Dernière mise à jour le 5 février 2024
Rien, ni les coups de butoir djihadistes pour disposer d’un accès à la mer, dans le secteur de Tripoli (Nord-Liban), ni leurs tentatives de déstabiliser le Liban en vue d’ouvrir un nouveau front pour combattre le Hezbollah sur son terrain et élargir la guerre chiite-sunnite à l’ensemble du Moyen-Orient (Syrie, Irak, Liban,Yémen, Bahreïn), ni les meurtriers attentats suicides à coup de captagon qui terrorisent tant la population. Rien, pas plus la vacance présidentielle, la paralysie progressive du pouvoir, l’asphyxie de son économie…Rien absolument rien: Dans ce pays mercantile à l’excès, l’esprit de lucre primait toute autre considération.
I – Les trois barons
Ils sont trois à se partager le vaste et lucratif marché des stupéfiants: un libanais et deux syriens (Hassan Srour, Mohammad Chéhadé et Khaldoun Al Ghoufeily)
Tous les trois sont tombés en 2016 dans les rets du Bureau Central de Lutte contre les stupéfiants. Trois barons de la drogue libanaise considérés comme les plus importants propriétaires d’atelier et de laboratoire de fabrication du captagon, les plus gros producteurs et exportateurs de cette drogue du Liban vers le Golfe, via les voies d’accès à Beyrouth (port et aéroport). A leur actif ou leur passif, l’exportation de plusieurs dizaines de millions de comprimés de captagon vers les pétromonarchies.
A- Hassan Srour, alias Abou Abdo, un logement à proximité du QG de bureau central de lutte contre les stupéfiants
Le Libanais est tombé en premier. Ingénieux il avait pris un logement à proximité immédiate du Quartier Général du Bureau Central de la lutte contre les Stupéfiants, Rue Bliss à Beyrouth dans le périmètre de la prestigieuse Université Américaine. Aux enquêteurs, il avouera avoir choisi cette planque pensant qu’il s’agissait du dernier endroit au monde qu’ils décideraient de ratisser.
Sauf que l’ostentation est un vilain défaut libanais. Le déploiement de limousines au pied de l’immeuble ont mis la puce à l’oreille des enquêteurs. Plusieurs voitures spécialement aménagées pour le transport de la drogue ont été saisies de même qu’une grande quantité de comprimés. Propriétaire d’un laboratoire dans la plaine de la Beka’a, Hassan Srour opérait en association avec son frère, Abou Khaled, et de son neveu. Une entreprise familiale en somme.
B- Mohammad Chéhadé, alias Abou Abbas, un commandant des forces de sécurité en guise d’associé en affaires.
Natif de 1964, habitant la bourgade de Flitta, proche d’Ersal, théâtre d’affrontements entre l’armée libanaise et les djihadistes de Syrie, il dispose en outre d’un appartement à Adama (Syrie). Il croisera le fer avec les combattants de Jabhat An Nosra dans le secteur d’Al Qalmoun pour défendre son périmètre, son commerce et son trafic, tant du captagon que du haschich.
L’homme a connu la célébrité lors de son apparition sur la chaîne de télévision syrienne «Al Ikhbariya», menotté, au sein d’un groupe de trafiquants et de passeurs interceptés alors qu’ils tentaient d’écouler 500.000 comprimés de captagon et de haschich.
Ses plus grandes opérations de contrebande ont été dirigées depuis deux appartements l’un situé à Antélias, dans le secteur chrétien de la grande agglomération de Beyrouth, l’autre à Adama, en Syrie.
Abou Abbas a été arrêté en 2011, au début de la guerre de Syrie, puis relâché peu après. Intercepté de nouveau le 5 mai 2017, l’enquête a révélé qu’il était associé à un commandant des forces de sécurité dans la production du laboratoire d’Ersal. Le commandant (dont les initiales sont B.N), qui a été arrêté depuis, assurait non seulement sa protection mais facilitait la sortie de la production depuis Ersal et acheminait la cargaison à bord de son véhicule de service jusqu’à Beyrouth.
Interpol avait lancé un mandat d’arrêt à son encontre et toutes les polices du Golfe étaient à ses trousses, particulièrement l’Arabie saoudite, le Koweït et Doubai, ses trois plus gros marchés d’exportation. Il sera finalement arrêté en dépit de nombreuses précautions: changements fréquents de domicile, de son nom d’identification, usage de portables avec cartes pré-payées de différents fournisseurs. Il passera aux aveux, reconnaissant sa responsabilité dans l’exportation du captagon vers le Golfe, ainsi que la vente des éléments nécessaires à la fabrication de cette drogue à des sous traitants au Liban et en Syrie.
C- Khaldoun Al Ghoufeily, alias Abou Méchaal
Natif de 1990, ce syrien était réputé dans le monde de la contrebande du captagon malgré son jeune âge.
L’homme ciblait particulièrement l’Arabie Saoudite, le Koweït et le Qatar, deux des trois grands financiers de la guerre contre la Syrie, exportant dans ces trois pétromonarchies plusieurs millions de comprimés selon des procédés variés: cargaison camouflée à l’intérieur de tables en bois à destination du Qatar, de plats en plastique à double fond à destination du Koweït, des plants destinés à la culture pour l’Arabie Saoudite.
L’homme disposait de plusieurs noms d’identification: Abou Méchaal, Abou Ahmed, Khaled Al Khalid, Al Khan (l’oncle). Il a été identité par un ancien complice lors d’un interrogatoire musclé.
Khaled Matroud Al Ghoufeily, son vrai nom, vivait en fait à Antélias. Il a été arrêté le 4 janvier 2016 à l’occasion de la perquisition de sa planque. Un des principaux financiers de la production et la commercialisation du captagon, il était opérationnel depuis 2011.
D – Un super baron à la tête des 3 barons, sous traitants
L’arrestation des trois barons n’a pas pour autant asséché le trafic. Trois mois après leur arrestation, la permanence du trafic au même degré d’intensité tend à suggérer la présence d’un réseau plus vaste et que les trois barons ne seraient en fait que des sous barons, agissant comme des sous traitants d’un plus grand baron, disposant d’une plus grande protection et de plus grands soutiens. Insaisissable pour le moment.
Au déclenchement de la guerre de Syrie, le Liban, mais aussi la Turquie (front nord de la Syrie) et la Jordanie (Front sud de la Syrie) sont devenus des points de passage du trafic du captagon. Une industrie devenue florissante avec l’extension des hostilités, hissant le Liban au rang de grand producteur de cette drogue, encore que la production et la consommation du captagon demeure infiniment moindre que le haschich et l’héroïne, en raison du prix prohibitif du comprimé.
Les pétromonarchies, avec leur pouvoir d’achat supérieur à ceux du Liban et de la Turquie, ont ravi le marché de la consommation à leur profit, devenant les plus gros consommateurs de ce produit chimique magique. La commercialisation de ce produit a atteint un degré de sophistication rarement égalé: Aucun tabou ne résiste à l’attrait du gain, pas plus les intestins de mouton que de faux exemplaires du Coran, tout est bon pour s’engourdir et s’abrutir.
E – Ateliers mobiles
La multiplication des perquisitions et des saisies a conduit de gros producteurs
à opérer via des ateliers mobiles. Les «stups» ont ainsi saisi un atelier camouflé dans le coffre arrière d’une voiture disposant d’une capacité de production de plusieurs millions de comprimés.
Les laboratoires sont dissémines principalement dans la plaine centrale de la Beka’a et dans le nord du Liban, une région à forte densité sunnite autour de Tripoli, caractérisée par une forte présence de sympathisants pro-djihadistes, ainsi que dans le secteur de FLITTA (Syrie) et de la bourgade d’Ersal (Liban), longtemps un champ d’affrontement entre l’armée libanaise et les djihadistes de Syrie.
II- Le Hezbollah, engagé dans la chasse aux trafiquants de drogue.
Devant l’ampleur des ravages de la drogue et des abus des trafiquants, le Hezbollah a engagé en 2017, une bataille contre les barons de la drogue, particulièrement dans la banlieue sud de Beyrouth, son fief, qui abrite près de 600.000 personnes, dans leur très grande majorité de confession chiite.
Deux vagues de perquisition ont été ordonnées par le Hezbollah, la première d’une durée de six semaines a eu lieu en Février et Mars 2017, la seconde en Avril. 50 personnes ont été arrêtées et remises à la justice libanaise.
Le Hezbollah a mis sur pied, à cette occasion, un bataillon spécial de 120 personnes chargé de la lutte contre le trafic des stupéfiants. Dénommé «Al Abbas», le bataillon a été placé sous l’autorité d’Abbas Hamiyeh, un responsable qui appartient à l’une des grandes tribus chiites de la plaine de la Beka’a, qui passent pour compter des «grands barons» de la drogue en leur sein.
Outre le clan Hamiyeh, les cinq autres tribus dont le nom figure dans ce trafic sont: Zeaiter, Jaafar, Moqdad, Amhaz et Berro. Toutefois, l’un des grands chef de la mafia libanaise de la drogue Nouh Zeaiter, a échappé au coup de filet du Hezbollah.
Pour aller plus loin sur ce thème, voir la version arabe sur ce lien :
III – Le captagon, un stimulant sexuel, le secret de son engouement au sein des pétromonarchies
Le succès du captagon au sein des populations des pétromonarchies s’explique par le rôle qui lui est attribué de stimulant sexuel. Mis revers de la médaille, la surconsommation de ce stimulant réduit les capacités génésiques et les performances sexuelles du consommateur, le conduisant à un usage renouvelé à des doses de plus en plus élevées. Une surconsommation élevée entraîne sur le long terme un véritable collapsus physique. Une infernale spirale.
Des groupements djihadistes terroristes comme l’État islamique ou Jabhat An Nosra utilisent cette substance pour inhiber la peur de leurs combattants. Ces groupements produisent et utilisent le captagon pour rendre les combattants le plus opérationnel possible au moment des combats, en faisant disparaître la crainte et la fatigue. De surcroît le comprimé rend insensible à la douleur en cas d’interrogatoire musclé
Parfois mixé avec la caféine, cette combinaison stimule la dopamine et améliore la concentration de l’individu. En raison de ces vertus, le captagon a été un temps utilisé comme médicament, notamment pour traiter la narcolepsie et l’hyperactivité, avant d’être considéré comme substance addictive et interdit dans plusieurs pays dès la décennie 1980.
Depuis 2011, la fabrication du captagon au Liban, jusque-là principal producteur, se serait largement délocalisée vers la Syrie. La majeure partie des pilules est désormais élaborée dans ce pays, selon un responsable de l’unité de contrôle des drogues libanais. Celles-ci sont ensuite transportées par bateau ou voiture de la Syrie vers le Liban et la Jordanie.
Selon l’Organisation mondiale des douanes (OMD), la quantité de pilules saisies dans les pays de la péninsule arabique a fortement augmenté: plus de 11 tonnes de captagon en 2013, contre 4 seulement l’année précédente. Vendu entre 5 et 20 dollars le comprimé, le captagon offre un potentiel de financement majeures du djihad.
Le golfe pétromonarchique est vraisemblablement l’une des rares parcelles de la planète où le paradis est au ciel et sur terre, grâce au captagon. Et dire qu’ils ambitionnent de régenter le Monde arabe.