Dernière mise à jour le 4 novembre 2015
Le triomphalisme de Recep Tayyip Erdogan est-il à la hauteur de ses propres enjeux ? Alors que de nombreux observateurs locaux et régionaux annonçaient une élection difficile, voilà que les résultats leur donnent tort. Enfin, sur là où les Turcs ont pu se prononcer. Mais le triomphe, pour le président turc n’est pas aussi fort qu’il aurait souhaité et la courte majorité obtenu ne suffira pas pour changer la constitution. Tel était aussi le dessein d’Erdogan.
Les Kurdes laminés ?
Toujours en guerre contre le PKK, Erdogan a profité de ces élections pour accentuer la pression contre les Kurdes. Une pression dont il s’autorise toute légitimité puisque ses propres alliés ne lui en font pas grief.
En portant la guerre contre eux, plutôt que contre Da’ech, le président entraine une grande partie de sa population derrière lui en agitant l’épouvantail des attentats et du chaos. Alors, quand les efforts militaires ne suffisent pas, la «privation du droit de vote» et la «triche électorale» deviennent des armes fatales.
Ainsi plus de 139 villages favorables au Parti Démocratique des Peuples (HDP, pro kurde) ont-ils étaient privés d’urnes… Déjà, 190 candidats du HDP avaient été arrêtés au lendemain des élections de juin, et quelques semaines avant les élections, ce sont près de 500 supporters et partisans du HDP qui ont été mis au secret, dont certains semblent avoir disparus depuis…
Dans certains endroits, la triche est manifeste est digne des zones de non droits. Comme ce procès-verbal l’atteste :
- 3049 inscrits
- Votants 332
- AKP 341 voix !
Dès lors, quel crédit peut-on accorder à ce nouveau parlement et aux décisions qui en émaneront ?
Si le HDP avait réalisé un assez bon score (13% en juin), la campagne électorale menait par le président et son premier ministre aidés par les attentats revendiqués par le PKK, les dirigeants du HDP ont été pris au piège de la «realpolitik » turque.
Erdogan a su habilement exploiter le filon de la peur des attentats, accusant le PKK d’être à l’origine des tous les maux de la région et assimilant, de facto, les forces du HDP aux PKK… La ficelle était grosse mais les électeurs turcs l’ont gobé, digéré et même récupérée.
Au soir des élections les premières exactions avaient lieu dans différents centres villes contre les boutiques, des centres culturels, de la presse Kurde. Un début de pogrom contre lequel les autorités d’Ankara n’ont ni dénoncé ni tenté de calmer…
Les voix extérieures, différentes…
Si sur le sol turc, les forces de l’AKP arrivent à se maintenir, moyennant moultes tricheries et subterfuges, les résultats en provenance de l’étranger montrent un tout autre tableau de la réalité.
Le Parti Républicain du Peuple (kemalistes) arrive en tête aussi bien au Qatar, en Oman, en Iran où aux Emirats Arabes Unis.
Cette préférence pourrait-elle donner la vraie tendance des ces élections ? Là, dans les établissements consulaires, dans les ambassades la triche est nettement moins aisée, plus difficile à organiser.
Force est de constater que loin des mains du pouvoir central d’Ankara, le combat d’Erdogan ne semble guère émouvoir les expatriés.
Les silences de ses alliés…
Pourtant toujours prompts à s’enflammer pour défendre les principes sacro-saints de la démocratie, les alliés européens et américains d’Erdogan sont restés muets sur les tricheries, les exactions subies par les Kurdes, les journalistes et la négation de la liberté d’expression de la presse comme de l’opposition.
Pire est le silence coupable dans lequel les peuples européens se drapent, fermant leurs yeux devant les bombardements des Kurdes, plutôt que sur les terroristes de Daes’h. Les Européens qui sont submergés par les vagues de réfugiés, «incités» par les autorités d’Ankara à quitter les camps de Turquie et qui, avec la complicité volontaire ou non des Grecs, fondent sur l’Europe. Cette manœuvre, calculée et autorisée par le pouvoir d’Ankara, a fait intégralement partie de la campagne électorale de l’AKP et d’Erdogan qui, ainsi, se débarrassait de près de 300.000 réfugiés tout en apportant quelques garanties d’une meilleure sécurité dans le pays et gagnait ainsi quelques voix… mais tout en conservant une main d’œuvre bon marché et disponible sous le coude.
Car la Turquie est aujourd’hui l’atelier de l’Europe pour bon nombre de biens de consommation…
Et maintenant, la note qui sera salée…
Oui, la Turquie vient de voter. Oui Erdogan semble bien avoir gagné. Mais pas assez pour changer la Constitution comme il le souhaitait. Il a un peu corrigé ce qu’il considérait en juin comme un camouflet.
Et certains commencent déjà à en payer le prix fort. Pas seulement les Kurdes, la presse, les avocats, les militants des Droits de l’homme.
Mais aussi les syndicalistes et tous ceux qui vont avoir le malheur de montrer leur hostilité au « nouveau maître d’Ankara », sana compter les réfugiés qui sont fortement incités à aller voir en Europe s’ils peuvent espérer une meilleure vie. Le prochain gouvernement va devoir apprendre à gérer ces allègements structurels, tout en résolvant la crise économique qui couve et quoi de mieux pour fédérer un peuple que de se trouver un ennemi commun, comme les Kurdes, tous assimilés au PKK et donc déclarés ennemis de la Nation.
Ces élections vont entraîner de nouveaux changements stratégiques dans cette région… La Turquie va accentuer sa campagne anti kurdes, Erdogan ayant choisi le camps des terroristes, ouvrant ses frontières aux combattants débandés par les frappes russes, hospitalisant et soignant les blessés et permettant aux retardataires de rejoindre le front en Syrie ou en Irak.
Et comme la nature a horreur du vide, le mouvement des Frères Musulmans ayant de moins en moins d’influence car de plus en plus assimilés par de nombreux gouvernements locaux comme terroristes, Erdogan est entrain de déployer son propre système pour contrôler cette vaste région, sous couvert d’alliance avec l’Europe et les Américains, se rêvant devenir l’Ata Türk des temps moderne, l’intégrisme religieux en bannière en guise de cimeterre …