Dernière mise à jour le 22 janvier 2024
Entretien réalisé par Pierre BARBANCEY et Hassane ZERROUKY – L’Humanité
Président du Conseil démocratique syrien, opposition démocratique et laïque, Haytham Manna salue le vote à l’unanimité de la résolution
de l’ONU qui ouvre la voie à une solution politique en Syrie. Il souhaite avancer vers un État de droit et un système parlementaire.
Le Conseil démocratique syrien (CDS) a été créé le 10 décembre. Pour la première fois, il unit les démocrates laïques. Il réunit des formations qui se trouvaient au sein des comités de coordination pour le changement démocratique, des personnalités indépendantes, les partis assyriens et les partis kurdes du Rojava. Ainsi que les Forces démocratiques de Syrie (groupes armés composés des Kurdes YPG/YPJ et de milices arabes). Il est présidé par Haytham Manna.
Quelle est la signification du vote à l’unanimité par le Conseil de sécurité de cette résolution de l’ONU ?
Haytham Manna Soulignons d’abord qu’il s’agit d’une très bonne résolution. D’abord, parce qu’elle a été justement votée à l’unanimité. Jusqu’à maintenant, les Syriens ont été les victimes des affrontements existant sur le terrain, pour des causes n’ayant rien à voir avec le mouvement social qui avait commencé en 2011. Voter ensemble signifie qu’il faut mettre fin à cette guerre. Par ailleurs, il est certain que pour arriver à un compromis il faut faire des concessions mais avec un résultat positif pour tout le monde. Nous avons toujours dit qu’il fallait faire une distinction entre l’État et le régime syrien. Il faut insister sur les institutions et la continuité de l’État. Et, dans le même temps, ne pas tomber dans les pièges libyen et irakien. La résolution prend en considération tout ce que nous avons défendu alors que certains groupes de l’opposition nous accusaient d’être trop modérés, voire d’être complices du gouvernement ! Or, nous avons toujours défendu une position réalisable. On ne peut pas faire la paix avec des slogans ou un programme irréalisable. Dans ce sens, la résolution est une étape essentielle pour ouvrir la voie à une solution politique. Nous en avons assez de la domination du terme « solution militaire ». Cette « solution militaire » a fait plus de 250 000 victimes. Il y a un afflux de terroristes que même l’Afghanistan n’a pas connu. Pourtant, certains voudraient se concentrer sur la question de savoir si Assad va partir demain ou dans six mois. Le plus important est d’obtenir un changement de ce système autoritaire vers un régime démocratique. Quand il y aura un changement réel de système, il est certain que les figures de l’ancien régime vont perdre leur place. Une solution militaire est une illusion, même si l’on continue à entendre des voix allant dans ce sens et venant d’Arabie saoudite, du Qatar ou de la Turquie.
La résolution de l’ONU prévoit une négociation entre l’opposition et le gouvernement syrien. Comment sera composée la délégation de l’opposition ?
Haytham Manna L’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, doit préciser et négocier avec l’opposition pour composer notre délégation. Avec les interventions devant la presse de John Kerry et Sergueï Lavrov, et le contenu de la résolution de l’ONU, on comprend qu’il existe trois références : Riyad, Le Caire et Moscou, c’est-à-dire les trois conférences de l’opposition. Et Lavrov ajoute Hassaké, la conférence que nous avons organisée le 10 décembre dernier, date constitutive du Conseil démocratique syrien (CDS).
Comment les différents groupes de l’opposition vont-ils se mettre d’accord ?
Haytham Manna Nous, les démocrates laïques, sommes prêts à rencontrer le groupe de Riyad pour une délégation commune s’ils en sont d’accord. Pour cela, il faut une feuille de route claire et une charte nationale qui détermine la nature de l’État syrien de demain. Nous sommes pour un État où, dès le départ, le rapport entre le religieux et le politique est défini. Nous sommes pour un État qui donne les mêmes droits à tous ses citoyens, qu’ils soient hommes ou femmes, arabes ou kurdes ou assyriens, musulmans, chrétiens ou autres. Y compris pour être président de la République. Et nous défendrons un système parlementaire parce que les Syriens en ont marre du régime présidentiel. Dans ce cadre, nous sommes prêts à une délégation commune.
Vous semblez optimiste, ce qui n’est pas le cas des représentants de la Coalition nationale syrienne (CNS)…
Haytham Manna C’est normal. La CNS ne sait pas ce qu’est une négociation politique. Pendant quatre ans, elle n’a cessé de demander des armes pour changer le rapport de forces sur le terrain et obtenir une victoire militaire. Ils ont participé à l’assassinat de la solution politique. Donc, la CNS a besoin de temps pour déchiffrer la solution politique voulue maintenant par la communauté internationale. Malheureusement, ils avaient le soutien des Occidentaux, des pays du Golfe et de la Turquie. Avec la résolution, ceux qui ne participent pas ou ceux qui sont contre seront traités comme les groupes terroristes. Ils doivent participer à des négociations pour aboutir à ce qui est, pour nous, une solution de transition. On ne pense pas que les négociations maintiendront le statu quo d’un régime dictatorial. Celui-ci est mort. Il ne faut pas que des réformes. Il faut un changement. Les négociations donneront le sens, la nature, la structure et le fonctionnement de l’État syrien de demain.
Haytham Manna, est Président du Conseil démocratique syrien
Illustration
Abd Rabbo Ammar/ABACA
« Les négociations donneront le sens, la nature, la structure et le fonctionnement de l’État syrien de demain. »
On peut espérer que des élections aideront à faire ce sens, cette nature, cette structure et ce fonctionnement, en prenant en compte aussi la Syrie que H. Manna voit « morte » et qui a souffert ces 5 ans pour survivre quand même.