Qatar : Déchéance arbitraire de la nationalité à l'encontre de 5 258 personnes, 2/2

Qatar : Déchéance arbitraire de la nationalité à l'encontre de 5 258 personnes, 2/2 938 400 Haytham Manna

Dernière mise à jour le 25 septembre 2019

Rapport établi par huit organisations de juristes chargées de la défense des droits de l’homme, dont Haytham Manna, Président de l’Institut Scandinave des Droits de l’homme, agissant en sa qualité de membre du Comité Arabe des Droits Humains, a été chargé de le valider après vérification de son contenu.

Adaptation dans sa version française : René Naba, responsable éditorial du site www.madaniya.info

I – Introduction théorique et juridique à propos de la nationalité

Le terme NATION a constitué le socle principal d’une séquence historique pleine et entière connue sous le nom de la séquence de l’État-nation, dont la NATIONALITE, son terme dérivé, en a constitué l’expression la plus adaptée pour démarquer d’une manière tangible, sur le plan des principes, dans le cadre d’une entité politique centrale, le NATIONAL et le TRANSNATIONAL, autrement dit déterminer la situation juridique distinguant le fils du pays de l’étranger.

Cette expression a été traduite par un terme qui diffère du terme français dont il est dérivé. At tajannos, Jinsyat… signifie intégrer la même genre humaine ou opter pour l’adhésion à la même gente humaine. Un acte qui constitue en même temps l’acceptation, tant sur le plan interne, au niveau de la nation, que sur le plan international, du principe du refus de la pureté de la race humaine et admet corrélativement d’une manière volontaire la logique de la diversité dans toutes ses déclinaisons (religion, langue, sexe, couleur) ; une diversité comparable au mariage au sein d’une même tribu, quand bien même le mariage endogène est privilégié au niveau tribal.

Le culte de la diversité implique une pédagogie promouvant, en les spécifiant dans des textes juridiques, l’idée que ce lien de nationalité est « un lien juridique politique, liant une personne à un état qui en fait un de ses citoyens ». Il en découle des droits et des obligations régis par une constitution et des lois qui définissent la catégorie de citoyens qui constitue le peuple de cet état, en tant qu’un de ses trois éléments constitutifs, en complément du territoire et du pouvoir politique.

Que la nationalité repose sur le JUS SANGUINIS (le lien de sang) ou le JUS SOLI (le lien du sol), elle constitue néanmoins une cause nationale relevant de la souveraineté de l’état.

Seul acte supranational traitant de la nationalité, la convention de La Haye, en date du 12 avril 1930, confirme ce principe en ce qu’il spécifie qu’il appartient à l’état, et à l’état seul, de définir dans sa législation ses nationaux, à charge pour sa législation de déterminer si un individu est un ressortissant de cet état ou non.

Il est de notoriété publique que le code de la nationalité se forge en intégrant les spécificités socio-culturelles du pays et qu’il se conçoit dans une optique dynamique. Ainsi le Royaume saoudien, fondé par Abdel Aziz, faute de cadres compétents à sa naissance, a choisi des membres de son gouvernement dans des pays situés hors de la péninsule arabique. Les fils du fondateur, sous l’effet de l’afflux humain induit par l’attractivité du pétrole, ont durci considérablement les conditions d’acquisition de la nationalité au point que la législation saoudienne en la matière est un exemple de fermeture et de chantage.

Israël, de son côté, refuse la reconnaissance du jus soli ou du jus sanguinis à un grand nombre de Palestiniens, propriétaires de la terre, découlant des différentes définitions juridiques de la nationalité, pour lui substituer le droit au retour à tout juif, de sorte que la religion devient la référence fondamentale, sinon unique, d’acquisition de la nationalité israélienne, quand bien même il existe, à tout le moins du point de vue théorique, des restrictions envers l’état en question pour autant qu’il ait souscrit à la législation internationale sur les droits de l’homme.

II – Les obligations internationales

Le Qatar a accédé à l’indépendance en 1970. Auparavant, sous protectorat britannique, le Royaume Uni a souscrit, le 12 avril 1930 et pour le compte de la principauté, à la convention de la Haye sur la nationalité. Certes, la détermination des critères d’acquisition de la nationalité relève de la compétence de l’état souverain en la matière. Toutefois, l’article 15 de la convention, précise que « Les enfants nés de père sans nationalité (apatrides), acquièrent la nationalité du pays de leur naissance.

Le Qatar n’a jamais émis la moindre protestation, -ni dans un texte législatif ou une proclamation politique,- envers les dispositions de la déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, qui reconnaît dans son article 15 deux principes fondamentaux :
– Le droit pour tout individu de disposer d’une nationalité
– L’interdiction de priver un individu de sa nationalité d’une manière arbitraire.

Ainsi donc, il n’est pas permis de priver arbitrairement un individu de sa nationalité ou du droit de changer sa nationalité.

En 1954, la communauté internationale a souscrit à une convention limitant les cas d’absence de nationalité. L’Article 1 er de ce texte proclame le principe que « tout état contractant confère sa nationalité à toute personne naissant sur son territoire et qui serait sans nationalité (apatride). Finalisée en 1960, la convention est entrée en vigueur en décembre 1975. Ces principales dispositions mentionnent les précisions suivantes :
– Tout état signataire de la convention accorde sa nationalité à tout individu naissant sur son territoire ; une mesure sans laquelle le nouveau-né serait apatride. Il importe de lui accorder la nationalité à sa naissance, en vertu de cette disposition d’abord, et sur la base d’une requête adressée à l’autorité compétente, ensuite. Toutefois, l’état signataire de la convention peut subordonner l’octroi de sa nationalité à des conditions spécifiques :

A – En vertu de la loi, dès sa naissance
B – Sur la base d’une requête présentée aux autorités compétentes

L’Article 7 de la Charte de l’Enfance souligne que le nouveau-né doit être déclaré immédiatement après sa naissance, lui ouvrant ainsi le droit, dès sa naissance, à un triple droit :
le droit à un nom, lequel, à son tour, lui ouvre le droit de connaître l’identité de ses parents, dans la mesure du possible et le droit de bénéficier de leur attention. L’état veille à aménager ses droits, conformément à sa loi nationale et à ses obligations internationales en la matière, en ce que l’enfant sans nationalité est considéré comme inapte à les assurer par lui-même.

L’Article 8 de cette charte confirme ce droit.

Qatar a souscrit à deux grands engagements internationaux concernant le droit de la nationalité dans les deux cas suivants :

A – Qatar a signé l’accord fondamental relatif aux Droits de l’Enfance, en date du 8 décembre 1992, ratifié le 3 avril 1995 avec entrée en vigueur le 3 Mai 1995. Cet accord marque l’engagement de la totalité des états signataires à reconnaître le droit à l’enfant à acquérir une nationalité à sa naissance, indépendamment du fait que ses parents soient apatrides ; Le droit de le conserver de même que le droit de le conserver assorti de l’impossibilité de l’en déchoir de manière arbitraire.

B – L’adhésion du Qatar à la convention sur l’éradication de toute forme de discrimination raciale. La constitution du Qatar, pour sa part, rejette toute forme de discrimination raciale. Ainsi son article 35 proclame que « Les individus sont égaux devant la loi, sans distinction entre eux en raison du sexe, de l’origine, de la langue ou de la religion ».

L’article 41 confère à sa législation sur la nationalité une valeur constitutionnelle en ce qu’il stipule « La nationalité au Qatar et ses dispositions sont déterminées par la loi. Il a valeur constitutionnelle ». Sur cette base, et en prenant en considération le fait que l’état du Qatar se soit toujours tacitement conformé à sa constitution pour tout ce qui a trait au combat contre toutes formes de discrimination ou atteinte aux droits de l’homme, de par son adhésion au corpus juridique de l’ONU, il découle qu’il n’existe aucune loi ordinaire autorisant la privation arbitraire de la nationalité et la production, sur grande échelle, d’apatrides du fait du Qatar.

Le facteur générateur de cette situation juridique est d’ordre politique en ce que la cible de cette mesure discriminatoire relève tous d’une même tribu que le pouvoir politique au Qatar considère d’office comme nourrissant une dualité d’allégeance entre le Qatar et l’Arabie saoudite.

Avec les conséquences qui en ont découlé de cette décision arbitraire pour eux et leur famille notamment :

L’interdiction de se procurer le moindre document attestatoire de la nationalité ; ce qui les prive de la possibilité d’être enregistré auprès des administrations concernées donnant accès au travail, à l’éducation et à l’enseignement, aux soins médicaux, que cela soit de manière officielle ou de facto. Ou de brandir la menace de déchéance de la nationalité comme moyen d’obtenir l’allégeance politique de la tribu au Qatar en la privant de toute activité oppositionnelle ou contestataire politique ou civile. En tout état de cause, ce comportement outrepasse le principe islamique et juridique selon lequel « Aucun porteur de charge ne doit porter le fardeau d’autrui (La tazor wazira wa zor oukhra), une forme de responsabilité par substitution.

Le code de la nationalité du Qatar de 1961 (N°15) prescrit qu’il importe de déchoir de sa nationalité le bénéficiaire en ce qu’il est seul responsable.

Il est nécessaire de souligner, à cette occasion, qu’il n’existe aucune décision judiciaire dans le domaine de la déchéance de la nationalité qui fait prévaloir le droit international et met en application le principe de primauté y afférent à l’effet de rétablir la nationalité à celui qui en a été privé et cela depuis l’indépendance du Qatar en 1970.

III – Le Jugement

Fait dangereusement sans précédent, le Qatar a déchu de sa nationalité la tribu « Al Ghofrane », dérivée de la confédération tribale d’«Al Mara» qui habite historiquement le Qatar, comprenant 972 chefs de famille pour finir par s’étendre via les ascendants descendants et collatéraux à 5.266 personnes, soit la totalité du clan « Al Ghofrane ».

La déchéance de nationalité a entraîné en cascade une série de privations tels que licenciement de leur travail, restitution de leurs logements, privation de tous les droits qui leur sont reconnus en tant que citoyen (soins médicaux, enseignement, eau et électricité, activités commerciales) avec injection de régulariser leur situation en tant que résident non qatari.

Par une décision en date d’octobre 2004, le Qatar a justifié sa position en faisant valoir que cette tribu est descendante d’une tribu saoudienne et qu’elle conservait la nationalité saoudienne.

IV – Les témoignages : « Un acte de discrimination raciale et d’épuration ethnique »

Des membres de la tribu sinistrée ont affirmé à plusieurs reprises que les autorités du Qatar se sont livrés à des actes d’intimidation à leur égard, prenant contact, à diverses reprises, à leur domicile, les menaçant d’arrestation, opérant des perquisitions directes à leur domicile, procédant à des arrestations de certains d’entre eux dans les enceintes mêmes des mosquées.

– Témoignage de Saoud Jarallah Al Marri, membre de la tribu « Al Ghofrane », dérivée de la confédération tribale « Al Mari », en arabe min fakhd (de la cuisse) « Al Mari ».

« Bon nombre des membres de la tribu sont dans un état déplorable, privés de salaires depuis des mois, avec interdiction aux associations de bienfaisance et caritatives de leur porter aide ou secours.

La confédération tribale « Al Mari » est l’une des plus anciennes tribus habitant le Qatar depuis plusieurs siècles. Elle était de surcroît en rapport très étroit avec la dynastie Al Thani dans les diverses composantes qui se sont succédés au trône depuis le fondateur de la dynastie Cheikh Qassem Ben Mohamad.

En 1972, un an après l’indépendance du Qatar, le nouvel émir Khalifa Ben Hamad al Thani, qui venait d’évincer son cousin par coup d’état, Cheikh Ahmad Ben Ali, avait ouvert largement les portes à une naturalisation de masse. Des milliers de personnes proches des tribus résidentes au Qatar, en provenance d’Arabie saoudite, de Bahreïn, d’Iran, du Yémen et d’autres pays du Golfe, avaient afflué au Qatar pour y acquérir sa nationalité, sans que personne ne leur demande de renoncer à leur nationalité antérieure

Saoud Al Mari a estimé que l’accusation portée à l’encontre de la tribu «Al Ghofrane» de détenir une double nationalité saoudienne et qatarie, -accusation concentrée sur cette tribu à l’exclusion de toute autre tribu ou famille-, constitue « un acte de diffamation et de mensonge ».

Dans une déclaration à une chaîne satellitaire, il a fait valoir que bon nombre de tribus et citoyens du Qatar ont conservé la double nationalité (des saoudiens, des bahreinis et des iraniens), valides, sans que le Qatar ait jugé bon de prendre des mesures à l’encontre de ces binationaux. Il a qualifié les mesures prises à l’encontre de sa tribu comme étant des actes relevant « de la discrimination raciale et de l’épuration ethnique ».

Saoud Al Mari a révélé que sa tribu faisait l’objet de vexations et de harcèlement depuis 1996, soit dans la foulée du coup d’état de Hamad Ben Khalifa Al Thani, contre son propre père. L’émir déchu avait tenté à l’époque de reprendre le pouvoir avec l’aide d’officiers de l’armée et de la police, mais cette tentative avait échoué. A la suite de cet échec, le nouveau pouvoir a accusé sa tribu de menées hostiles (incitation à la conspiration) dans la mesure où des membres de sa tribu avaient participé à la tentative de reconquête du pouvoir, aux côtés de l’émir déchu, c’est à dire le propre père du nouvel émir, innocentant des membres d’autres tribus qui avaient eux aussi participé à la tentative de reconquête, pour des raisons sociales ou tenant à leur parenté avec des responsables de la nouvelle équipe.

Les mesures ont porté sur la démission d’office et leur mise au chômage de fonctionnaires et de militaires de la tribu, à l’exclusion de toute autre tribu ; mesures assorties de l’interdiction d’accéder à des emplois civils, avec un prolongement des sanctions aux enfants, en les privant du certificat de bonne conduite délivré généralement à la fin du cursus scolaire et qui donne droit à postuler à des emplois publics. Parallèlement, des pressions psychologiques très fortes ont été exercées sur les membres de la tribu relevant du secteur privé, notamment les chefs d’entreprise.

La Ligue des Droits de l’Homme n’a jamais répondu à la moindre sollicitation des membres de la tribu et n’a entrepris aucune démarche pour venir en aide à ceux qui sont trouvés en état d’indigence du fait de son statut, un organisme gouvernemental tenu à l’obligation de réserve et se trouvant dans l’incapacité de commenter les décisions du pouvoir.

Les réseaux sociaux du Golfe se sont emparés de cette affaire s’interrogeant notamment sur la réaction tardive des autorités, notamment sur le fait qu’elles aient mis 9 ans avant de sanctionner la tribu et pourquoi avoir focalisé sur une seule tribu. Le débat sur les réseaux sociaux a porté en outre sur les motivations du Qatar, seul pays de la région à s’être distingué sur cette question, contrairement à l’Arabie saoudite et le Koweït.

Le quotidien saoudien « Al Yom » a fait état du recensement de près de 120.000 familles saoudiennes, porteuses de la nationalité koweïtienne. Le département de la nationalité du ministère saoudien de l’intérieur a transmis ces données, enregistrées sur bandes magnétiques, à son homologue koweïtien, dans une démarche de regroupement familial des bi-nationaux des deux pays, en vue de limiter la circulation sur la base des passeports des deux pays, comme cela a été le cas lors des attentats terroristes dont le Koweït a été le théâtre.

Le débat sur la toile a porté enfin sur le sort des autres tribus dérivées notamment sur la question de savoir si leur sort sera identique à celui de la tribu «Al Ghofrane» de même que sur le sort de cinq autres tribus suivantes : Al Hawajer, Al Boukouarah, Naim, Manah’a et Qaabane.

Les internautes ont réclamé enfin que les autorités du Qatar s’en remettent à l’avis des chefs des tribus.

Les réformes ne sauraient être retardées indéfiniment. Des dizaines de femmes vivent dans cette attente et suivent avec angoisse le déroulement de ces événements en ce qu’elles ont cruellement besoin de telles réformes. Car le fait que leurs enfants soient privés de la nationalité, d’une autorisation de séjour permanent posent de sérieux problèmes dont la résolution ne relèvent pas uniquement de la mise en conformité avec les Droits de l’homme, mais constitue un facteur de stabilité de la société.

V – De la nécessité d’une intervention

La Commission arabe des droits de l’homme et un ancien dirigeant d’Amnesty International ont été chargés de prendre contact avec les autorités du Qatar en vue de mettre un terme à cette tragédie. Un contact a été établi avec un responsable de la principauté, sympathisant des mouvements des droits de l’homme, à qui le dossier a été remis pour information. Au terme d’un entretien de 2H30 avec le Docteur Haytham Manna, délégué de la Commission Arabe des Droits Humains, le responsable qatari lui a promis d’intervenir.

Dans l’hypothèse où les efforts déployés auprès du gouvernement de Doha n’aboutissaient pas, le groupe de travail envisage de saisir le Haut commissariat pour les Droits de l’Homme ainsi que la Commission Européenne. Cette démarche devrait être accompagnée d’une campagne médiatique visant à porter l’affaire devant l’opinion publique internationale en vue de réclamer du Qatar l’abrogation de ces mesures arbitraires.

Article du journal Al Hayat

Près de cinq mille citoyens ont été privés de leur nationalité. Les membres de la tribu « Al Ghofrane » (Le pardon) du Qatar sont à la rue : sans patrie, sans avenir.

Riyad (Arabie saoudite) – Mohamad Al Moulfi- Journal « Al Hayat » 7 avril 2005

La décision du gouvernement du Qatar de retirer la nationalité à près de cinq mille membres de la tribu « Al Ghofrane » a provoqué un chamboulement radical dans leur mode de vie. Mohamad Ben Jaber Ben Saleh Ben Jalab Al Mari (60 ans), qui a servi pendant trente ans dans l’armée qatari, a été déchu de sa nationalité et privé de son salaire.

Il est devenu un Sans domicile fixe (SDF) errant, avec bon nombre de membres de sa tribu. Tous, pourtant, continuent de se considérer comme des enfants du peuple du Qatar. Ils son devenus sans identité. Leur seul tort est de constituer une des plus vieilles tribus du Qatar», selon le témoignage de plusieurs membres de cette tribu.

Dans une déclaration au journal « Al Hayat », Al Mari a fait part de sa perplexité : « Je ne parviens pas régler mes dettes car je ne dispose plus de revenus depuis que j’ai été privé de mon salaire. Je m’étonne que le ministère de l’intérieur ordonne la déchéance de notre nationalité et que dans le même temps les entreprises du Qatar nous réclament le remboursement de nos dettes en tant que citoyens du Qatar.

« Concernant les motifs invoqués par le gouvernement du Qatar sur une prétendue participation à une tentative avortée de coup d’état, il a assuré qu’il ignorait tout de cette affaire en ce ceux qui y ont participé sont en prison.

« Si l’accusation était vraie, pourquoi alors les autorités n’auraient-elles pas appliqué le même traitement à tous ceux qui avaient participé à la conspiration ?, s’est il interrogé affirmant que des membres de la famille Al Kawari ont été libérés après quelques jours de détention en raison du fait que le sous-secrétaire d’état au ministère de l’intérieur, en fonction lors du coup d’état, Ghasssane Al Hadafi, appartenant à la tribu « Al-Kawara », a mis à profit son poste pour libérer les membres de sa tribu.

Il en a été de même de la tribu « Al Mouhannadah », notamment Mohamad Ben Ali Al Mouhannad, qui, lui, a participé au coup d’état, de même que des membres de la tribu « Al Nouaimy », le directeur-adjoint des services de renseignement du Qatar, Ahmad Al Malki, ainsi qu’Omar Marzouk Al Abdallah, frère du chef adjoint de la conjuration en compagnie et des membres de la tribu Al Mari.

« Il ne s’agit donc pas de tentative de coup d’état, mais d’autres raisons. Nous souhaitons que le gouvernement du Qatar ait le courage de révéler les véritables raisons », a-t-il poursuivi, faisant valoir que les conjurés sont des officiers de l’armée et du ministère de l’intérieur qui avaient prêté serment d’allégeance à l’émir déchu Hamad Ben Khalifa Al Thani».

« Par rapport à ma situation personnelle, je suis chef d’une famille de 5 membres qui n’ont commis aucun crime. Comme revenus, je ne dispose que de ma pension de retraite, équivalente à 30 ans de service dans l’armée nationale au grade de sergent, le plus haut grade dans la catégorie des sous-officiers. Durant toute cette période, mon casier judiciaire était vierge de la moindre observation ou infraction juridique.

«Dans le programme matinal de Radio Qatar -« Ma patrie chérie, Bonjour »-, dont la présentatrice n’est autre que la doctoresse Ilham Badr, un de mes frères a tenté d’aborder le sujet en direct sur les ondes. À peine avait-il commencé à exposer notre cas que le programme a été interrompu. Nous avons finalement opté pour l’envoi d’une délégation de notre tribu au cabinet princier pour demander audience à l’émir en vue de se plaindre de la décision du ministère de l’intérieur. La délégation n’a pu rencontrer l’émir et nous n’avons toujours pas reçu de réponse.

Récit de Jaber Al Homrane Al Mari, chef d’une famille de 12 membres, au journal « Al Hayat » :

« Natif du Qatar, j’y ai vécu toute ma vie. J’ai été déchu de ma nationalité alors que j’étais en voyage à l’étranger. De sorte que je n’ai jamais pu retourner dans mon pays. Toutes mes tentatives ont été vouées à l’échec. Je suis connu de la police des frontières, dès que je me présente, ils me font signe de loin, par un mouvement des mains, pour me signifier mon interdiction d’entrée au Qatar. Cette mesure a d’ailleurs été notifiée à tous les postes frontières (air, terre,mer). Cette interdiction qui me frappe ainsi que tous les membres de ma famille.

« Le tragi-comique dans cette affaire est que la Banque Internationale et Islamique du Qatar a saisi mon domicile d’une valeur estimée de 800.000 riyals, vendu aux enchères pour la somme de 140.000 riyals, pour solder ma créance auprès de cet établissement d’un montant de 36.000 riyals. « Lorsqu’un proche m’a contacté pour m’informer de la mise aux enchères de mon bien,je lui ai demandé de contacter le directeur de la banque pour s’opposer à la vente. Mais il n’a pu le faire faute de documents officiels attesta tant de son identité. La vente a quand même eu lieu.

« Une autre tragédie frappe, elle, les membres de ma famille demeurée au Qatar. Ils n’ont pas accès aux soins. Aucun hôpital n’est autorisé à les admettre quelque soit leur état de santé. Des instructions ont été données à toutes les associations caritatives de ne venir en aide à aucun membre de ma tribu.

« Une des personnes âgées de notre tribu, un nonagénaire, se nourrit de produits nutritifs. Il ne peut être admis dans les hôpitaux. Il vit à son domicile et reçoit chaque jour la visite d’un délégué du ministère de l’habitat qui cherche à l’en déloger.

« À supposer que nous portions une autre nationalité. Nous ne sommes pas les seuls dans ce cas. Il existe des personnes d’une famille suédoise (les oncles maternels d’une personnalité qatarie de haut rang) qui portent des nationalités non qataries.

« Nous sommes en possession d’information faisant état du fait qu’un jour avant la fin d’une souscription lancée par une société foncière, une circulaire du ministère de l’intérieur donnait instruction aux banques d’accepter les souscripteurs déchus de la nationalité qatarie.

Mercredi, dernier jour de la souscription, les candidats ont amassé toute leur épargne, certains ont même emprunté à leurs amis, d’autres ont vendu l’or de leurs épouses, mere et sœurs, pour pouvoir souscrire. Les banques sont demeurées ce jour-là ouvertes jusqu’à minuit, bien au delà des horaires d’ouverture. Une fois qu’elles se sont assurées que les personnes déchues de la nationalité ont bien participé à la souscription, un ordre rétroactif leur interdisait d’y prendre part ; ce qui a eu pour effet de capter leurs avoirs. Pourtant, selon la législation bancaire, les sommes engagées dans des souscriptions doivent être restituées à leurs propriétaires dans un délai de trois mois.

« Nous vivons en location et vivons grâce à l’aide des associations caritatives. Nous avons choisi de vivre dans ce petit village en raison de la modicité du montant du loyer, de l’ordre de 800 riyals par mois, sans compter l’eau et l’électricité.

Récit d’ Abou Mohamad, un ressortissant d’un pays du Golfe au journal « Al Hayat ».

Abou Mohamad est un ami d’un membre de la tribu sinistrée d’« Al Ghofrane », une tribu dérivée de la confédération tribale d’Al Mari.

Emprisonné pendant 4 mois dans les prisons des services de renseignement du Qatar, son unique tort est d’avoir suggéré à sa famille d’adresser un message à organisation internationale des droits de l’homme. De la prison des services de renseignement, il a été transféré à la prison affectée à l’expulsion des indésiables. Il y est demeuré 15 jours d’où il a été expulsé vers l’Arabie saoudite. Ses biens ont été saisis, sa voiture, ses meubles. Il a été dégagé du Qatar avec les seuls vêtements qu’il portait sur lui.

Beaucoup de membres de cette tribu sont en instance d’expulsion, parmi eux des personnes agées. Abou Mohamad cite parmi les prisonniers qu’il a rencontré le nom de Hamad Al Mari, ingénieur aéronautique.
« Quand j’allais en prison, une déléguée de l’ambassade américaine s’est présente un jour à la prison. Ils nous ont alors transféré précipitamment vers une autre prison pour être soustrait à son regard. Ne reste dans cette prison que quelques perosnnes en infraction avec la législation sur le droit de séjour.

Ali Said Al Mari raconte, pour sa part, que son oncle, âgé de 75 ans, a été emmené de force en prison, puis contraint de quitter le pays au prétexte qu’il était une « personne non grata ». Avertis, ses enfants se sont précipités à la prison pour s’opposer à son expulsion. Mais leur oncle, soucieux d’éviter des incidents, a consenti à son expulsion.

« Mon frère a été condamné à perpétuité après la tentative de contre-coup d’état et ma famille a été déchue de sa nationalité, et moi, personnellement interdit de retourner au Qatar.

« La décision de déchéance de la nationalité s’est également appliquée aux personnes de sexe féminin de la famille, ainsi que sur nos emplois. Parmi les persnnes frapées par cette mesure figurent des institutrices, des médecins, des fonctionnaires et des membres du secteur privé ou public.

« Je me suis adressé au Cheikh Khalifa Ben Hamad (le souverain déchu), qui réside à Abou Dhabi (Emirats Arabes Unis) et lui ai exposé mon cas dans les moindres détails. Il a ordonné le versement de salaires pour une période limitée à tous ceux qui ont partcipé à la tentative.

Mariage interdit

« Autre grave problème : Nos jeunes, garçons et filles, ne peuvent contracter mariage, faute de pièces d’identité. Des mariages contractés sont frappés de suspension et la consommation du mariage ne eut avoir lieu par défaut de documents attestatoires d’identité. Des époux, interdits de séjour au Qatar résident ici en Arabie saoudite, alors que leurs épouses demeurent au Qatar.

Ayant contracté une dette au Qatar, et en ma qualité de citoyen du Qatar, les autorités de Doha ont fait un signalement à Interpol. J’ai été arreté à Al Ihassa’a (Arabie saoudite) et maintenu en détention jusqu’à ce que mes frères et proches apurent la dette.

Modalités d’expulsion du Qatar après retrait de la nationalité

« Après ton arrestation, ils transigent avec toi sur les conditions de ta remise en liberté, sous réserve que tu souscrives à ton expulsion du pays. En cas d’accord, un de tes proches se porte garant de restituer tes pièces d’identité au ministère de l’intérieur et t’accompagne au poste frontière le plus proche, généralement l’Arabie saoudite.

« Le garant n’est pas, non plus, à l’abri d’une expulsion, une fois sa mission accomplie. Ainsi mon frère a été mon garant. Ils l’ont choisi pour me placer dans l’embarras et me contraindre à lui remettre mes pièces d’identité. Une fis sa tâche accomplie, il a été privé de sa nationalité.

« Nous sommes désormais sans nationalité, q’il s’agisse de ceux qui ont été bannis vers l’Arabie saoudite ou ceux qui sont demeurés au Qatar.

L’épuration ethnique est un moindre mal

« L’épuration ethnique est un moindre mal que ce que nous subissons. La personne victime d’une épuration meurt, alors que nous, nous voyons notre fin, sans parvenir à l’atteindre.

Je lance un appel, au nom des membres de ma tribu, à toutes les organisations internationales, de prendre en considération notre cas.

« Comptons sur Dieu, le meilleur sur lequel l’on puisse compter (hasbyallah wa nihma al wakil)»

Document

Haytham Manna

Haytham Manna, Président du mouvement Qamh (Valeurs, Citoyenneté, Droits) en Syrie. Membre dirigeant de la Conférence Nationale Démocratique de Syrie. Co-président du Conseil Démocratique de Syrie, coalition de l'opposition démocratique et patriotique syrienne, est Président de «The Scandinavian Institute For Human Rights (SIHR-Institut Scandinave des Droits de L’homme). En exil en France depuis 35 ans, il s'oppose à tout recours à la force pour le règlement du conflit syrien. Son frère a été tué par les services de sécurité syriens et son cousin torturé au début du «printemps syrien», en 2011. Il est l’auteur de trois ouvrages «Islam et Hérésie, l’obsession blasphématoire», «Violences et tortures dans le Monde arabe», tous deux aux Éditions l’Harmattan, ainsi qu'un troisième ouvrage «Le Califat d Da'ech». Titulaire d’un diplôme sur la médecine psychosomatique de l’Université de Montpellier, il a exercé au sein de l’équipe médicale du professeur Philippe Castaigne au Laboratoire du Sommeil (Département de neurophysiologie) du groupe hospitalier Pitié Salpêtrière à Paris. Haytham Manna siège au comité directeur de Justicia Universalis et de l’Institut égyptien des études des droits de l’homme, titulaire des plusieurs distinctions honorifiques dans le domaine des droits de l’homme: Medal of Human Rights-National Academy of Sciences-Washington (1996), Human Rights Watch (1992).

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2 commentaires
  • Intéressante analyse que cet article nous révèle.
    Mais, curieusement, le qatar ne fait pas l’affiche des journaux lorsqu’il s’agit d’autre chose que des achats de biens immobiliers ou des actifs de sociétés à travers le monde…!
    Curieuse manière d’exister que celle de ce pays: puisqu’on peut posséder, on ferait ce que l’on veut dans le monde!! Triste!
    Merci pour ce texte.