Djihad 1/3 : Recherche sur les groupements de la violence djihadiste: leurs structures militaires et leurs méthodes de combat.

Djihad 1/3 : Recherche sur les groupements de la violence djihadiste: leurs structures militaires et leurs méthodes de combat. 938 440 Samir Hassan

Dernière mise à jour le 11 avril 2016

Prologue

Depuis leur apparition sur la scène internationale, les groupements djihadistes ont apporté la preuve de leur aptitude au combat sous des formes variées, leur pugnacité dans leurs confrontations avec leurs ennemis. Un élan et une dynamique qui peuvent inciter les djihadistes au suicide, fait sans pareil dans l’histoire récente, si l’on excepte les Kamikazes japonais durant la 2e Guerre mondiale (1939-1945), dont le code d’honneur néanmoins prohibait les cibles civiles.

Al Qaida, fondée par Oussama Ben Laden, peut être considéré, à juste titre, comme la matrice des groupements djihadistes.

Al Qaida du Khorassan, première mouture d’Al Qaida

Géographiquement, le Khorassan est une région du Nord Est de l’Iran.
Politiquement, le Khorassan est une entité géostratégique regroupant cinq pays: L’AFPAK (Afghanistan et Pakistan) ainsi que les anciennes Républiques Musulmanes de l’Union soviétique de l’Asie centrale ).

Au niveau du Djihad, cette première mouture d’Al Qaida a migré vers la Syrie au début de la guerre de Syrie, en 2011, pour se fondre dans Jabhat An Nora, la filiale syrienne d’Al Qaida.

La première mouture d’Al Qaida a été constituée au début de la décennie 1980, en Afghanistan (1), prenant la forme d’un combat de type djihadiste contre l’occupant soviétique. Les États-Unis et l’Arabie saoudite ont assumé un rôle majeur dans la constitution de cette structure, tandis que le département des prestations des services de la confrérie des Frères Musulmans assumait un rôle logistique dans le recrutement des djihadistes.

Le trait dominant de cette structure était son caractère afghan et une idéologie mue par un combat contre l’Union soviétique.

La guerre d’Irak, dans sa première version, en 1991, consécutive à l’invasion irakienne du Koweït, a ouvert la possibilité à Al Qaida stricto sensu de se déployer sur un champ de bataille hors du théâtre afghan et en dehors d’un encadrement afghan. En 1995, quatre ans plus tard, une guérilla de type djihadiste se déploie en Yougoslavie puis en Bosnie-Herzégovine.

Oussama Ben Laden a fondé sa première base (Al Qaida) au Soudan, en 1991, deux ans après la fin de la guerre d’Afghanistan, un an après la fin de la première guerre d’Irak, en battant le rappel de ses anciens compagnons d’armes d’Afghanistan.

Chronologie des premières attaques d’Al Qaida de la décennie 1990 :
  • 1992 – Attaque contre des ressortissants américains dans un hôtel d’Aden.
  • 1993 – Opération en Somalie.
  • 1995 – Attaque du siège de la Garde Nationale saoudienne à Riyad.
  • 1996 – 2e attaque contre le siège de la Garde Nationale saoudienne, mais cette fois à Hobart.
  • 1998 – Double attaque de Nairobi (Kenya) et Dar es Salam (Tanzanie) contre des cibles américaines et israéliennes.
  • 2000 – Dynamitage du destroyer américain US COLE dans les eaux du port d’Aden.

À Beyrouth, Al Qaida a compté à son actif l’assassinat d’un des dirigeants de l’association de bienfaisance islamique, Cheikh Nizar Al Halabi, chef du mouvement Al Ahbache, ainsi que les troubles de Denniyeh (Nord-Liban), selon les indications contenues dans le livre d’un des théoriciens d’Al Qaida, Abou Bakr Naji, dans son ouvrage intitulé «La gestion de la sauvagerie».

Le raid du 11 Septembre 2001

Le raid du 11 septembre 2001 contre les symboles de l’hyperpuissance américaine a constitué le couronnement de l’action djihadiste car cette opération-suicide, à laquelle ont participé 14 saoudiens sur les 19 membres du groupe, a pleinement atteint son objectif en ce qu’il a permis d’attirer les forces américaines vers la zone, en situation de confrontation directe dans la sphère musulmane. Le paroxysme de la confrontation a été atteint en Afghanistan, en 2001, puis en Irak, en 2003.

La structure centralisée d’Al Qaida, cible permanente des raids américains, a été modifiée en conséquence, conduisant Oussama Ben Laden, à démultiplier sa présence sur l’ensemble du Monde musulman, en y développant des bases autonomes.

Al Qaida dans sa 2e mouture, sous le commandement d’Abou Moussa’b Al Zarkaoui

L’Irak a constitué la principale base d’Al Qaida, sous l’autorité d’Abou Mouss’ab Al Zarkaoui. La structure irakienne a servi de modèle et a donné l’impulsion à l’ensemble des autres structures filiales dans la détermination des ennemis (Chiites et Sunnites réfractaires à l’ordre djihadiste) ainsi que les Américains.

Toutefois, le compte à rebours de la défaite d’Al Qaida en Irak a commencé à la mi 2007 avec l’engagement dans les combats contre Al Qaida des forces sunnites qui lui étaient hostiles, principalement des tribus qui avaient eu à pâtir du comportement des partisans de Ben Laden à leur égard.

Deux autres facteurs ont précipité l’échec d’Al Qaida en Irak: Le soutien financier massif saoudien aux tribus et la coopération militaire jordano américaine dans la lutte contre Zarkaoui, palestinien originaire de Jordanie. Ce désastre a été matérialisé par l’assassinat du 2me Émir du groupement Hamed Daoud Al Zawi (Abou Omar Al Baghdadi) et de son ministre de la guerre, l’égyptien Abou Ayoub (Abou Hamza Al Mouhajer). Leur successeur, Abou Omar Al Baghdadi, avait déjà rebaptisé le groupement du nom de «L’État Islamique d’Irak».

Entre 2003-2010, soit de la date de l’invasion américaine de Bagdad au retrait américain d’Irak, quatre mille djihadistes d’Al Qaida ont été tués dans les combats, plusieurs milliers blessés ou capturés. De sorte qu’Al Qaida Irak à la fin de la décennie 2000 ne disposait plus que de cellules dormantes dans la région de Mossoul (Nord de l’Irak).

Ces cellules seront les premières à faire acte d’allégeance à Ibrahim Al Badri qui se proclamera «Émir de l’État Islamique d’Irak», en avril 2010, sous le nom d’Abou Bakr Al Baghdadi.

Sous le commandement d’Abou Mouss’ab Al Zarkaoui, Al Qaida dans sa 2me mouture regroupait un mélange de djihadistes, de Frères Musulmans en nombre infime et d’anciens cadres de l’armée irakienne démobilisés par Saddam Hussein, en 1994, après la première guerre du Golfe (1990-1991).

La ferveur religieuse compensatoire à leur chômage a été propulsée d’ailleurs par la campagne de re-mobilisation de la foi (Al Hamla Al Imaniyah) (2), initiée par le pouvoir baasiste. Elle portera les baasistes irakiens a troqué leur l’idéologie laïcisante au profit du fondamentalisme religieux. Ce regroupement sera formaté dans une nouvelle structure idéologique connue sous le nom du «salafisme djihadiste».

Les premiers signes de scission interviennent en Avril 2010, dix ans après l’invasion américaine. Mayssara Al Joubouri, un ancien commandant de l’armée irakienne (3) incite Oussama Wahidi (Abou Mohamad Al Joulani) à secouer la tutelle d’Ibrahim Al Badri, le futur calife, en invoquant la spécificité syrienne du combat en Syrie.

La virulence de l’opposition Joubouri-Badri atteint un point tel qu’elle conduit Abou Mohamad Al Joulani à se désister de son allégeance à Ibrahim Al Badri pour lui substituer une allégeance à Al Qaida Khorassan (Al Qaida Afghanistan), présidée par Ayman Al Zawahiri, le successeur d’Oussama Ben Laden, reniant ainsi son ancienne allégeance.

4.000 Djihadistes tués dans le combat entre L’Etat islamique et Jabhat An Nosra.

Le conflit armé entre Joulani et le futur calife, qui a éclaté début Janvier 2014, va provoquer la mort de quatre mille combattants dans les rangs des belligérants. Ce conflit fratricide contrariera, par contrecoup, le plan de l’administration américaine, visant à s’appuyer sur le mouvement salafiste non djihadiste pour mener à bien ses projets dans la zone.

Prenant de court ses rivaux, Ibrahim Al Badri s’empresse alors de proclamer depuis Mossoul (Nord de l’Irak), le nouveau califat s’emparant de 40 % de la superficie de SOURAKIA (la fusion de la Syrie et de l’Irak).

Peshawar a façonné la 1ère mouture d’Al Qaida, déblayant le terrain à son expansion.

La 2e version, différente de la 1 ère, a intégré les différences géographiques et démographiques résultant de la spécificité irakienne (Arabes et Kurdes, sunnites, chiites, chrétiens, zayédites etc..). Autre différence de taille, Al Qaida-Irak a retenu le principe du Califat et a proclamé Calife son meneur, Ibrahim Al Badri, ainsi que le recours à des mots d’ordre sectaires à soubassement confessionnel, n’hésitant pas à engager le combat sur ce point.

De surcroît, Al Qaida Irak, contrairement à Al Qaida Afghanistan, a considéré que l’anarchie résultant des «printemps arabes» constituait un environnement idéal pour parvenir aux formes les plus extrêmes de la violence armée.

Al Qaida-Khorassan, sous l’autorité de Zawahiri, estimait, quant à elle, qu’il était possible de tirer profit de la présence au pouvoir des Frères Musulmans au pouvoir en Égypte et en Tunisie, propulsé aux postes de responsabilité à la faveur des «printemps arabes», de même que du soutien de la Turquie et du Qatar. La présence des Frères Musulmans aux postes de commande au Caire et à Tunis a constitué un déclic pour Ayman Al Zawahiri, réveillant ses anciennes sympathies pour la confrérie.

La divergence fondamentale entre les deux groupes demeurent toutefois leur conception respective du califat: Ayman Al Zawahiri concevait le califat comme une structure intemporelle, alors que pour Ibrahim Al Badri, le califat se devait s’exerçait effectivement et immédiatement.

L’Organisation Al Qaida-La structure du pouvoir

Al Qaida Khorassan: La première version- Oussama Ben Laden

Al Qaida n’a pas opté pour une structure pyramidale de son organisation, mais pour une structure arachnéenne, se déployant sous forme de subdivisions régionales autonomes, s’autofinançant.

Al Qaida se distingue de ce fait des autres groupements de la mouvance djihadiste. A l’organisation fortement centralisée, elle a substitué une structure souple, octroyant une large autonomie à ses filiales régionales en ce qui concerne son financement et la composition de ses cellules dormantes et de ses forces combattantes. Toutefois après l’invasion américaine de l’Afghanistan, en Novembre 2001, Al Qaida a démantelé sa structure pyramidale, pour une large décentralisation de l’organisation au profit des filiales régionales, se bornant à un rôle d’orientation et d’incitation.

Une étanchéité extrême a été établie entre les «franchisées», chaque filiale s’autofinançant et fixant ses cibles en fonction des impératifs du calendrier politique de sa zone de compétence. Al Qaida et ses filiales n’étaient sous la tutelle d’aucun état arabe quand bien même le financement était largement assuré par bon nombre d’états arabes ou musulmans, particulièrement les pétromonarchies, d’une manière directe ou via de «généreux» donateurs.

Al Qaida-Irak: La 2e mouture: Zarkaoui ou le «Groupement de l’Unification et du Djihad»

Copie conforme d’Al Qaida Khorassan quant à sa structure arachnéenne, elle a été fondée par Ahmad Fadl Al Khalayel, plus connu sous le nom d’Abou Mouss’ab Al Zarkaoui en 2003, lors de l’invasion américaine de l’Irak. Opérant sous le nom de «Groupement de l’Unification et du Djihad», Zarkaoui se fixera comme première mission de prendre directement contact avec les Irakiens pour y enrôler des volontaires tant au sein même du pays, qu’au sein de la diaspora.

Zarkaoui était assisté d’un Conseil Consultatif de quatre membres: le Jordanien Omar Youssef Joma’a et de trois Irakiens: Abdallah Al Joubouri, Tamer Al Atrouz, Mohamad Jassem Al Izzaoui. Le conseil avait la haute main sur le fonctionnement de l’organisation, particulièrement les formations combattantes (brigades et bataillons), dont l’importance numérique et la composition variaient en fonction des objectifs.

Hamed Daoud Al Zawi (Abou Omar Al Baghdadi) prendra la relève de Zarkaoui à l’élimination du jordanien, en 2006. Il étrennera ses fonctions en lançant une campagne de mobilisation et d’enrôlement tant en Irak qu’au sein de la diaspora en vue de combattre l’occupation américaine.

Cette campagne a été marquée par la conclusion du «Pacte Al Matine» (1), jetant les bases d’une coalition de tous les groupements djihadistes ayant fait allégeance au «Conseil Consultatif des Moujahiddines» et de quelques chefs de tribus.

Parmi les adhérents au pacte figuraient cinq organisations djihadistes:

  • Al Qaida Fi Bilad Al Rafidain: Al Qaida Irak, désigné en arabe par le terme «Bilad Al Rafidain», le pays des deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate.
  • Jaych Al Taifa Al Mansoura: L’armée de la confession triomphante.
  • Saraya At Tawhid: les brigades de l’Unification.
  • Kataeb Al Ahwal: Les brigades de la terreur.
  • Jaych Ahl Al Sunna: L’armée des Sunnites.

En octobre 2006, la fusion de ces groupes s’opère sous la bannière d’Al Qaida-Irak, devenu ainsi le socle du pouvoir d’Abou Omar Al Baghdadi, se posant par la même occasion comme l’organisation la plus légitime et la plus apte à revendiquer le califat. Joignant le geste la parole, Abou Omar Al Baghdadi proclame «l’État Islamique d’Irak» et, dans la foulée, son porte-parole Mouharreb Al Joubouri annonce la formation de son gouvernement.

La prépondérance des Irakiens était manifeste dans l’organigramme de commandement. Abou Omar veillera à développer les structures de son organisation par la création de 5 instances (Instance Législative, Conseil Consultatif, Aile militaire, Bataillon de Sécurité et de Repérage, Département de l’Information, Comité Financier).

L’assassinat d’Abou Omar Al Baghdadi et de son ministre de la guerre Abou Ayoub, alias Abou Hamza Al Mouhajer, le 19 Janvier 2010, entraînera un changement à la tête du commandement. L’organisation fait alors acte d’allégeance à Ibrahim Al Badri (Abou Bakr Al Baghdadi), le 16 Mai 2010.

Si Abou Omar a jeté les fondements de l’organisation, son successeur Abou Bakr lui a donné son ancrage avec l’aide des anciens détenus du camp de prisonniers américains de Bucca (Irak), en en faisant la 3e mouture d’Al Qaida, avec une forte empreinte irakienne réussissant à donner une homogénéité à un groupement hétérogène et hétéroclite. Au point que les combattants d’Al Qaida 3e mouture, la mouture d’Abou Bakr Al Baghdadi, présentait l’aspect d’une véritable armée.

Leur détention commune au camp de Bucca (3) a, paradoxalement, favorisé l’osmose entre leurs diverses expériences. Ibrahim Al Badri (4) dira de cette période: «La prison de Bucca a été notre générateur. Notre centre de production et de formation intellectuelle. Les détenus de Bucca ont une grande importance pour notre organisation».

Al Qaida-Troisième mouture: «L’état Islamique d’Irak et du Levant»

Issu lui aussi des débris d’Al Qaida-Khorassan, il appartient également au courant du salafisme djihadiste, mais à la différence des précédentes moutures, la 3e version d’Al Qaida, n l’occurrence Da’ech a tout de suite disposé de possibilités considérables, en terme de potentiel humain et d’expertise, réussissant à regrouper un vaste spectre de sensibilités politiques et religieuses allant d’anciens bassistes laïcs aux djihadistes salafistes.

Da’ech a grandement tiré profit de la décision du pro-consul américain en Irak, Paul Bremer, de dissoudre l’armée irakienne, d’instaurer un système politique à base confessionnelle, prévoyant une répartition confessionnelle du pouvoir, ainsi que des travaux du «Comité d’éradication du Parti Baas». Avec leur cortège de vexations, d’humiliations, d’arbitraires qui ont accompagné la chasse aux baasistes, d’une manière générale les dirigeants de l’ancien régime (officiers, pilotes, experts, magistrats…), pourchassés sans répit.

De telles mesures ont exacerbé le conflit confessionnel sunnite-chiite, résultant tant de la monopolisation du pouvoir par une communauté spécifique (les Chiites), avec le soutien des États-Unis, que de la négligence dont ont pâti les zones sunnites de l’Irak, parallèlement à la montée en puissance de la question kurde et à l’incapacité du pouvoir à juguler les problèmes collectivement ou individuellement.

Sur fond d’ignorance, de gabegie, de corruption et de paupérisation globale de la population irakienne, particulièrement sunnite, Da’ech a servi de réceptacle à toute les frustrations. Prêt à accueillir les exclus et pourchassés de l’armée et des force de sécurité, les baasistes et les chefs de tribus. D’autant que la charge principale du combat contre l’occupation américaine est revenue en premier lieu aux anciens dirigeants baasistes et aux anciens officiers de l’armée irakienne.

La conjonction des mécontentements s’est imposée comme une nécessité, débouchant sur la création d’un «Conseil de Concertation» fusionnant les cadres de l’ancien régime (baasistes et militaires) aux instances légales de l’état Islamique. La religion a servi de plate-forme commune à cet assemblage au départ hétéroclite. Leur identité religieuse commune (sunnite) a cimenté leur engagement, générant une idéologie à soubassement religieux, s’articulant sur les principes suivants:

  • Un état sans frontières, refusant les frontières issues du partage colonial
  • Le musulman salafiste, qu’il soit irakien ou non, est le seul apte à combattre la société hétérogène de l’Irak, une mosaïque humaine de 35 millions de personnes
  • La fusion Syrie-Irak (Sourakia) découle de l’idée de la nécessité d’aménager une plate-forme territoriale majoritairement sunnite sur le plan démographique

Les cadres irakiens joueront un rôle déterminant dans la définition de cette idéologie, résultant d’un double impératif: Disposer d’un gisement humain sunnite apte au combat tout en maintenant la cohésion d’un groupe hétéroclite traversé par des courants contradictoires.

SAMIR Al KHALFAOUI (Hajji Bakr), de même que ses camarades du parti Baas, étaient des laïcs, mais ont souhaité tirer leur légitimité de Dieu. «La domination des peuples doit être exercée par une élite ultra-minoritaire, car son objectif est de servir es intérêts supérieurs… «Pour ce faire, elle doit tirer sa légitimité de Dieu ou de la grandeur de l’Histoire». Dixit cet ancien cadre supérieur baasiste. Partant du principe que les croyances religieuses extrémistes ne suffisaient pas à elles seules à forger la victoire, la synthèse doctrinale a visé à concilier les tendances contradictoires du groupement, débouchant sur la formulation de la théorie de l’«État Islamique».

L’empressement à proclamer le Califat répondait au souci de couper la voie à tout retour en arrière. En prison, pendant trois ans (2005-2008), d’une manière intensive, les conciliabules entre prisonniers irakiens des camps américains ont visé à faire connaissance d’abord, à se jauger, puis à se faire confiance, enfin réduire leurs divergences. Parmi les participants à ce cénacle carcéral insolite figuraient deux généraux, huit colonels, deux commandants, ainsi que Cheikh Ibrahim Awad Al Badri, le futur calife.

  • 2 généraux Adnane Al Bibaloui (6) et Ibrahim Al Habbani
  • 8 Colonels (Samir Ben Hamad Al Khalfaoui, Adnane Najm, Fahd Al Afari, Assi Al Obeidi, Fadel Al Ayssawi, Mohannad Al Latif Al Soueidy, Nabil Al Mouayin)
  • 2 commandants (Mayssara Al Joubouri et Adnane Al Hayali) ainsi que Cheikh Ibrahim Awad Al Badr (7).

Au terme de trois ans de conciliabules, les participants sont convenus de se retrouver à leur sortie de prison pour la poursuite de leur action d’une manière concertée (8).

Une situation hétérogène, un état hétéroclite

L’état Islamique constitue, sur le plan local, un état indépendant des deux précédentes versions d’Al Qaida (Al Qaida Khorassan et Al Qaida Irak). Son armée a été structurée selon des principes théologiques. A sa tête, un Calife doté de la totalité des attributions du Califat (drapeau, appartenance à la filiation du prophète) et de la plénitude des compétences civiles et religieuses puisées dans l’héritage politico-islamique sunnite.

Chef religieux et politique, il bénéficie de l’allégeance de l’ensemble de la communauté dès lors qu’il a été investi par le Conseil Consultatif et les détenteurs du pouvoir décisionnaire (9). L’EI s’est structuré de manière à offrir au Calife la possibilité de diriger ce que le mouvement considère être un «État islamique, doté de la totalité de ses éléments constitutifs, reposant sur l’allégeance et l’obéissance.

Deux piliers qui assurent la centralité du mouvement et la domination du calife sur ses rouages, par sa supervision directe sur les conseils, ses véritables relais.

La structure du Mouvement

Le Califat : Commandant en chef des forces armées, il dispose des pleins pouvoirs de nomination et d’éviction des responsables des divers échelons de la chaîne de commandement, après avis du Conseil consultatif, dont l’avis n’est toutefois pas contraignant.

Le Conseil Consultatif : Source des décisions, il détermine la politique générale du mouvement et pourvoit aux divers postes de commandement (Émir de province, responsables militaires etc..)

L’Instance législative : Un des principaux rouages de l’État islamique en raison de sa nature législative. Le dossier sécuritaire relève de ses attributions, tout comme l’édition des ouvrages du mouvement, la rédaction des discours et des communiqués des divers responsables. L’instance est subdivisée en deux parties, une partie supervise le fonctionnement de l’appareil judiciaire et l’application des peines, la second, les prêches, la mobilisation des masses population et l’enrôlement des combattants.

Appareil et sécurité : une version dérivée de l’appareil sécuritaire irakien du temps du pouvoir Baasiste de Saddam Hussein, lui même inspiré du modèle de la STASI, le service de sécurité de la RDA (République Démocratique Allemande).
Parmi ses principales attributions figurent:

  • La haute supervision sur toutes les instances délibérantes
  • La mise en place de l’organigramme des divers strates du mouvement, -La surveillance des Émirs de province et de leurs subalternes dans les villes et les divers secteurs d’activités.
  • La responsabilité du verrouillage du mouvement de toute infiltration hostile.
  • La supervision des unités spéciales, l’unité des candidats au martyr, l’unité chargée d’infiltrer les lignes ennemies.
  • La sécurisation des communications entre les divers commandements des divers secteurs et zones géographiques de même que le transport du courrier vers leurs destinataires.
  • Dernier et non le moindre, la gestion des groupes spéciaux pour les assassinats, enlèvements et collecte de fonds.

Le secteur de l’information : L’information joue un rôle essentiel tant au sein du groupement proprement dit qu’au sein de l’état Islamique dans son ensemble. En charge de la totalité du secteur de la communication, il dispose de moyens considérables lui permettant de mener avec succès ses campagnes d’information et d’intoxication, réussissant ainsi à refléter les vues du groupement.

Conseil Militaire : La plus importante structure du groupement. Ses deux premiers dirigeants, les colonels Samir Al Khalfawi et Adnane Ismaïl Al Biblaoui ont été tués en 2014 à six mois de distance, le premier en janvier 2014, le second, en juin de la même année.

Dirigé désormais par Fadl Al Hayali, ancien officier de la garde présidentielle du temps de Saddam Hussein, le Conseil militaire regroupe la totalité des commandants de secteur. Chaque secteur est subdivisé en 3 bataillons, chacun disposant de 350 membres.

Le conseil militaire est doté d’un État-major, de forces d’intervention, de bataillons de candidats au martyr, d’une compagnie de tireurs d’élite en embuscade (sniper), de forces de soutien logistique, d’une force spéciale chargée de préparer les engins et véhicules piégés ainsi que des attributions relevant du Haut-commandement: la planification stratégique, le commandement des opérations, la préparation des raids, la gestion des armes et des butins.

L’Organisation administrative du groupement

La province est subdivisée en sous-groupes régionaux et locaux. Chaque province dispose d’un responsable supérieur assisté d’un groupe d’Émirs (émir militaire, émir législatif, émir sécuritaire), lesquels supervisent la gestion des émirs des villes.

Le groupe dispose de 2 ministères (Finances et Télécommunications) et des onze départements suivants: enseignement, santé, agriculture et biens fonciers, affaires tribales, circulation et transit, travail, police, justice, la prédication, la zakate (obole religieuse), les biens religieux, les dons et contributions, ainsi que les revenus des étrangers otages, autrement dit les rançons.

L’édifice était chapeauté par les Turkmènes du «Cercle de Tell’Afar», sous la direction d’Abou Ali Al Anbari (13), qui en verrouillait les principales articulations. Les Arabes avaient la haute main sur l’Information, notamment les syrien tel Taha Sobhi Falaha (Abou Mohamad Al Adanani), en sa qualité de porte-parole de l’EI. Malgré la fusion opérée entre arabes et étrangers, l’élément irakien est demeuré toutefois prédominant dans les postes les plus élevés et les plus sensibles.

Ibrahim Al Badri, alias Abou Bakr Al Baghdadi, a réussi à moderniser son groupement en s’appuyant, sur le plan militaire, sur le bloc des anciens officiers de l’armée irakienne, notamment Samir Al Khalfaoui, alias Hajji Bakri (14), et Abdel Rahman Al-Biblaoui. La branche militaire est ainsi devenue une forte d’armée régulière cohérente et professionnelle.

Le chef de l’EI a réussi en outre à tirer profit des expertises des Arabes et des étrangers, notamment les personnes originaires du Golfe à l’exemple des saoudiens Omar Al Qahtani et Osmane Nasser Al Assiry, du bahreini Turki ben Moubarak, alias Turki Al Benghali et le tchétchène Abou Omar Al Shishani ainsi qu’Abou Hammam Al Atrabi.

En dépit de cette infrastructure et de l’organigramme dont il s’est doté, le groupement n’a cessé de se comporter en organisation de type milicienne où règnent le désordre et le clientélisme. L’EI est subdivisé en 18 circonscriptions administratives réparties entre la Syrie et l’Irak, mais l’aménagement du territoire n’a pas pour autant mis un terme aux dysfonctionnements tant les provinces de même que les administrations souffraient de désorganisation.

Le chef de Da’ech réussira néanmoins à compenser ces insuffisances en confiant les postes clés à des hommes de confiance qui réussiront à maintenir la cohérence du groupe, en l’occurrence le bloc des anciens officiers de l’armée irakienne, qui seront placés à tous les niveaux de responsabilité, dans tous les domaines (sécurité, militaire, organisation, élaboration de nouvelles méthodes de combat et la planification des nouveaux raids).

De même, il a veillé à sécuriser ses ressources génératrices de gros revenus, s’emparant ainsi des puits de pétrole, de gisements de minerais, de sites archéologiques (pour le trafic des antiquités), l’obole religieuse ainsi que la rançon des otages étrangers, source substantielle de revenus. Parallèlement, l’Information a constitué son arme absolue dans la guerre psychologique qu’il mène contre ses ennemis, faisant un usage habile des documentaires vidéos.

Tirant profit des erreurs de ses prédécesseurs, notamment celles d’Al Qaida-Irak à l’encontre des conseils de tribus, il mènera une politique conciliatrice envers les tribus, les instances populaires et sociales, simultanément à une politique de grande fermeté à l’égard des minorités, les terrorisant et égorgeant leurs membres. Une intransigeance identique sera observée à l’égard des autres groupements djihadistes auxquels il n’offrait qu’une et unique option: l’allégeance ou la guerre à outrance.

Par sa fermeté à l’égard des minorités et les groupements djihadistes, par ses raids préventifs, il a veillé à éradiquer ainsi les zones pouvant constituer un obstacle à sa progression, dans une sorte de nettoyage par le vide.

Références

1- La guerre d’Afghanistan a polarisé des combattants des quatre coins de la planète, ouvrant la vie du salafisme djihadiste, avec le soutien de l’Arabie saoudite, du Koweït et des États-Unis. Après le retrait soviétique d’Afghanistan, 1989-1990, un retournement d’alliances s’est opéré dans les rangs des parrains des djihadistes.

Les pays qui leur accordaient soutien financier et leur offraient abri se sont retournés contre eux, les déclarant indésirables. Les djihadistes n’eurent alors d’autres recours que de s’engager dans de nouveau combats en Europe (Bosnie, Tchétchénie) et en Algérie.

Pour aller plus loin sur ce sujet : https://www.madaniya.info/2014/09/15/daech-des-hijras-illusoires-aux-bains-de-sang/

2- Al Hamla Al Imaniyah (le processus de réarmement moral par la reconquête de la foi), orchestrée par Saddam Hussein après la 1 ère guerre du Golfe (1990-1991), qui plaça les cadres du parti Baas sous le magistère spirituel du Cheikh Abdel Latif, transformant ses militants d’une idéologie laïcisante en dévot. Cette mutation a été couronnée par l’inscription sur le drapeau irakien de la Chahada (la profession de foi de l’Islam) -la Illah IllaL Lah -«Il n’ y a de Dieu que Dieu». Un drapeau qui a survécu à l’invasion américaine de l’Irak. CF. à ce propos D. Rifaat Sayyed Hassan (Da’ech: Le califat de sang et de feu).

3- Mayssara Joubouri: ancien commandant de l’armée irakienne.

Notes
  1. Pacte Al Matine : Par référence au pacte conclu à l’ère pré-islamique entre les membres de la tribu Al Qoreiche pour aider un héritier à récupérer sa quote-part d’un héritage. En l’occurrence aider Bani Manaf Bani Qoussaye à récupérer sa part d’héritage de Qoussaye Ben Kallab de la famille Abdel Dar Ben Qoussaye.
  2. Abou Ayoub, alias Abou Hamza Al Mouhajer, pseudonyme de l’égyptien Abdel Moneim Ezzedine Baddaoui, adjoint d’Ayman Al Zawahiri, l’actuel N° 1 d’Al Qaida.
  3. La prison de Bucca (Bucca Camp): Centre de détention aménagé par les Américains pour y incarcérer leurs adversaires et ennemis durant leur occupation de l’Irak, comprenait 24 baraquements, chaque baraquement contenait 1.000 prisonniers, soit au total 24.000 prisonniers. CF. à ce propos Haytham Al Hachem, commentateur politique irakien. 17 des 25 dirigeants de Da’ech, en charge des opérations en Irak et en Syrie, ont séjourné à la prison de Bucca entre 2004 et 2011. Située Camp Bucca près du port d’Umm Qasr, dans le sud de l’Irak, elle avait été aménagée par les américains lors de la 1 ère Guerre d’Irak (1990-1991). Employée également comme camp de prisonniers dès 2003 par les forces britanniques en Irak. Après le scandale de la prison d’Abou Ghraib, en 2004, les conditions de détention se sont améliorées. Abandonnée en 2009, elle doit être transformée en pôle de développement économique avec l’implantation d’hôtels, et de dépôts logistiques pour l’industrie pétrolière.
  4. Le Califat de Da’ech. CF. A ce propos Haytham Manna, chef de l’opposition démocratique syrienne: «Des Hijras illusoires aux bains de sang». (Institut Scandinave des Droits de l’Homme. Texte intégral sur www.madaniya.info
  5. Samir Al Khalfaoui, alias Hajji Bakr, -prisonnier de 2006 à 2008 au camp de Bucca, puis transféré à la prison d’Abou Ghraib-, a été tué à Tall Rifaat à Alep en Janvier 2014.
  6. Le général Adnane Biblaoui est l’initiateur du plan de conquête de Mossoul. Tué lors de l’assaut, la conquête de Mossoul lui a été dédiée et la bataille porte son nom, en sa mémoire. La biographie des principaux dirigeants de l’état Islamique (Abou Mouss’ab Al Zarkaoui, Abou Omar Al Baghdadi, Abou Bakr Al Baghdadi, Adnane Biblaoui, Hajji Bakr.) sur ce lien:
    https://www.madaniya.info/2014/09/15/daech-des-hijras-illusoires-aux
  7. Ibrahim Awad Al Badri, alias Abou Bakr Al Baghdadi, a été détenu de 2006 à 2008. L’identité d’emprunt qu’il s’est attribué en s’autoproclamant Calife (en arabe le successeur) emporte usurpation de légitimité: Abou Bakr Al Baghdadi Al Husseini Al Qoraychi. Abou Bakr est le prénom du premier Calife en 632. Le plus fidèle compagnon de Mohamed repose aux côtés de la tombe du prophète à Médine. Baghdadi, celui qui est originaire de Bagdad, évoque la lignée des califes Abbassides (descendants d’Abbas, l’oncle de Mohamed). Husseini, évoque le martyre du petit fils du Prophète, tombé en 680 à Karbala en Irak, adulé des chiites.
  8. Propos d’un dirigeant de Da’ech: «Nous étions convenus de nous retrouver à notre sortie de prison. Notre mode de liaison était simple. Nos CV étaient inscrits sur l’élastique retenant nos sous-vêtements. Tout y figurait, le numéro du portable, le lieu d’habitation. Tout le monde est revenu de détention en 2009. Nous avons repris alors nos conciliabules». Fin de citation
  9. Les conditions d’allégeance et de gouvernance. Centre d’Etudes des mouvements islamiques (Al Harakate Al Islamiyah lil Dirassate.
  10. «Centre Omrane pour les études stratégiques» 15 Mai 2015. Le centre Omrane est un centre turc proche des Frères Musulmans.
  11. Ibidem: même rapport, même date.
  12. Hassan Abou Haniyeh, centre des études du site de la chaîne du Qatar Al Jazira.
  13. Le cercle de Tall’Afar était dirigé par Abou Ali Al Anbari, de son vrai nom Ala’ Qodrache, Turkmène originaire de Tell’Afar. Le «cercle de Tall’Afar» tire son nom de la ville du Nord-Ouest de l’Irak, qui abritait durant l’embargo international contre l’Irak (1990-2003), un des sites d’où étaient déployés les batteries de la défense anti aérienne pour la neutralisation des avions des forces de coalition de l’Opération «Northern Watch 1», chargée de faire respecter les zones d’exclusion aérienne faisant suite à l’embargo décidé par l’ONU. Située à 45 km à l’Ouest de Mossoul, dans la province de Ninive et à 60 km de la frontière syrienne, elle est peuplée d’environ 170.000 habitants, arabes sunnites, kurdes, turkmènes et chiites.
  14. Samir Al Khalfaoui, alias Hajji Bakr, prisonnier de 2006 à 2008 au camp de Bucca, puis transféré à la prison d’Abou Ghraib, a été tué à Tall Rifaat à Alep en Janvier 2014. Il a transposé au djihad son expérience acquise sous le régime de Saddam Hussein, clonant l’EI sur le modèle de l’appareil sécuritaire baasiste, hérité de la STASI, la police allemande de l’ex RDA. Les documents manuscrits découverts à son domicile, à la suite de son décès, révèlent que dans sa conception, l’EI n’était pas un groupement religieux mais sécuritaire. Nationaliste, selon le qualificatif du journaliste irakien Hachem Al Hachem, Samir AL Khalfaoui était un ancien officier de la base aérienne irakienne de Habbaniyah, expert en logistique.

Samir Hassan

Originaire de Tripoli (Nord-Liban), fondateur du Mouvement de l'Unification (At Tawhid) et ancien dirigeant de sa branche militaire (1982-1986), Samir Hassan a été prisonnier en Syrie pendant onze ans. Depuis sa libération, il fait office d'expert militaire et spécialiste des groupements islamistes de la zone.

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3 commentaires
  • Sur le drapeau irakien y a un « allahou akbar »
    c’est la Saoudite qui a « la Illah IllaL Lah »

  • Ce que vous dites à propos des drapeaux saudien et irakien est vrai.
    Mais le drapeau saoudien est vert, entrecoupé d’un sabre et l’irakien est tricolore (rouge noir blanc) avec l’inscription que vous mentionnez d’ailleurs ajoutée par Saddam Hussein en personne
    Mais dans ce le cas précis les drapeaux des deux groupement djihadistes sont de couleur noire; Celui de Jabhat ne fait aucun doute car après la profession de foi islamique, le drapeau est signé Jabhat An Nosra en arabe, celui de daech mentionne « Wa Mohamaad Rasoul », et Mahomet est son prophète.

  • Tout à fait, ce que vous dites est exacte
    ma remarque concerne le texte
    « RÉFÉRENCES
    2- Al Hamla Al Imaniyah….., ….. idéologie laïcisante en dévot. Cette mutation a été couronnée par l’inscription sur le drapeau irakien de la Chahada …… «