Dernière mise à jour le 16 décembre 2014
Paris – 16.12.2014- Depuis le 14 janvier 2011, la Tunisie traverse une nouvelle période cruciale de son histoire. Après la sortie de la colonisation et l’accession à l’indépendance nationale, est venue la phase du passage de l’accaparement du pouvoir par un homme, un parti politique voire un clan, à l’ère démocratique, faite de multipartisme effectif, d’acceptation des diversités politiques, du bien vivre ensemble et de l’alternance pacifique au pouvoir.
Une première transition éclaire réussie (Janvier – Octobre 2011)
Les tunisiens, fiers de leur révolution (17 décembre 2013 – 14 janvier 2014), se sont très vite opposés, notamment par l’organisation de setting «Kasbah», et la propagation des fameux «dégage», hymne de la révolution tunisienne, au maintien des gouvernements issus de l’époque de l’ancien président Ben Ali. Même lorsque ces gouvernements ont été relookés, pour faire du neuf avec de l’ancien.
C’est alors que, l’ancien ministre de Bourguiba, Béji Caid Essebsi -BCE- (re) fait sa réapparition dans le paysage politique tunisien, après une éclipse d’une quinzaine d’années. Les jeunes générations allaient très vite découvrir et connaitre le personnage qui allait effectuer, au poste premier ministre, un passage furtif (février-octobre 2011), mais structurel, constructif et réussi, qui débouche sur l’organisation et la tenue des premières élections libres et transparentes de l’histoire de la Tunisie indépendante.
Cette courte période est, en effet, marquée par la création de l’ISIE, (Institution Supérieure Indépendante des Élections) pour soustraire leur organisation traditionnelle au ministère de l’intérieur. Ce qui fait de l’ISIE, une institution – fil rouge de la marche démocratique de la Tunisie de 2011 à 2014, la seule qui a fait consensus et dispose de fortes chances pour survivre à la transition.
Une seconde transition chaotique (Octobre 2011-Janvier 2014) sauvée par la société civile et le quartet
L’élection du 23 octobre 2011, a donné à la Tunisie, un ( nouveau) parti hégémonique, qui se déclare d’obédience religieuse, Ennahda, de Monsieur Rached Ghannouchi. Ce dernier a très vite trouvé deux partis supplétifs, pour former une Troïka. Le Congrès pour la République de Moncef Marzouki, et Ettakatol de Mustapha Ben Jaafar. Pourtant ces deux partis se déclarent laïques. Un mélange étrange à soubassements idéologiques éloignés.
En réalité, trois partis et non une Troika. Un attelage trop déséquilibré mis en place pour partager le nouveau pouvoir politique sans partager un projet de société ni une vision commune de l’avenir de la Tunisie. Un trio dissonant, composé d’un décideur et deux exécutants, qui souvent précèdent les souhaits et les vœux du donneur d’ordre. Les chefs des deux partis ralliés sont récompensés. Et comment !!
Le premier obtient le titre de président provisoire de la République et se trouve très vite affublé du surnom «Tartour». Le second obtient le poste de Président de l’Assemblée Nationale Constituante. En homme politique habile, il sauve son honneur en suspendant les travaux de l’assemblée constituante à la suite de l’assassinat de l’un de ses collègues, élu du peuple.
Un parcours semé d’assassinats
Le parcours du Trio est semé de dizaines d’assassinats de militaires, de policiers et d’agents de sécurité et d’au moins trois hommes politiques. De déferlement, dans le pays de Kairouan et de la Zitouna, de prédicateurs wahhabites rétrogrades (idéologie pourtant rejeté par la Tunisie 3 siècles auparavant), avec en prime un accueil en fanfare au palais de Carthage, le palais de la République.
D’amnisties mal préparées et mal calibrées, qui ont vu des délinquants et des terroristes quitter les prisons avant que policiers et justice les y renvoient. De prise de positions diplomatiques irréfléchies, qui tournent le dos à la tradition de la diplomatie tunisienne de neutralité active, et de ne pas se faire d’ennemis, y compris pour préserver la vie et la sécurité des citoyens tunisiens devenus, aujourd’hui, globe-trotters. D’exportation, pour servir de chair à canon, de jeunes tunisiens devenus extrémistes religieux, et terroristes présents dans tous les conflits armés, Mali, Algérie, Libye, Égypte, Syrie, Irak.
De mise sur le marché de la prostitution internationale, de jeunes filles tunisiennes transformées en «prostituées halal» avec l’exécrable fatwa de «jihad an nikah». Le tout au nom d’une lecture de l’islam, en opposition totale avec la lecture tunisienne traditionnelle de cette religion. De proposition d’un projet de constitution rétrograde qui ignore tout à la fois l’histoire et les aspirations des tunisiens. Soit des actes, des prises de position et des initiatives étrangers à la mémoire collective tunisienne, faite de détestation de la violence, de douceur de vivre, du bien vivre ensemble, de tolérance des uns envers les autres, et surtout de tout refus de l’imposition d’un mode de vie.
Il a fallu d’abord, que la société civile, hommes et femmes de toutes générations et de toutes conditions sociales, se mobilise fortement pour dénoncer la politique du trio et faire suspendre, de fait, les travaux de la constituante, avant de voir le quartet (syndicat ouvrier et patronal – ordre d’Avocats et ligue des droits de l’Homme) entrer en jeu, pour établir une feuille de route consensuelle qui permet de faire remplacer le gouvernement II du Trio, par un gouvernement de technocrates, et écrire une constitution acceptable par tous.
La dernière marche de la transition : le deuxième tour des élections présidentielles
La période transitoire, (2011 à 2014) de passage d’une rive (la période autoritaire) à l’autre, (l’ère démocratique), reste fragile. Elle ressemble à la traversée d’un pont suspendu, dont la structure est frêle et peut craquer à tout moment.
La partie la plus longue de cette transition et de la marche vers la démocratie est donc passée. Élection de la constituante (octobre 2011), gouvernement Jebali (décembre 2011- mars 2013), gouvernement Larayedh ( mars 2013 – janvier 2014), gouvernement Jomâa (janvier 2014 …), élection de l’assemblée des représentants du peuple (octobre 2014) et premier tour des présidentielles (novembre 2014). La terre ferme est maintenant à vue. Mais il reste à parcourir les derniers mètres pour passer de la phase transitoire, chaotique, et hésitante à une phase de stabilité et de construction.
La machine d’intériorisation populaire de la démocratisation de la société tunisienne bat son plein. 70 prétendants à l’élection présidentielle, 27 candidats retenus par l’ISIE, 5 candidats se sont retirés, 2 candidats ont été choisis par les tunisiens pour le second tour, Messieurs Béji Caid Essebsi (39%) et Mohamed Marzouki (33%).
La campagne électorale fait rage entre les deux candidats et leurs partisans. Cependant, elle n’emprunte pas le meilleur chemin pour envoyer aux électeurs une image positive et valorisante d’une bataille politique pour mériter de diriger son peuple et accéder à la présidence de la République. Une violence verbale inouïe traverse les discours partisans, les commentaires sur internet et sur les réseaux sociaux et une partie de la presse.
On parle souvent de couches, de trucage d’élection, voire de complicité d’assassinat pour l’un. De démence, de narcissisme aiguë, voire de schizophrénie, qui le fait confondre défense des droits de l’homme et protection de personnes à discours et ou actions violentes, pour l’autre. Les programmes sont passés à la trappe. La presse occidentale y ajoute une lecture simpliste : défense de la révolution contre retour de l’ancien régime.
Réservoirs de voix pour le deuxième tour
Dans les vielles démocratie, au premier tour les électeurs choisissent et votent pour leur choix de cœur. Ce choix peut être fatale, pour certains candidats présidentiables. Il en a été ainsi pour Lionel Jospin aux élections présidentielles françaises de 2002. la multiplication des choix de cœur des électeurs l’a tout simplement éliminé. Il était aimé. Mais pas assez.
Dans les vieilles démocraties le second tour confirme et amplifie les résultats du premier tour. A ce titre, les chiffres sont têtus. En Tunisie, le corps électoral est composé de cinq millions trois cent mil électeurs. Les votants sont de l’ordre de trois millions trois cent cinquante mil. Les abstentionnistes frôlent les deux millions.
Le candidat Béji Caid Essebsi est arrivé en tête au premier tour des présidentielles et a obtenu sur son nom 1.289.384 voix. Il est en ballottage favorable pour le deuxième tour. Aux législatives, son parti, Nidaa Tounès, a obtenu 1.279.941 voix. Son propre score est donc légèrement supérieur à celui de son parti.
En face, le candidat Mohamed Marzouki (MM) a obtenu 1.092.418 voix. Il est arrivé en deuxième position au premier tour des présidentielles. Aux législatives, son parti, le congrès pour la République, a obtenu 72.942 voix. Se pose alors la question des 1.019,476 des voix, différentiel des voix obtenues par le candidat MM par rapport à son propre parti politique. Ces voix ne sont pas tombés du Ciel.
Au premier tour, BCE s’est présenté au nom de son parti, avec le soutien du parti Afaq Tounes et quelques personnalités indépendantes et de la société civile. Il a amélioré de 9443 voix le score de son parti, Nidaa Tounes. MM s’est présenté officiellement, en candidat indépendant, sur son seul nom et non au nom de son parti. En réalité, les chiffres sorties des urnes démontrent que MM est bien le candidat d’une nouvelle Coalition – Troika, même si elle ne le proclame pas, composé de son parti le CPR , Tayyar un parti dissident du CPR et ……Ennahda, qui n’a pas présenté de candidat officiel aux élections présidentielles. MM a amélioré de 6650 voix le score de cette coalition, qui le soutient, et qui a réalisé un total 1.085.768 voix aux législatives, dont 967000 pour Ennahda.
En matière électorale, rien n’est acquis tant que l’élection n’a pas eu lieu et les chiffres définitifs publiés. Ce principe n’empêche pas de faire une projection au vu des faits acquis, des éléments disponibles et des chiffres obtenus. A supposer que chacun des deux candidats finalistes garde ses électeurs, pour gagner la présidentielle, il faut aller puiser dans les deux réservoirs de voix restants. D’une part, le million d’électeurs qui se se sont prononcés pour les 25 autres candidats et d’autre part, les deux millions d’abstentionnistes.
Commençons par le premier réservoir, le million de voix dispersés au premier tour. Au vu des ralliements directs et indirects des candidats du premier tour, la majorité d’entre eux ont fait le choix public de rallier le camp de BCE. Certains par proximité idéologique et par conviction. D’autres par rejet de MM et ou d’Ennahda. D’autres encore par simple opportunisme. Il est donc raisonnable de voir, au deuxième tour, deux électeurs sur dix s’abstenir. Deux électeurs sur dix voter MM. Et six électeurs sur dix choisir BCE.
A ce stade BCE engrange une avancée confortable. Passons au second réservoir de voix, les deux millions d’abstentionnistes. L’opinion publique étant lente à se construire, puis à changer, rien n’indique que les abstentionnistes, des législatives et du premier tour des présidentielles décident d’un coup et massivement de devenir des électeurs actifs. Et combien même une partie d’entre eux décident à la dernière minute de franchir le pas électoral, il y a peu de chance que le nouvel échantillon soit différemment composé par rapport à ceux qui se sont exprimés à deux reprises, et pencheraient exclusivement vers le candidat MM dans une proportion telle qu’elle viendrait annihiler l’avancée déjà acquise par BCE.
Ces différents scenarii flèchent une victoire annoncée du président de Nidaa Tounes. Il ne laissent comme zone d’ombre que son ampleur. Pourtant, les leaders politiques tunisiens disposent d’ores et déjà de ces projections. L’hypocrisie de la loi tunisienne adoptée par le trio-Troika de la transition (Ennahda-CPR-Ettakatol), permet de faire des sondages mais interdit leur publication.
La démocratie tunisienne doit se parfaire. A ce titre, elle doit autoriser la publication des sondages pour mettre à égalité les hommes politiques et l’ensemble des citoyens, comme c’est le cas partout dans le monde.
Choisir et éliminer
Mais ces projections restent toutes théoriques, car tant que les urnes n’ont pas parlées, tout reste possible. Un évènement exceptionnel, une action imprévue, un contre temps de dernière minute peuvent toujours tout changer. Et c’est ce qui fait le charme de la démocratie : on ne connait jamais le résultat à l’avance, même si des signes précurseurs et des sondages peuvent flécher la victoire.
En démocratie, le vote mélange passion et raison. Les électeurs politisés choisissent leur candidat par affinité idéologique. D’autres fondent leur choix sur les programmes des candidats. D’autres encore scrutent le passé politique des candidats et leur pratique du pouvoir. D’autres enfin, choisissent leur champion au regard du filtre de la grille de leurs propres espoirs dans l’avenir. Les questions que les tunisiens peuvent se poser s’ils veulent voter avec raison et non par passion: quel candidat s’inscrit dans la longue ligne de l’histoire de la Tunisie? Quel candidat propose un programme tourné vers l’avenir? Quel candidat assume son passé politique au pouvoir? Quel candidat défend la souveraineté de la Tunisie? Quel candidat est plus ferme avec le terrorisme? Quel candidat jouit d’une réputation internationale? Quel candidat est capable de réaliser la stabilité à l’intérieur et d’attirer des investisseurs étrangers ?
Au rendez-vous de l’Histoire
Nous assistons donc à l’écriture d’une nouvelle page de la longue histoire de cette terre héritière de Carthage et de Kairouan et pionnière dans la mise en place de jalons de la modernité, de la dignité humaine, et de l’innovation dans l’aire culturelle arabo-musulmane.
Le peuple tunisien, démontre encore une fois, qu’au delà des vicissitudes de l’histoire, des régimes politiques en place, de son faible nombre et de l’étroitesse de son territoire, qu’il puise toujours dans sa profondeur historique pour aller de l’avant, dans le sens de l’Histoire universelle. Il y inscrit, à chaque époque, des actions glorieuses et y laisse des traces indélébiles, qui font la fierté de ses générations successives.
Le pays qui a enfanté Hannibal, Ibn Khaldoun et Bourguiba, pour ne retenir que ce trio dont les noms marquent l’histoire universelle, impose sa marque et son génie humain et politique, qui regarde toujours vers le futur.
Création de la Zitouna (737), Rejet du wahhabisme (1810), abolition de l’esclavage (janvier 1846), proclamation d’un pacte des droits des tunisiens (1857), publication d’un journal officiel (1860), adoption d’une constitution (1861), création d’un parti politique et publication d’un journal (1907), création d’un syndicat (1924), libération du joug colonial à moindre sang humain (1957), adoption d’un code de statut personnel (1956), création d’une ligue de droit de l’homme (1977), instauration du multipartisme (1981), suppression juridique de la présidence à vie (1988), organisation juridique d’élections présidentielles pluralistes (1999), révolution populaire et destitution du président en place, sans guerre civile, et élections libres , sincères et transparentes(2011).
Voter pour Caid Essebsi et Contre Marzouki c’est faire un pari sur l’avenir
C’est donc au vu de cette histoire glorieuse, lumineuse et humaniste et en réponse aux questions sur les qualités et les défauts des deux candidats finalistes, le choix de l’un et l’élimination de l’autre, que chaque tunisien doit voter, choisir et éliminer. J’ai donc décidé de choisir, voter et éliminer. Je vote pour BCE et contre MM. En conscience. Je fais un pari sur l’avenir.
L’âge avancé de BCE, présente, aujourd’hui, contrairement à ce qui peut être écrit, ici ou là, plus d’avantage que d’inconvénients. Tout d’abord, comme le disait le Général De Gaulle «on ne commence pas une carrière de dictateur à un age avancé». Ensuite, de l’expérience avérée et de la sagesse assumée. La perspective d’un mandat unique. Une cohérence entre le futur gouvernement et le futur président. Une première transition réussie et un mandat écourté de sa propre initiative.
Enfin, un précédent qu’il faut rappeler sans cesse. La démission fracassante de BCE de ses responsabilités du temps de Bouguiba. Un temps dans lequel le mot démission ne faisait pas encore partie du langage politique de la Tunisie. Une lettre de démission qui dresse en creux le portrait et la vision politique du candidat favori des sondages. En face, un portrait du candidat MM, écrit par l’un de ceux qui l’ont le mieux connu pendant son exil français.** La lecture comparative de ces deux textes finira par convaincre l’électeur hésitant.
• http://www.leaders.com.tn/article/beji-caid-essebsi-les-raisons-d-un-depart
• https://www.madaniya.info/2014/11/17/tunisie-presidentielles-moncef-marzouki-tel-que-j-ai-connu