Dernière mise à jour le 22 janvier 2024
Par Emir Sader * avec l’aimable autorisation d’el correo
La gauche latinoaméricaine a toujours eu des liens profonds avec la gauche européenne. Soit par les références idéologiques reçues depuis l’Europe -l’anarchisme, le socialisme, le communisme- soit par les penseurs et leurs théories , Marx et les marxismes, avant tout.
Ces liens s’exprimaient aussi sur le plan organisationnel, à travers l’affiliation à des organisations internationales, à travers les partis communistes, sociale-démocrates, trotskistes. Les thèmes communs -anti-impérialisme, anticolonialisme, anticapitalisme- rapprochaient aussi les courants des deux côtés de l’Atlantique.
Il y a toujours eu des sujets dont la compréhension a été différente de la part des gauches d’un continent et de l’autre. Les nationalismes, avant tout. En Europe, ils ont toujours été des courants de droite, chauvins, tandis qu’en Amérique Latine, ils ont toujours eu un ton anti-impérialiste, par conséquent progressiste.
Il y a eu un moment précis où ces liens ont souffert de changements importants. Depuis la deuxième moitié du XXme siècle, la gauche européenne avait toujours eu des attitudes solidaires avec la gauche latinoaméricaine, en proposant des alliances politiques.
Le virage du gouvernement de François Mitterrand entre la première et la deuxième année de son mandat a représenté une option stratégique de la social-démocratie européenne : une alliance subordonnée au bloc mené par les États-Unis d’Amérique et la Grande-Bretagne, au lieu de former un bloc avec les pays du Sud du monde – les victimes principales de la globalisation néolibérale.
Ce virage a été concomitant de l’adoption de variantes du modèle néolibéral par la social-démocratie européenne, inspirant des chemins similaires en Amérique Latine -de forces traditionnellement nationalistes, comme au Mexique et en Argentine, et d’autres, de caractère social-démocratique- comme au Chili, au Venezuela, et au Brésil, notamment.
Alors que se tiennent les élections pour le Parlement européen, les pronostics sont les pires possibles pour la gauche européenne. Mais ce que cause le plus d’étonnement en Amérique Latine est que la plus profonde et longue crise économique du capitalisme tout depuis de nombreuses décennies ne produit pas de grandes mobilisations populaires de résistance aux politiques d’austérité et le renforcement de la gauche mais, au contraire, ce les forces qui se renforcent sont celles de l’extrême droite.
Tandis que des gouvernements latinoaméricains résistent à la crise et continuent a réduire l’inégalité et la misère, en se servant des mêmes expériences keynésiennes des États-providence de l’Europe, les gouvernements européens reculent face aux politiques qui ont été désastreuses pour l’Amérique Latine entre 1980 et 1990.
Il est difficile de comprendre, depuis l’Amérique Latine, pourquoi cela se passe. Si plusieurs pays de notre continent aujourd’hui ont des gouvernements anti néolibéraux, c’est parce que nous avons opposé une forte résistance au néolibéralisme dans la décennie 1990 et nous l’avons vaincu. Bien sûr que les conditions sont différentes : l’unification européenne est un piège qui complique. Mais il n’est pas moins certain que l’absence de résistance massive est la toile de fond de la faiblesse de la gauche européenne.
Emir Sader pour Página 12
Página 12. Buenos Aires, le 24 mai 2014.
* Emir Sader est philosophe et professeur de sociologie à l’université de l’Etat de Rio de Janeiro (UERJ) et à l’Université de São Paulo (USP).
Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi
Illustration
- Un vélo-taxi à La Havane, le 28 septembre 2014. REUTERS