Dernière mise à jour le 29 janvier 2016
« أحمد بن سعادة »
En plus de former les cyber-activistes, les organismes d’«exportation de la démocratie» financent une myriade d’ONG locales disséminées dans tous les pays arabes, telles des succursales locales de la promotion démocratique. Seule la NED publie annuellement ses rapports d’activités tel que montré dans le tableau suivant.
Aide financière offerte par la NED aux ONG arabes durant les années 2009 et 2010.
On constate donc que la NED dépense, à elle seule, autour de 15 millions de dollars annuellement en subventions directes aux ONG arabes. La lecture détaillée de ces rapports recèle quelques renseignements très intéressants.
On y apprend, par exemple, que l’ONG yéménite «Women Journalist Without Chains» (Femmes journalistes sans chaînes) a reçu des subventions de la NED pendants les années 2008, 2009 et 2010. Cela peut paraître banal, sauf que cette ONG a été créée et dirigée par Tawakkol Karman, la seule femme arabe ayant obtenu le Prix Nobel de la Paix (2011). D’autre part, Tawakkol Karman, considérée comme la «pasionaria» de la révolte yéménite, a été à la tête des manifestations qui se sont déroulées au Yémen. Cela devient encore plus intéressant lorsqu’on apprend que cette activiste politique islamiste a été très proche de l’ambassade américaine à Sanaa, ce qui lui a permis d’obtenir des subventions, d’être invitée aux États-Unis et d’y rencontrer, entre autres, Hillary Clinton et Michelle Obama et ce, bien avant le «printemps» arabe (1).
Pour aller plus loin à propos de Tawakkol Karman https://www.madaniya.info/2015/11/10/tawakkol-karman-la-triple-imposture-du-prix-nobel-de-la-paix-2011/
Cette proximité des activistes avec les ambassades américaines n’est pas uniquement l’apanage du Yémen. De nombreux câbles Wikileaks ont révélé que l’ambassade américaine au Caire n’était pas en reste (2). Les détails contenus dans les messages tendent à prouver que certains activistes étaient des collaborateurs «assidus» de la représentation diplomatique américaine. À titre d’exemple, citons le cas du cyber-activiste Bassem Samir, directeur exécutif de l’ONG «Egyptian Democratic Academy» qui a été financée par la NED (3). Petite précision: Israa Abdel Fattah, connue en Égypte comme la «Facebook girl» et co-fondatrice du Mouvement du 6 avril, est «Responsable de projets» de cette ONG (4). Pour mettre en exergue les relations entre certains cyber-dissidents et l’administration américaine, mentionnons que ce même Bassem Samir a été nominativement cité par Hillary Clinton (en personne) dans son fameux discours «Remarks on Internet Freedom» de janvier 2010 où il était officiellement invité par le Département d’État (5). Dans un article publié par le Washington Post, C.J. Hanley estime que depuis 2005, plus de 10.000 Égyptiens ont participé à des programmes de «démocratie» et de «gouvernance» financés par l’USAID et organisées par le NDI et l’IRI ainsi que 28 autres organisations internationales et égyptiennes (6).
On y apprend aussi que l’USAID a demandé une dotation de 104 millions de dollars spécialement pour les pays arabes en 2011. Juste pour l’Égypte, certaines sources avancent que l’administration américaine dépense environ 20 millions de dollars par an «pour la promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance» (7). Ce rythme s’est accéléré après la chute du président Moubarak. Anne Paterson, la nouvelle ambassadrice américaine au Caire, a admis en juin 2011 que les États-Unis ont dépensé pas moins de 40 millions de dollars pour la «promotion de la démocratie» depuis février 2011 (8). Cet événement est d’ailleurs l’étincelle qui a provoqué la tension entre les autorités égyptiennes et américaines et dont il est question en introduction de ce texte. Il est aussi intéressant de noter qu’en plus d’être subventionné par le programme POMED, l’organisme tunisien «Al Kawakibi Democracy Transition Center» dirigé par Amine Ghali (dont il a été question auparavant) est un centre financé par la NED (9). En Jordanie, l’organisation «Al Quds Center for Political Studies» dirigée par l’activiste Oraib al-Rantawi est subventionnée par le NDI (10).
Dans les rues d’Alger, la contestation a été conduite par la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), mouvement regroupant divers partis politiques, ONG et syndicats. Parmi eux, on peut citer la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), le Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (SNAPAP) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD). La consultation des rapports annuels de la NED montre que la LADDH a reçu des subventions américaines en 2002 (11), 2003 (12), 2005 (13), 2006 (14) et 2010 (15).
Le SNAPAP, quant à lui, est en relation étroite avec le Solidarity Center, une des quatre composantes de la NED (16). Le 4 mars 2011, en plein «printemps» arabe, la directrice du département international du Solidarity Center, Cathy Feingold, a écrit une lettre au Président Abdelaziz Bouteflika. Elle lui a fait part de son inquiétude concernant la violence policière contre les «manifestants pacifiques» en Algérie en précisant que «nous Solidarity Center notons avec une vive préoccupation que, parmi les personnes blessées récemment, figurait le dirigeant syndical M. Rachid Malaoui président du secteur public de l’union syndicale nationale autonome du personnel d’administration publique (SNAPAP) »(17). Cathy Feingold envoya une autre lettre au Président Bouteflika où le nom «du militant CNCD de premier plan» M. Malaoui est cité trois fois (18). De son côté, le président du RCD a été cité dans un câble Wikileaks qui révèle ses discussions compromettantes avec l’ambassadeur américain à Alger (19).
Après avoir analysé une série de câbles Wikileaks relatifs à la Syrie, le Washington Post a révélé que les États-Unis avaient, en secret, financé l’opposition syrienne depuis 2006. Les dissidents syriens exilés regroupés sous la bannière du «Mouvement pour la justice et le développement » ont reçu quelques 6 millions de dollars pour financer une chaîne de télévision ainsi que diverses «activités» antigouvernementales à l’intérieur de la Syrie. Ces financements ont commencé sous l’administration Bush et ont continué sous celle d’Obama au moins jusqu’en septembre 2010. D’autre part, un télégramme de l’ambassade des États-Unis à Damas révèle qu’une somme de 12 millions de dollars a été versée de 2005 à 2010 au volet syrien d’un programme du Département d’État nommé «Initiative de partenariat pour le Moyen-Orient» (Middle East Partnership Initiative) (20).
Dans un article très détaillé sur le Conseil National Syrien (CNS) publié par The Guardian, Charlie Skelton montre que les figures marquantes de l’opposition syrienne, comme Bassma Kodmani, Radwan Ziadeh et Ausama (autrefois Osama) Monajed, sont étroitement liées à des organismes «démocratiseurs» américains, depuis bien avant 2011 (21). «En effet, un certain nombre de personnalités importantes du mouvement d’opposition syrienne sont des exilés de longue date qui étaient subventionnés par le gouvernement américain pour saper le gouvernement Assad bien avant le déclenchement du printemps arabe», dit-il. Une seule petite précision à ajouter à cet article déjà très riche en informations : Radwan Ziadeh est aussi en étroite relation avec la NED (22). Pour ce qui est de la Libye, on apprend qu’Ali Ramadan Abouzaakouk, fondateur de l’ONG de défense des droits de l’homme «Libya Forum», Abdel Majid Biuk, fondateur de «Transparency Libya», et Ashour Al-Shamis, réfugié à Londres et animateur du site «Akhbar Libya», sont tous financés par la NED (23).
Cette «hyperactivité» des organismes d’«exportation de la démocratie» est admirablement bien illustrée par l’intérêt que porte le sénateur John McCain aux péripéties du «printemps» arabe. En plus de ses multiples déclarations sur la démocratie et l’ingérence armée pour l’implanter, on l’a vu se déplacer physiquement dans les pays «démocratisés»: Tunis, le 21 février 2011; Le Caire, le 27 février 2011; Benghazi, le 22 avril 2011.
Mais qu’est qui peut bien faire courir ce sénateur des États-Unis en terres balayées par le «printemps» arabe ? Certainement pas son statut de sénateur, ni le fait qu’il soit membre de la Commission des forces armées au sénat américain sinon on pourrait se poser des questions sur «l’oisiveté» de ses collègues sénateurs. L’explication ne viendrait-elle pas de son rôle de «patron» de l’IRI qui vient vérifier comment ses investissements se sont comportés à la suite de placements «démocratiques»? Ne serait-ce pas là la réponse à une des questions posées dans l’introduction de ce texte ?
Parions que John McCain rêve actuellement de parader sur les rues de Homs, Deraa ou Idlib encadré de rebelles syriens armés et entouré d’une mer de drapeaux vert, blanc, noir, frappés des trois étoiles.
En guise de conclusion
Bien qu’émanant d’une mauvaise situation politique et socioéconomique, les révoltes de la rue arabe ne sont pas aussi «spontanées» qu’elles ne le paraissent. Il est clair, que l’existence de ce «terreau fertile» à la déstabilisation a facilité la tâche des «démocratiseurs».
Des millions de dollars ont été dépensés par de nombreux organismes américains «d’exportation de la démocratie» pour la formation et le financement de dissidents arabes et ce, des années avant le «printemps» arabe. L’expertise des activistes serbes de CANVAS ainsi que celle des spécialistes des médias sociaux et des nouvelles technologies ont été mises au service de ces dissidents qui les ont utilisées avec beaucoup d’efficacité, surtout en Tunisie et en Égypte.
À travers toutes ces actions, le Département d’État américain et son réseau d’ambassades dans les pays arabes ont été directement ou indirectement impliqués dans cette vaste campagne de restructuration géopolitique du monde arabe.
Dans ce cadre, les «géants» des nouvelles technologies, comme Google, Facebook, Twitter et Youtube travaillent de concert avec le Département d’État. D’autre part, l’attitude complaisante des États-Unis face aux monarchies arabes du Golfe, exemples «pédagogiques» de régimes antidémocratiques, laisse planer un doute sur l’importance de la démocratie dans ce processus «printanier». Plus encore, son inaction (voire son soutien au régime) face à la répression sanglante des manifestants bahreïnis par les autorités du Royaume de Bahreïn montre que la «démocratie» et les «droits de l’homme» ne sont que des prétextes fallacieux. Les peuples originaires des monarchies arabes n’ont-ils pas eux aussi le droit de jouir du «printemps» démocratique tout comme leurs frères et sœurs des républiques arabes ?
Ce n’est un secret pour personne : la politique étrangère des États-Unis n’a jamais été un modèle de philanthropie. Faut-il alors s’attendre à ce que les Américains aient leur mot à dire dans la conduite des affaires politiques et économiques des pays arabes «démocratisés»?
Cela expliquerait l’œil ouvert sur les uns et l’œil fermé sur les autres.
À propos
Ce texte fait partie de l’ouvrage :«La face cachée des révolutions arabes», CF2R, Éditions Ellipses, Paris, décembre 2012.
Note
- Ahmed Bensaada, «Mais qui est donc Tawakkol Karman, la première femme arabe nobélisée?», Le Quotidien d’Oran, 13 octobre 2011, http://www.calameo.com/read/0003668468e60f04bc483
- Ahmed Bensaada, «Arabesque américaine: Le rôle des États-Unis dans les révoltes de la rue arabe », Op. Cit.
- NED, « Egypt », 2010 Annual Report, http://www.ned.org/publications/annual-reports/2010-annual-report/middle-east-and-north-africa/egypt
- Egyptian Democratic Academy, «About us», http://egyda.org/blog/about/
- Hillary Rodham Clinton, «Remarks on Internet Freedom», Op. Cit.
- Charles J. Hanley, «US training quietly nurtured young Arab democrats», Washington Post, 13 mars 2011, <http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2011/03/12/AR2011031202234.html
- RT America, «US dollars fight to fund popular movements abroad», 14 janvier 2011, <http://rt.com/usa/news/usa-funding-movements-abroad/>.
- Cam McGrath, «EGYPT: Military Rulers Clamp Down on Civil Society», IPSNews, 5 janvier 2012, http://www.ipsnews.net/2012/01/egypt-military-rulers-clamp-down-on-civil-society/
- NED, “Tunisia», 2011 Annual Report, http://www.ned.org/publications/annual-reports/2011-annual-report/middle-east-and-north-africa/tunisia
- Charles J. Hanley, «US training quietly nurtured young Arab democrats», Op. Cit.
- Sourcewatch, «Algerian League for the Defense of Human Rights», http://www.sourcewatch.org/index.php?title=Algerian_League_for_the_Defense_of_Human_Rights
- Ibid.
- NED, «Algeria», 2005 Annual Report, http://www.ned.org/publications/annual-reports/2005-annual-report/middle-east-and-north-africa/description-of-2005-gra-1
- NED, «Algeria», 2006 Annual Report, http://www.ned.org/publications/annual-reports/2006-annual-report/middle-east-and-northern-africa/description-of-2006–1
- NED, «Algeria», 2010 Annual Report, http://www.ned.org/publications/annual-reports/2010-annual-report/middle-east-and-north-africa/algeria
- Solidarity Center, «Algeria», http://www.solidaritycenter.org/content.asp?pl=863&sl=407&contentid=861
- Cathy Feingold, «Letter from AFL-CIO International Director Cathy Feingold to Algerian President Abdelaziz Bouteflika, , 4 mars 2011, http://www.solidaritycenter.org/files/algeria_cflettertobouteflika030411.pdf
- Cathy Feingold, «Letter from AFL-CIO International Director Cathy Feingold to Algerian President Abdelaziz Bouteflika», 14 octobre 2011, http://www.solidaritycenter.org/files/algeria_cfletter101411.pdf
- Ahmed Bensaada, «Arabesque américaine: Le rôle des États-Unis dans les révoltes de la rue arabe», Op. Cit.
- Craig Whitlock, « U.S. secretly backed Syrian opposition groups, cables released by WikiLeaks show », Washington Post, 17 avril 2011, http://www.washingtonpost.com/world/us-secretly-backed-syrian-opposition-groups-cables-released-by-wikileaks-show/2011/04/14/AF1p9hwD_story.html
- Charlie Skelton, « The Syrian opposition: who’s doing the talking? » The Guardian, 12 juillet 2012, http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2012/jul/12/syrian-opposition-doing-the-talking
- NED, «10 years of the Reagan-Fascell Democracy Fellows Program », 2012,
- http://www.ned.org/docs/Reagan-FascellDemocracyFellowsProgramTenthAnniversaryTribute.pdf
- Christophe Ayad, «Quand la société française Amesys aidait Kadhafi à traquer les opposants libyens», Le Monde.fr, 2 décembre 2012, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/12/02/quand-la-societe-francaise-amesys-aidait-kadhafi-a-traquer-les-opposants-libyens_1612924_3212.html