi surprenant que cela puisse paraître.
Au lendemain de sa spectaculaire démonstration de force à la Mosquée de Mossoul, le premier vendredi du mois du ramadan 2014, matérialisée par une arrivée sous forte escorte, Abou Bakr Al Baghdadi a récupéré son épouse avec ses deux enfants et son petit frère.

Saja Hamid Al Douleimy, fille d’une puissante tribu irakienne, était détenue en Syrie. Pour la récupérer rien de plus simple : Jobhat An Nosra a décidé de prendre d’assaut la bourgade chrétienne de Maaloula, région de Damas, dont les habitants parle le syriaque, la langue du christ, et pris en otage des religieuses syriennes.

En mauvaise posture depuis la décision de l’Arabie saoudite et deux autres pétromonachies, Les Emirats Arabes Unis et le Bahreïn, de criminaliser les organisations takrfitistes, salafistes et djihadistes, y compris les Frères Musulmans, le Qatar a jugé judicieux de se racheter une bonne conduite en lubrifiant l’heureux dénouement de cette affaire.

I. Georges Hassouani, le négociateur attitré du Qatar auprès de Jobhat An Nosra

Les négociations du Qatar à propos des otages de Syrie passent généralement par un homme d’affaires Georges Hassaouni, tant par souci de donner un aspect œcuménique à sa démarche, que par l’impossibilité de toute partie libanaise ou arabe de mener des négociations directes avec Jobhat an Nosra ou toute autre groupement takfiriste sans susciter l’ire de l’Arabie saoudite, tous désormais sur sa liste noire. Ce même homme d’affaires chrétien syrien a été de nouveau mis à contribution lors des tractaions visant à la libération de la quarantaine de soldats libanais capturés par Jobhat An Nosra, dans le secteur d’Ersal (région frontalière syri libanaise), en septembre 2014. http://www.al-akhbar.com/node/215980

Saja est la fille de Hamid Ibrahim Al Douleimy, relevant d’une puissante tribu irakienne. Son père, chef du clan, exerçait les fonctions d’émir de Da’ech en Syrie. Il avait été tué lors des combats en Syrie en septembre 2013.

Sa fille capturée lors de l’assaut des forces gouvernementales syriennes a ainsi été libérée dans le cadre d’un échange mené par Jobhat An Nosra et le pouvoir baasiste, en vue de la libération de 17 religieuses syriennes de Maaloula.

S’agissait-il pour le Qatar d’entrer dans les bonnes grâces de Da’ech ? Jobhat An Nosra a t-il été impressionné par la démonstration de force opérée par le calife lors de sa première prêche à la Mosquée de Mossoul ?… Un convoi de près de deux cents limousines, de Humvey, des transports de troupes blindés, d’auto mitrailleuses dotées d’équipements de brouillage des radars et des réseaux de la téléphonie mobile prélevés sur les stocks de l’armée irakienne dans la foulée de leur raid sur le Kurdistan.

Dans sa guerre psychologique et médiatique auprès des djihadistes, Jobhat An Nosra a eu beau jeu par la suite de pointer l’ingratitude de Da’ech à son égard. « Nous lui libérons sa femme et il nous tire dessus. Il rira un peu moins au moment de ses retrouvailles avec sa femme, mais il pleurera beaucoup lorsqu’il sera informé des conditions de sa libération », dira un follower d’An Nosra sur son tweeter.

II. L’édification de « l’émirat sunnite du Koweït »

Le premier mois du mandat du calife Ibrahim paraît avoir été fructueux à en juger par les ralliements en Syrie de détachements de l’armée syrienne et d’anciens partisans du Jobhat An Nosra. Toutefois, le fait le plus significatif pourrait être la proclamation de l’institution de « l’émirat sunnite du Koweït » et l’intronisation de Walid Tabatba’î comme gouverneur de cet état.
Ancien député wahhabite du parlement koweïtien, Walid Tabatba’ï s’était distingué par une intense campagne de mobilisation en faveur des djihadistes lors de la guerre de Syrie, (2011-2014), organisant des campagnes de don, de collecte, et d’enrôlement, sous le regard bienveillant des autorités koweïtiennes.

Dans sa première déclaration officielle à sa prise de fonction, à la mi juillet, il a fait acte allégeance envers Abou Bakr Al Baghdadi, faisant le serment de répondre à l’appel du devoir pour « libérer Bassorah, port pétrolier chiite du sud de l’Irak, des renégats », Bagdad « des collabos » (sunnites) et « d’anéantir la dynastie as Sabah ».

L’installation de l’émirat sunnite du Koweït apparaît comme une réplique à la violente répression des manifestations qui ont eu lieu durant le mois de Ramadan (juillet 2014) en faveur de Da’ech, dont le point culminant a été l’incendie de la gare centrale du Koweït provoquant la carbonisation de 26 bus et camions, et la destruction du secteur de maintenance et de réparation.

Koweït est la première pétromonarchie du Golfe à tomber sous la coupe des djihadistes, alors que l’Arabie saoudite, le principal commanditaire du djihadisme avec le Qatar, a massé près de 40.000 soldats à ses frontières avec l’Irak, encadrés par des officiers pakistanais, en vue de contenir une éventuelle incursion djihadiste à l’intérieur du royaume ; une réédition d’une mauvaise séquence de l’arroseur arrosé.

En s’emparant des dépôts de la Banque centrale irakienne à Mossoul, de l’ordre de 450 millions de dollars, percevant de surcroît des royalties de la commercialisation licite, via la Turquie, de la production pétrolière de son nouveau domaine, Da’ech passe pour être l’organisation terroriste la plus riche au Monde, dont le trésor de guerre est régulièrement alimenté par les rançons des otages.

Comble du paradoxe, l’Europe apparaît comme le principal financier des organisations terroristes opérant à sa périphérie : 185 millions de dollars en six ans de 2008 à 2014, dont 58 millions de dollars rien que pour la France, le pays européen le plus engagé dans la guerre de Syrie, 53 millions de dollars de rançon pour la libération de ses otages…… en un curieux retour de bâton.

René Naba

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l'AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l'information, membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme et de l'Association d'amitié euro-arabe. Auteur de "L'Arabie saoudite, un royaume des ténèbres" (Golias), "Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l'imaginaire français" (Harmattan), "Hariri, de père en fils, hommes d'affaires, premiers ministres (Harmattan), "Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David" (Bachari), "Média et Démocratie, la captation de l'imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l'Association d'amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Editorialiste Radio Galère 88.4 FM Marseille Emissions Harragas, tous les jeudis 16-16H30, émission briseuse de tabous. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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