Arabie saoudite : Les femmes saoudiennes… des « dépendantes »

Arabie saoudite : Les femmes saoudiennes… des « dépendantes » 938 400 René Naba

Dernière mise à jour le 25 septembre 2019

Paris- Deux grands pays musulmans ont été dirigés par le passé par des dames, le Pakistan, puissance nucléaire, par Benazir Bhutto, et la Turquie, première puissance militaire sunnite du Moyen Orient, par Tansu Ciller. L’Arabie Saoudite, elle-même compte deux milliardaires arabes de sexe féminin, la princesse Amira, ancienne épouse du Prince Walid Ben Talal, aujourd’hui divorcée après deux ans de mariage, et sa compatriote Loubna Alayane, ainsi que 100 femmes millionnaires.

Mais dans ce pays, la femme partout ailleurs une source de vie, la moitié de la planète, est réduite au statut de « dépendante », non pas mineure susceptible d’affranchissement à l’avenir, mais « dépendante », recluse de la société, frappée d’incapacité permanente, à jamais condamnée à la soumission éternelle.

Disposition sans doute unique au Monde, le ministère saoudien des affaires étrangères, soucieux de la paix des ménages, avise par SMS (short message system) les maris saoudien de la présence à l’étranger de leurs épouses. L’une d’entre elles, une importante femme d’affaires, excédée par ce zèle intempestif, en voyage à Vienne (Autriche), a vertement répliqué un jour au ministère : « Préoccupez-vous aussi de me signaler les maitresses de mon époux et surtout la date de leur rencontre ». Et si les Saoudiennes ont pu bénéficier de réformes économiques à la faveur du « printemps arabe », leurs droits politiques restent réduits à la portion congrue.

Certes, les Saoudiennes bénéficient de conditions matérielles bien meilleures que dans d’autres pays arabes (Egypte, Libye, Soudan, Libye, Yémen, Tunisie, Somalie etc..). Elles jouissent également d’un bon accès à l’éducation.

Plus de la moitié des étudiants dans les universités sont des femmes (56,6 % en 2011). Ce qui ne les empêche pas, par la suite, d’être confrontées à un taux de chômage élevé Selon une étude menée en 2010 par le cabinet de conseil en stratégie Booz & Cy, les femmes représentaient près 60 % de l’ensemble des diplômés de l’université, mais moins de 15 % de la main-d’œuvre du pays. Saluée comme un exploit, la prestation d’une sportive saoudienne aux Jeux Olympiques de Londres, l’été 2012, chaperonnée par son père, première participation d’une femme saoudienne à une compétition planétaire, loin de marquer le début d’une libéralisation progressive de la condition féminine, a témoigné de sa lourde servitude.

Même au sein de l’élite, l’ambiance peut paraitre oppressante et lourd le climat au point de conduire des princesses de sang royal à déserter leur royaume. Il en a été ainsi de Sara Bint Talal, la propre sœur de Walid Ben Talal, le milliardaire emblématique de la dynastie, qui a cherché l’asile politique au Royaume Uni. La dénommée « princesse Barbie » en raison de ses caprices et de sa vie fastueuse, a néanmoins préféré les brouillards de Londres au soleil d’Arabie. C’est dire …

Barack Obama et les femmes saoudiennes

Dans un geste explicite de soutien aux droits des femmes saoudiennes, Barack Obama a conclu sa visite en Arabie saoudite, au printemps 2014,  par un signe manifeste de soutien aux défenseurs des droits humains, rencontrant à Ryad Maha Al-Muneef, une activiste qui s’est vu décerner un prix du département d’Etat récompensant les « femmes courageuses ». Avant de s’envoler pour les Etats-Unis, le président américain a tenu à distinguer cette militante saoudienne, en lui serrant la main en public, le jour même où des femmes ont appelé à défier l’interdiction de conduire.

Maha Al-Muneef est une femme médecin qui dirige « le programme national pour la sécurité de la famille », qu’elle a fondé en 2005 pour lutter contre les violences conjugales et la maltraitance des enfants dans le royaume. Elle n’avait pu se rendre à Washington début mars pour recevoir son prix.

Deux des organisations de défense des droits, comme Amnesty International, avaient exhorté le président américain à faire pression pour que Ryad mette fin « à la répression de la liberté d’expression (…), à la discrimination contre les femmes et les minorités, et à toutes les formes de torture » dans ce royaume ultra-conservateur. Amnesty avait appelé le président américain « à exprimer sa consternation devant la discrimination contre les femmes en choisissant une femme comme son chauffeur officiel pendant la visite ». Les femmes réclament depuis trois décennies le droit de conduire en Arabie saoudite, qui applique une version ultra-rigoriste de l’islam et est le seul pays au monde où les femmes n’ont pas le droit de prendre le volant.

La requête inattendue au président Obama

Une requête inattendue attendait d’ailleurs Barack Obama, fin mars 2014 à Ryad, pour son premier déplacement officiel en Arabie saoudite depuis la brouille entre les deux pays, l’été 2013, consécutif au rapprochement irano-américain.

Entre les lourds dossiers que le président américain devait examiner avec son interlocuteur octogénaire, -du nucléaire iranien, à la prolifération djihadiste en Syrie, à la sclérose dynastique saoudienne à la guerre intestine entre le petit wahhabite du Qatar et le grand wahhabite saoudien-, une lettre anodine s’est insérée dans le parapheur présidentiel. Une lettre qui relève davantage du domaine privé que des affaires stratégiques. La requête d’une maman qui réclame le droit de voir ses filles, dont elle est privée depuis dix ans, dont le père n’est autre que le Roi Abdallah.

Ounoud Al Fayez (57 ans), deuxième épouse du monarque, réclame un droit élémentaire, le droit de visite. Les quatre filles qu’elle a eues du Roi Abdallah vivent en résidence forcée en Arabie saoudite depuis 10 ans. Quatre filles issues du 2eme mariage du Roi avec cette jordanienne, qu’il a épousé en deuxième noce, alors qu’elle avait quinze ans et que le futur roi était officier dans la garde nationale saoudienne.

Dans une démarche qui apparait destinée à récupérer ses filles, le roi, à l’époque prince de sang royal, était revenu sur sa décision de divorce et avait repris la vie commune avec sa 2ème épouse, avant de divorcer une nouvelle fois, retenant cette fois auprès de lui, ses quatre filles, ajoute la dame. Ounoud Al Fayez, une dame de la haute bourgeoisie jordanienne, est ancien professeur d’anglais en Arabie saoudite. Elle vit désormais à Londres où elle s’emploie avec l’aide de son avocat français Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères et un autre collaborateur Max Coupé d‘obtenir un droit de visite pour ses filles.

Le site en ligne « Ar rai al Yom » qui rapporte samedi 29 mars l’information ne précise pas quelle suite Barack Obama a donnée à cette requête. http://www.raialyoum.com/?p=68530 http://www.raialyoum.com/?p=61349

La version saoudienne des versets sataniques en vue

Sur fond de tension sociale entre modernistes et traditionalistes, une nouvelle affaire Salmane Rushdie a éclaté en Arabie saoudite, cette fois, avec la publication dans le quotidien Al Jazira d’un article de Fawzia Bakr traitant de la première épouse du prophète.

Sous le titre « Consolidation du statut de la femme saoudienne, l’exemple de Khadija Ben Khoueiled », l’écrivaine saoudienne évoque le rôle de la première épouse du prophète Mohamad dans la prophétie musulmane. L’article est élogieux et son auteure au-dessus de tout soupçon en ce qu’il s’agit d’une activiste saoudienne réputée pour son combat pour la promotion de la femme et la défense de ses droits.  « Le prophète est demeuré de longues journées en état de médiation sans que son épouse ne s’en plaigne. Si Khadija avait été une femme ordinaire et qu’elle n’avait pas perçu le rôle historique de son époux, elle lui aurait peut-être fait des reproches sur ses absences », avait notamment écrit Fawzia Bakr, professeure à l’Université du Roi Saoud.

« Que dire de son comportement lorsque le prophète lui a fait part de sa révélation divine ? Comment n’a-t-elle pas douté de lui, comment ne l’avoir pas suspecté de démence », a poursuivi l’universitaire, vantant les qualités de patience et de perspicacité de Khadija. En apparence des propos innocents et nullement irrespectueux. Mais le diable se niche dans les détails. Les esprits chagrins se retrouvent partout et cela n’a pas eu l’heur de plaire à tout le Monde. Plusieurs milliers de digitalistes, – c’est le sport à la mode actuellement en Arabie saoudite -, ont inondé le compte tweet de la dame de messages comminatoires jugeant qu’un tel sujet abordé dans les médias constituait une « offense au prophète ».

L’ire des fidèles saoudiens s’est surtout focalisée sur le fait que l’auteure a précisé que le prophète était d’origine bédouine et qu’elle a mentionné son nom sans toutefois l’accompagner des formules rituelles…Que Dieu le conserve en sa sainte garde…… Sallah Lahou aleihi Wa Sallam  (SAWAS). Le mot de la fin revient au Docteur Sanhate Badr al Oteiby : « Vous verrez, cette idiote finira par siéger au sein du conseil consultatif », l’organe consultatif nouvellement crée par le Roi et qui comporte 19 personnes de sexe féminin…… Ah, qu’en termes élégants, ces choses-là sont dites!

Salmane Rushdie, écrivain indo britannique, avait fait l’objet d’une fatwa de l’Iran le  condamnant à mort pour apostasie en Février 1989, pour avoir publié un livre « Les versets sataniques ».

Le titre du roman fait référence à un épisode hypothétique des prédications du prophète Mohamad, connu sous le nom de « Les Versets sataniques du Coran » au moment où celui-ci tente d’établir le monothéisme à La Mecque et se trouve en but à l’hostilité des notables polythéistes de la ville. Selon cet épisode, raconté de manière fictive dans le chapitre II du roman intitulé Mahound, le prophète, aurait d’abord énoncé des versets autorisant d’autres divinités que le seul dieu, avant de se rétracter.

En Arabie saoudite, nous n’en sommes pas encore au stade de l’autodafé, mais nous nous en rapprochons dangereusement. « Cette idiote finira par siéger au sein du conseil consultatif »… Quelle indignité. Que serait-ce alors si elle devait participer au vote des lois ? Ou pire Gouverner un pays comme la pakistanaise Benazir Bhutto, ou la turque Tançu Ciller, toute deux pourtant musulmane et pratiquante ? Pour le lecteur arabophone http://www.raialyoum.com/?p=72763

Une révolution copernicienne : Le sport licite pour les femmes et l’éducation sexuelle pour tous

La situation n’est pas si désespérée au royaume saoudien et une lueur d’espoir pointe timidement à l’horizon. Une révolution copernicienne vient en effet de se produire en Arabie saoudite.

Au terme d’un débat houleux entre partisans et adversaires de la libération de la femme, le conseil consultatif saoudien a autorisé la pratique du sport pour les personnes de sexe féminin. Le ministère de l’éducation saoudien a été chargé, mercredi 9 avril, de mettre en œuvre un plan d’action visant à assurer « la prestance corporelle et sanitaire » de la gente féminine « en conformité toutefois avec les prescriptions religieuses ». Aerobic, Aquagym, Waterbike, tout est désormais licite et s’ajoute au sport traditionnel des femmes saoudiennes longtemps confinées dans les harems….

Et ce n’est pas tout : dans une démarche d’une rare audace, le royaume a autorisé les personnes de sexe féminin du Royaume à enseigner aux enfants de sexe masculin dans les jardins d’enfant et les classes maternelles, brisant ainsi le tabou de la ségrégation sexuelle qui régit le pays depuis sa fondation, il y a près de cent ans.

Ces deux mesures sont considérées comme révolutionnaires dans un pays où la mixité est formellement interdite. Prudents, toutefois, les wahhabites ont accordé l’autorisation, pour un an, reconductible, sous réserve des résultats du bilan d’évaluation.

Education sexuelle

Mieux : Un universitaire saoudien a préconisé l’éducation sexuelle aux garçons et filles et sa généralisation aux programmes scolaires des écoles élémentaires et secondaires du Royaume pour combattre l’ignorance et réduire le taux de divorce et les violences sexuelles conjugales.

Mohamad As Seif, professeur des sciences sociales à l’Université d’Al Qassim, auteur de cette audacieuse proposition, a estimé que 50 pour cent des cas de divorce en Arabie sont imputables à des violences conjugales sexuelles ou affectives. Se fondant sur les rapports du ministère de l’intérieur et de la police religieuse, il relève que Les crimes sexuels figurent en tête des classements des crimes dans le pays.

  1. Seif préconise d’étendre cet enseignement aux personnes des deux sexes de l’âge de 10 à 30 ans, lequel devra se faire conformément à la culture musulmane, aux sciences sociales et à la psychologie. La violence sexuelle est occultée en raison des mœurs traditionnelles du pays et les autorités saoudiennes évitent d’aborder ce sujet en raison du conservatisme des mœurs du Royaume.
  2. L’universitaire a indiqué les statistiques de l’univers carcéral l’ont incité à faire cette proposition. http://www.raialyoum.com/?p=110031
En guise  de consolation, les femmes influentes arabes

En dépit des dures conditions la femme arabe réussit souvent réussit à desserrer l’étau pour se hisser à l’égal des hommes, leur damant le pion dans bien de domaines. Ci-joint pour le lecteur le classement 2014 des femmes arabes les plus influentes :

Cheikha Loubna al Kassimi, ministre commerce extérieur Emirats arabes unis, se trouve en tête de classement des femmes arabes les plus influentes du Monde, selon le classement bi annuel de la revue Arabian Business, réalisé le 8 mars 2014, à l’occasion de la journée internationale de la femme. En deuxième position figure Haifa Mansour, productrice de film, Arabie saoudite, suivi de Rym Al Hachémi (3me-Emirats Arabes Unis), 4ème Tawakol Karmane (activiste  Yémen), 5ème Loubna Al Alayane (Banque, Arabie saoudite), 6ème Hayat Sindy (Chercheuse, Arabie saoudite), 7ème Maria Dajjani (universitaire, Jordanie), 8ème Khawla Kreik (cancérologue, Arabie saoudite). Enfin Ghada Mohamad Amer (Vice-présidente Institut de sciences et de technologie de l’Université Banda (Egypte) est qualifiée d’une des plus influentes personnalités féminines du Monde musulman.

Trois Marocaines figurent dans le top 100 des femmes les plus influentes du monde arabe :

– Maha Laziri, présidente de l’ONG Teach 4 Morocco, classée à la 17e place. Son organisation opère dans le domaine de la promotion de la scolarisation des enfants marocains, la sociologue Fatima Mernissi, 42e position. Engagée dans le combat féministe, elle a créé les « Caravanes civiques » et « Femmes, familles, enfants » et Ismahane El Wafi, 73e, directrice générale du Centre international d’agriculture biosaline (CIAB).

Pour aller plus loin

À propos de l’excision et des mariages forcés : https://www.madaniya.info/2014/09/01/planete-terre-chiffres-honte/

Illustration

Barack Obama rencontre le 29 mars 2014 à Ryad, Maha al-Muneef, une militante saoudienne qui s’est vu décerner un prix du département d’Etat récompensant les « femmes courageuses » (c) Afp

René Naba

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l'AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l'information, membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme et de l'Association d'amitié euro-arabe. Auteur de "L'Arabie saoudite, un royaume des ténèbres" (Golias), "Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l'imaginaire français" (Harmattan), "Hariri, de père en fils, hommes d'affaires, premiers ministres (Harmattan), "Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David" (Bachari), "Média et Démocratie, la captation de l'imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l'Association d'amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Editorialiste Radio Galère 88.4 FM Marseille Emissions Harragas, tous les jeudis 16-16H30, émission briseuse de tabous. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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