Dernière mise à jour le 22 janvier 2024
Ou le récit de la collaboration souterraine entre Le Royaume saoudien et la CIA pour le financement, l’armement et l’entraînement de la rébellion syrienne.
«U.S. Relies Heavily on Saudi Money to Support Syrian Rebels» / «Les États-Unis comptent fortement sur l’argent saoudien pour soutenir les rebelles syriens». Par Mark Mazzetti and Matt APUZZOJAN, 23 Janvier 2016 (New York Times). La version française a été assurée par la rédaction www.madaniya.info
Principaux points :
- Un partenariat qui remonte aux contras du Nicaragua dans la décennie 1970-1980.
- Un partenariat qui perdure malgré les fluctuations des relations saoudo-américaines.
- Une contribution financière saoudienne aux rebelles syriens de l’ordre de plusieurs milliards de dollars, y compris une importante transaction avec la Croatie.
- Le coup de gueule du général David Petraeus devant les responsables des services de renseignements des pays de la région.
- Entraînement des rebelles sur une base de la CIA en Jordanie et une base au Qatar et fourniture de missiles anti chars TOW.
- Le programme de la CIA concerné les rebelles destinés à combattre l’armée syrienne, celui du pentagone destiné à combattre Daech.
- John Brennan, directeur de la CIA, ancien chef d’antenne de la centrale américaine à Riyad dans la décennie 1990.
32 millions de dollars de l’Arabie saoudite pour soutenir le combat des Contras au Nicaragua, via un compte aux Îles Caïman et la guerre d’Afghanistan financée via un compte dans une banque suisse.
Un partenariat ancien
«Quand en 2013, le président Obama autorisa secrètement la CIA à commencer à armer les rebelles syriens alors assiégés, le centrale américaine du renseignement n’ignorait pas qu’elle pouvait compter sur un partenaire dévoué pour l’aider a financer cette opération clandestine.
Il s’agissait en fait du même partenaire sur lequel la CIA avait compté pendant des décennies tant pour son argent que pour sa discrétion dans des conflits lointains : Le Royaume d’Arabie saoudite.
Depuis lors, la CIA et son homologue saoudien ont maintenu leur coopération en l’adaptant au théâtre syrien avec pour mission l’entraînement des rebelles syriens, dont le nom de code était «Timber Sycomore» (Bois de sycomore). En vertu de cet accord, selon des informations recueillies auprès de l’administration Obama et des responsables saoudiens, la répartition des rôles s’établissait comme suit : Les saoudiens fournissaient armes et argent, à charge pour la CIA d’entraîner les rebelles au maniement des fusils d’assaut mitrailleurs AK47 et aux missiles anti-chars.
Un partenariat qui remonte aux contras du Nicaragua dans la décennie 1970-1980
Le soutien aux rebelles syriens est le dernier épisode d’une relation entre les deux partenaires, les services de renseignements américains et saoudiens, qui remonte à plusieurs décennies. Une alliance qui remonte à la lutte des Contras contre le pouvoir du Président du Nicaragua Daniel Ortega, dans la décennie 1970-1980, au soutien des Moujahidine contre les soviétiques en Afghanistan, dans la décennie 1980 et aux conflits par procuration en Afrique. Parfois, comme en Syrie, les deux partenaires ont travaillé de concert, ailleurs, les Saoudiens se sont bornés à établir des chèques, cautionnant les activités clandestines américaines.
Un partenariat qui perdure malgré les fluctuations des relations saoudo-américaines
Ce partenariat perdure en dépit des fluctuations des relations saoudo-américaines. D’autres états du Moyen orient participent à ce programme pour ce qui concerne la Syrie.
Les liens anciens entre les deux pays -pétrole à bon marché et géopolitique- se sont distendus depuis que les États Unis dépendent moins du pétrole étranger et que l’administration Obama a amorcé un timide rapprochement avec l’Iran. L’alliance se maintient néanmoins à flot, sur un flot d’argent saoudien et la reconnaissance mutuelle d’intérêts personnels.
Les réticences des États-Unis à critiquer ouvertement l’Arabie saoudite pour ses abus dans le domaine des droits de l’homme –notamment le traitement réservé aux femmes et son soutien à la tendance extrême de l’Islam, le wahhabisme qui a inspiré plusieurs groupements terroristes que les États-Unis combattent- peut s’expliquer par les immenses réserves énergétiques de l’Arabie saoudite et son rôle de référence spirituelle du Monde musulman sunnite en sus de cette ancienne coopération entre les services de renseignements des deux pays. Ainsi l’administration Obama n’a pas condamné la décapitation, en janvier 2016, d’un dignitaire religieux chiite, Cheikh Nimr Al Baqer, qui avait défié la famille royale.
Une contribution financière saoudienne aux rebelles syriens de l’ordre de plusieurs milliards de dollars, y compris une importante transaction avec la Croatie
Bien que les Saoudiens ont reconnu leur contribution à l’armement des groupes rebelles syriens, l’ampleur de leur participation aux opérations clandestines de la CIA et leur soutien financier direct n’ont pas été révélés.
Des détails ont été collectés à travers une demie douzaine d’interview avec des responsables américains actuels ou passés et de quelques dirigeants des pays du golfe, sous couvert d’anonymat, en ce que la plupart n’était pas autorisé à mentionner ce programme. Les responsables américains n’ont pas non plus révélé le montant de la contribution saoudienne, de loin la plus importante, pour armer les rebelles contre l’armée du Président Bachar Al-Assad.
«Dès le début de l’opération de la CIA, l’argent a coulé. Ils ont compris qu’ils avaient besoin de nous et nous, nous avions besoin d’eux», se borne à indiquer Mike Rogers de l’État du Michigan, un ancien membre de la commission parlementaire du renseignement. Les estimations évaluent toutefois les dépenses affectées à l’armement et à l’entraînement des rebelles syriens à plusieurs milliards de dollars.
La Maison Blanche a couvert le financement clandestin tant par l’Arabie saoudite, le Qatar, la Jordanie et la Turquie, à un moment où le président Obama incitait les pays du Golfe à assumer un plus grand rôle dans la sécurité de la zone. Le porte-parole de la CIA et de l’ambassade saoudienne à Washington se sont abstenus de commenter ces informations.
En fait, en donnant son feu vert, en 2013, M. Obama cherchait en fait à contrôler la mêlée au Moyen orient. Les Saoudiens et qataris acheminaient des armes vers la Syrie depuis un an déjà. Les qataris avaient déjà financé des cargaisons de FN6 missiles portatifs de fabrication chinoise ainsi que leur acheminement en Syrie via la frontière turque. L’effort saoudien était, lui, supervisé par le flamboyant Prince Bandar Ben Sultan, à l’époque chef des services de renseignements saoudiens.
Pour sa part, la CIA avait facilité la conclusion d’importantes transactions militaires notamment avec la CROATIE, en 2012.
Le coup de gueule du général David Petraeus
Durant l’été 2012, le choses semblaient échapper à tout contrôle le long de la frontière syro-turque : Les pays du golfe faisaient parvenir de l’argent liquide et de l’armement aux groupes rebelles, dont certains avaient des rapports avec les groupes radicaux, tel Al Qaida.
L’impression qui prévalait est que tout partait dans tous les sens et cela inquiétait la CIA. La CIA, opérait en coulisses, autorisée par la Maison Blanche à fournir des armes non létales dans les limites imposées par le programme «Timber Sycomore».
En 2012, le Général David Petraeus, à l’époque Directeur de la CIA, haussa le ton devant des responsables des services de renseignements de pays du Golfe, au cours d’une conférence tenue près de la Mer Morte (Jordanie), selon des informations recueillies auprès de deux anciens responsables américains. Il leur reprocha sur un ton sévère le fait d’avoir expédié des armes en Syrie sans coordination entre eux, sans non plus la moindre coordination avec les officiers de la CIA en poste en Jordanie et en Turquie.
Entraînement des rebelles sur une base de la CIA en Jordanie et une base au Qatar et fourniture de missiles anti chars TOW
Des mois pus tard, Obama donna son feu vert à la CIA pour armer et entraîner les rebelles depuis une base de Jordanie, modifiant en conséquence le programme Timber Sycomore pour autoriser la livraison des armes létales.
Un partage des rôles s’est alors opéré : La CIA prenait en charge l’entraînement des rebelles, alors que les services saoudiens fournissaient l’argent et les armes y compris des missiles anti-chars TOW.
Le Qatar a donné lui aussi son accord pour l’entraînement des rebelles sur une base qatarie, mais les responsables américains soutiennent que l’Arabie saoudite est demeurée, de loin, le plus important contributeur dans cette opération.
Alors que l’administration Obama considérait cette coalition comme un «atout», des membres du Congrès, tel le Sénateur Ron Wyden (Démocrate-Oregon) s’interrogeait sur la pertinence pour la CIA de bénéficier du soutien financier saoudien à cette opération, selon les indications recueillies auprès d’anciens responsables américains.
M. Wyden déclina la proposition d’interview, mais un bureau rendit publique une déclaration réclamant davantage de transparence dans cette affaire : «De hauts responsables ont déclaré publiquement que les États-Unis tentent de renforcer les capacités militaires sur le terrain de l’opposition anti-Assad, mais ne fournissaient pas au public des détails sur les procédures, les agences ou les partenaires étrangers avec lesquels ces agences opéraient», soulignait le document.
Il a fréquemment incombé aux États-Unis de régler les problèmes dans les relations entre les divers partenaires. Ainsi, la Jordanie, pays hôte de camp d’entraînement des rebelles syriens, escomptaient des paiements réguliers de la part des Américains et des saoudiens. Les Jordaniens se plaignaient des retards de paiement des Saoudiens auprès des responsables de la CIA, indique qu’un haut responsable de la centrale américaine.
Un tel comportement tranchait avec le comportement des Saoudiens dans le passé. Alors qu’ils avaient financé de précédentes missions de la CIA, sans condition, l’argent pour la Syrie s’accompagnaient de certaines attentes. «Ils veulent un siège à la table et leur mot à dire quant à l’agenda de la table», soutenu Bruce Rietel, ancien analyste de la CIA et désormais membre éminent de la Brooking Institution».
Le programme de la CIA concerné les rebelles destinés à combattre l’armée syrienne, celui du pentagone destiné à combattre Daech.
Le programme de la CIA est différent d’un autre programme, mené celui là par le Pentagone et achevé depuis. Le programme du Pentagone était destiné à combattre Daech, celui de la CIA de combattre l’armée syrienne.
Une alliance des renseignements est centrale en Syrie, comme elle l’a été auparavant dans la guerre contre Al Qaida, mais savoir, dans le même temps, dans quelle proportion des citoyens saoudiens continuent de soutenir les groupes terroristes constitue une source constante d’irritation dans les relations américano-saoudiennes, relèvent les analystes.
Plus était mis en avant l’argument «Nous avons besoin d’eux comme partenaires contre le terrorisme, moins il devenait persuasif», a assuré William Mc Caunts, un ancien conseiller terroriste au Département d’État et auteur d’un livre sur l’État Islamique.
«Si on parle de coopération anti-terroriste et si l’Arabie saoudite constitue une partie importante du problème dans la création du terrorisme, en quoi cet argument est pertinent», ajoute-t-il.
John Brennan, directeur de la CIA, ancien chef d’antenne de la centrale américaine à Riyad dans la décennie 1990
Dans le court terme, l’alliance reste solide, renforcée par l’engagement des maîtres espions. Le Prince Mohammad Ben Nayef, prince héritier et ministre de l’intérieur, qui a succédé au Prince Bandar Ben Sultan, connaît bien John Brennan, le directeur de la CIA, leurs relations remontant au temps où l’américain était chef d’antenne de la centrale américaine à Riyad, dans la décennie 1990.
D’anciens collègues assurent que les deux hommes sont demeurés proches et que le Prince Mohammad Ben Nayef a gagné de nouveaux amis à Washington à la faveur de ses actions énergiques visant à démanteler Al Qaida dans la Péninsule arabique.
La fonction de M. Brennan en Arabie dépassait en importance celle de l’ambassadeur américain, car il constituait le vrai lien du pouvoir américain avec le Royaume. D’anciens diplomates se souviennent que les discussions les plus importantes transitaient par le canal du chef d’antenne de la CIA à Riyad.
Des responsables du renseignement en exercice ou à la retraite jugent ce mode de communication présente un avantage : «Les Saoudiens sont plus réceptifs aux critiques quand elles sont faites en privé et ce canal a beaucoup fait pour orienter le comportement des saoudiens dans le sens conforme aux intérêts américains que des reproches publics».
Le Safari Club
Les racines de ces relations sont profondes. Vers la fin de la décennie 1970, les saoudiens organisèrent ce qui devait constituer le SAFARI CLUB, une coalition de nations incluant le Maroc, l’Égypte et la France, qui menait des opérations clandestines en Afrique à une période ou le Congrès américain avait bridé la CIA après des années d’abus.
Dirigé par le chef de la DGSE française, le Général Alexandre de Marenches, le Safari Club était chargé de la protection des dirigeants africains pro-occidentaux : Joseph Désiré Mobutu (RD-Congo), Omar Bongo (Gabon), Félix Houphouet-Boigny (Côte d’Ivoire), sur une base paritaire : financement saoudien, encadrement et expertise française et troupes d’ntervention marocaines ou égyptiennes. http://www.renenaba.com/hassan-et-hussein-le-modernisme-au-service-de-larchaisme/
«Ainsi le Royaume et ce groupe de pays ont été d’une certaine façon utiles, me semble-t-il, à maintenir le monde sûr, à un moment où les États Unis ne pouvaient le faire», fait valoir le Prince Turki Al Faysal, ancien chef du renseignement saoudien dans un discours à l’Université Georgetown, en 2002.
Dans la décennie 1990, les Saoudiens ont aidé financièrement la CIA dans des opérations en Angola où les États-Unis soutenaient les rebelles hostiles au gouvernement allié de l’Union soviétique. Certes les Saoudiens étaient résolument anti-communistes, mais leur motivation première semblait être l’établissement de solides relations avec la CIA : «Ils achetaient de la bonne volonté», s’est souvenu un ancien haut responsable du renseignement américain impliqué à l’époque dans cette opération.
Dans ce qui apparaît comme l’opération la plus emblématique de la coopération saoudo-américaine, l’Afghanistan (1980-1989), les États-Unis engagèrent des millions de dollars chaque année pour chasser les soviétiques de ce pays.
Les Saoudiens en firent de même, alignant un dollar pour chaque dollar américain engagé. L’argent provenait depuis un compte d’une banque suisse géré par la CIA. Dans son livre, «La guerre de Charlie Wilson» le journaliste George Crile III décrit comment la CIA s’est arrangée pour que le compte ne rapporte pas d’intérêt et régler ainsi la règle islamique prohibant l’intérêt.
32 millions de dollars de l’Arabie saoudite pour soutenir le combat des Contras au Nicaragua, via un compte aux Îles Caïman
En 1984, quand l’administration Reagan chercha de l’aide pour son plan secret de vente d’armes à l’Iran pour financer les rebelles CONTRAS au Nicaragua,Robert Mac Farlane, à l’époque conseiller à la sécurité nationale, rencontra le Prince Bandar, alors ambassadeur saoudien à Washington. La Maison Blanche suggéra clairement que les Saoudiens «gagneraient beaucoup de faveurs en s’engageant dans cette coopération, a rappelé Mac Farlane.
Le Prince Bandar promit un million de dollar par mois de subvention financière aux Contras, en reconnaissance du soutien passé de l’administration américaine aux Saoudiens. Ces contributions se poursuivirent bien après que le Congrès ait interrompu le financement des Contras. Au final, les Saoudiens auront versé 32 millions de dollars via un compte bancaire domicilié aux îles Caïman.
Quand le scandale Iran-Contras éclata et que des questions ont été soulevées à propos du rôle des Saoudiens, le Prince Bandar refusa de coopérer aux enquêtes menées par Laurence E. Walsh, le procureur indépendant désigné pour cette affaire.
Dans une lettre, le Prince a justifié son comportement par le fait que «la confiance et l’engagement de son pays, ainsi que l’amitié n’étaient pas justes ponctuelles, mais portaient sur le long terme».