Palestine : Khaled Mecha'al sur un siège éjectable

Palestine : Khaled Mecha'al sur un siège éjectable 938 440 René Naba

Dernière mise à jour le 1 octobre 2016

La capitulation idéologique en rase campagne de Khaled Mecha’al.

Khaled Mecha’al, dirigeant du Hamas, s’est livré à une confession publique, samedi 24 septembre 2016 à Doha, dans un exercice d’autocritique qui s’est apparenté à une capitulation idéologique en rase campagne du chef politique de la branche palestinienne des Frères Musulmans, artisan de la déconfiture du mouvement islamiste palestinien.

Celui qui se rêvait en destin de Libertador qui s’est révélé un fossoyeur de la cause palestinienne, a pris prétexte d’un colloque organisé par le «Centre des Etudes d’Al Jazira», pour se livrer à une confession publique sur «les erreurs» du Hamas durant la séquence dite du «printemps arabe».

Premier exercice du genre depuis sa bévue stratégique de son exil à Doha, l’autocritique de Khaled Mécha’al est apparue à bon nombre d’observateurs comme le prélude à son dégagement du leadership du mouvement islamiste palestinien.

Voici la liste des erreurs admises par Khaled Mécha’al :

1 ère erreur : «Hamas a commis une erreur en monopolisant le pouvoir à Gaza après sa rupture avec le Fatah, dans la foulée de sa victoire électorale en 2006…

2 ème erreur : «L’erreur de penser que l’ère du Fatah, (la matrice des formations de la guérilla palestinienne) était révolue et que l’ère du Hamas débutait. Sur la base de cette fausse estimation, nous avons commis l’erreur de chercher à les évincer.

3 ème erreur : «Le mouvement islamique a commis l’erreur de surestimer son importance dans la séquence dite du «printemps arabe», faisant preuve d’un manque d’expérience en ce domaine, d’un manque d’informations précises, ce qui a provoqué une perturbation dans nos rapports avec nos partenaires».

4 ème erreur : Réaffirmation du principe de la non ingérence dans les conflits qui agitent la région. «Nous nous rangeons du côté des peuples, en faveur de la stabilité de la nation, en prenant en considération nos intérêts et les impératifs de notre combat en tant que Mouvement de Libération Nationale et de Mouvement de Résistance. En cas de conflits d’intérêt, nous devons nous ranger du côté de nos principes».

En 2012, à l’expiration de son 2eme mandat, le chef politique de la branche palestinienne de la confrérie des Frères Musulmans a avoué à Abdel Bari Atwane, directeur du journal en ligne «Ar Rai Al Yom», lors d’un entretien en Turquie, qu’il ne «souhaitait pas briguer un 3eme mandat, mais qu’il a dû postuler à la demande pressante du Mohammad Morsi, à l’époque président néo-islamiste d’Égypte, du président turc Reccep Tayeb Erdogan et de Youssef Qaradawi, le milliardaire mufti de l’Otan basé à Qatar.

L’influent journaliste arabe d’origine palestinienne a révélé cet épisode dans son compte rendu de la confession sur ce lien:

Commentant la confession télévisée de l’exilé de Doha, Abdel Bari Atwane a jugé qu’elle pêchait par certaines omissions, énumérant ses principaux griefs à l’encontre du mouvement palestinien:

1er grief : «Hamas a non seulement cherché à monopoliser le pouvoir à Gaza et ne s’est pas contenté d’évincer le Fatah mais à évincer également la plupart des autres formations palestiniennes, qui constituent la majorité du peuple palestinien».

2eme grief : Hamas a cherché à traiter uniquement avec les formations islamistes, un comportement d’un grand sectarisme: «Au plus fort de l’euphorie dans leur phase ascendante du «printemps arabe», les islamistes avaient veillé à éliminer toute discordance au sein de l’opinion, ne tolérant la moindre critique. Il est judicieux que «Mecha’al ait demandé à ses partisans islamistes de respecter les critiques formulées à l’égard du Hamas».

3eme grief : La plus grande erreur réside dans le comportement du Hamas de ne pas admettre le principe du «partenariat» dans la gestion des affaires publiques. Ce comportement est aberrant et «non les erreurs d’appréciation, le manque d’expérience et d’informations précises».

4eme grief : «Le fait d’émettre des fatwas frappant d’apostasie des dirigeants arabes, dans le but de servir les menées militaires étrangères contre les pays arabes, ou de décréter le +Jihad+ en Syrie».

5eme grief : «Fermer l’ambassade de Syrie au Caire, tout en maintenant ouverte l’ambassade israélienne», sous la mandature Morsi.

«Khaled Mécha’al aurait fait preuve de courage en mentionnant ces graves erreurs, en mentionnant en outre la provenance de son arsenal militaire, certainement pas des pays auxquels il s’est rallié (Qatar, Arabie Saoudite, Turquie), en gardant surtout présent à l’esprit le fait que la CAUSE PALESTINIENNE DOIT SE PLACER AU DESSUS DES DIVISIONS INTERNES ET DES DISSENSIONS CONFESSIONNELLES CAR LA CAUSE PALESTINIENNE EST, EN PREMIER LIEU, LA CAUSE DES ARABES, DES MUSULMANS, ENFIN UNE CAUSE INTERNATIONALE.

L’auto-critique explicite d’un dirigeant du Hamas, la branche palestinienne des Frères Musulmans.

Anticipant ce dégagement, Ahmad Youssef, ancien conseiller politique d’Ismail Haniyeh, a pointé sans ambages les erreurs du Hamas, spécifiant les erreurs que l’exilé de Doha a omis de mentionner:

«Le Hamas a considéré que l’heure des Frères Musulmans avait sonné avec la conquête du pouvoir dans plusieurs pays arabes au début du printemps arabe et qu’il importait en conséquence de s’adapter au nouveau contexte de manière à se conformer à la nouvelle carte géopolitique de la zone», a-t-il déclaré.

«Les islamistes en Égypte et en Palestine n’ont pas fait preuve de lucidité politique» lors de leur accession au pouvoir, a-t-il ajouté lors de son interview au quotidien libanais «Al Akhbar», en date du 9 juin 2016, soit quinze jours après la proposition du tunisien Rached Ghannouchi de séparer le politique du religieux.

Voici les passages importants de cette interview dont le texte intégral pour le lecteur arabophone est sur ce lien :

«Le dossier syrien a été le plus difficile à gérer car cette affaire s’est répercutée sur nos relations avec l’Iran et le Hezbollah, avec lesquels nous sommes liés par des liens historiques de solidarité. Hamas a pâti dans cette affaire; Ce fut une véritable perte pour Hamas».

«Avec l’éviction de Mohammad Morsi, nous avons perdu l’Égypte. Mais nous devons néanmoins préserver nos relations avec ce pays, dont nous n’oublions pas sa contribution au combat pour la Palestine, notamment le lourd tribut payé par Nasser en ce domaine.

«La Palestine est la question centrale du combat de la Oumma et nous nous devons de maintenir une égale distance dans nos rapports avec les capitales arabes et islamiques.

«L’incapacité du Hamas à se concilier les autres forces, de même que le blocus dont il a fait l’objet tant de la part des Israéliens que des autres états, ont quasiment paralysé sa capacité à gouverner.

Selon des informations de la presse fiable arabe, Khaled Mécha’al devrait dégager son poste en 2017. Parmi les candidats les plus sérieux à sa succession le nom d’Ismail Hanniyeh a été avancé.

Le premier ministre de Gaza, sous contrôle du Hamas, est en effet le seul dirigeant sunnite à ne pas avoir déserté le champ de bataille, contrairement à son collègue Khaled Mécha’al, à Saad Hariri, chef du clan saoudo américain au Liban ou encore d’Ahmad Al Assir, la dague salafiste libanaise du Qatar sur le flanc du Hezbollah libanais.

Contrairement aussi et surtout à Hassan Nasrallah, le chef de la formation paramilitaire chiite, seul dirigeant de mouvement de libération arabe à n’avoir jamais déserté le combat, victorieux en Syrie face aux djihadistes takfiristes et au sud-Liban face à Israël.

Le dégagement de Khaled Mécha’al devrait permettre de tourner la désastreuse page des dérives stratégiques du Hamas, sans précédent dans les annales des Guerres de Libération Nationale. Il pourrait ouvrir la voie dune manière subséquente à un recentrage de sa politique en direction de ses anciens alliés naturels, notamment l’Iran et le Hezbollah.

Une normalisation complète des relations du Hamas avec «l’axe de la résistance» demeurera tributaire, en dernier ressort, de l’accord du président syrien Bachar Al Assad, son ancien hôte, lequel vient de bénéficier d’un soutien de taille de la part du Maréchal Abdel Fattah Al Sissi, président de l’Égypte, son ancien partenaire des guerres israélo-arabes, de surcroît le plus implacable adversaire de la Confrérie des Frères musulmans dans le Monde arabe.

Une normalisation complète des relations entre le Hamas et les contestataires à l’ordre hégémonique israélo-américano-saoudien présuppose, en tout état de cause, un retour aux fondamentaux du combat arabe et la répudiation de la stratégie pétromonarchique-atlantiste.

Pour aller plus loin
  • http://www.renenaba.com/qatar-hamas-un-an-apres-hamad-du-qatar-en-rade-et-le-hamas-en-panade/
  • http://www.renenaba.com/la-fin-sans-gloire-du-deus-ex-machina-de-la-revolution-arabe/
Illustration

Khaled Mechaal à Amman, Jordanie, le 4 septembre 2016. REUTERS/Muhammad Hamed

René Naba

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l'AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l'information, membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme et de l'Association d'amitié euro-arabe. Auteur de "L'Arabie saoudite, un royaume des ténèbres" (Golias), "Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l'imaginaire français" (Harmattan), "Hariri, de père en fils, hommes d'affaires, premiers ministres (Harmattan), "Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David" (Bachari), "Média et Démocratie, la captation de l'imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l'Association d'amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Editorialiste Radio Galère 88.4 FM Marseille Emissions Harragas, tous les jeudis 16-16H30, émission briseuse de tabous. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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3 commentaires
  • J’espère bien qu’il va se retirer sur mars ou Jupiter car on arrive à la fin du livre de
    « grandeur et décadence de la péninsule arabique »

  • Le drame de Mechaal, comme celui de l’ensemble des dirigeants arabes (Monarchies et Républiques) c’est qu’ils monopolise et personnalise le pouvoir pendant de longues périodes. Tous ces « chefs » obstruent l’idée même de la possibilité du changement à la tête de leur état, de politique (intérieure et extérieure) mise en place et du renouvellement de la classe politique, sauf par reproduction à l’identique. De ce fait, ils interdisent par la loi, par le discours politique et par la violence d’état, toute contestation de leurs pratiques politiques et toute idée et voix dissonantes, même si elle n’est pas dissidente.
    Mechaal, a aggravé ce comportement sectaire en violant une règle millénaire de la culture arabo-musulmane : la reconnaissance des actes de ses bienfaiteurs. Plus encore, il a ajouté à cette ligne politique l’immixtion dans les problèmes des politiques intérieures des états arabes et prenant fait et cause pour la vision politique religieuse décidée par les frères musulmans, alors que la cause palestinienne a besoin de tous les états et peuples arabes, au delà des opinions et des positions des uns et des autres (les dirigeants et les peuples, et exige de ne pas entrer dans la « guerre sunnite – chiite », qui est une guerre de géo-stratégie et de leadership et non une guerre véritablement religieuse. Il n’a pas eu la capacité de tirer les leçons de « l’erreur » commise par le père et leader de la cause palestinien ARAFAT, lorsqu’il pris position en faveur de Saddam Hussein lors du conflit Irak – Koweït et de la (seconde) guerre du golfe qui s’en est suivi.
    De ce fait lui comme les autres n’ont pas senti venir les conséquences de la chute du mur de Berlin (1989) et l’aspiration des peuples à être maitre de leurs destins, et d’accéder, même de manière formelle, au droit de la liberté d’expression et de la possibilité de critiquer leurs dirigeants, sans avoir à moisir dans les prisons, pour un mot, une expression, un article ou un poème.