Dernière mise à jour le 20 décembre 2017
Dossier spécial de la revue Golias, avec l’aimable autorisation de son directeur Christian Terras
EN ISRAEL, LES ARABES CHRÉTIENS SPOLIÉS ET DISCRIMINÉS
Par Martine Sevegrand, historienne.
À la veille de noël dernier, Benjamin Netanyahu déclarait : «Le seul État de la région qui protège les chrétiens est l’État d’Israël». Ce pays n’est-il pas considéré d’ailleurs couramment comme la seule démocratie du Moyen Orient ? Il faut pourtant y regarder de près.
Il n’existe pas de «nationalité israélienne» dans cet État fondé comme «juif». Les citoyens sont répartis en cinq nationalités: juive, arabe, druze, circassienne et bédouine. Le caractère juif explique la fameuse «loi du retour», votée en 1950, qui accorde la citoyenneté (et la nationalité juive) à tout juif qui se présente à la frontière, à la condition qu’il n’ait pas changé de religion. Israël se veut, en effet, «l’État des juifs du monde entier».
En revanche, les Palestiniens expulsés en 1948-49, ne peuvent pas rentrer dans leur pays, malgré la résolution 194 des Nations Unies (décembre 1948) qu’Israël a, en principe, ratifiée pour être admise à l’ONU et la Déclaration universelle des droits de l’Homme .
1 – Un «État juif et démocratique»
Le caractère «démocratique» de cet État explique que tous les citoyens peuvent voter pour élire la Knesset, si bien qu’actuellement, sur 120 députés, 13 sont arabes et 4 druzes. Cependant, aucun gouvernement israélien n’oserait inclure des députés arabes, systématiquement marginalisés. Cette distinction en cinq nationalités explique bien des aspects. Si nous traitons ici des Arabes chrétiens, il faut ajouter que les plus mal traités sont les Bédouins.
2 – Les spoliations des chrétiens en tant qu’Arabes
En 1948, les chrétiens, comme les autres Arabes, furent victimes des expulsions et destructions de leurs villages. A Haïfa et à Jaffa, les Arabes furent expulsés par la violence, les églises et les couvents saccagés et pillés tout comme les mosquées .
Cependant, consciente que la communauté internationale portait son attention sur Nazareth, la grande ville chrétienne de Galilée, la jeune armée israélienne se garda de toute épuration ethnique dans cette ville. Le cas de deux villages chrétiens de Bir’im et Iqrit est particulièrement révélateur qui du caractère colonisateur de l’État d’Israël; ces villages furent vidés de leurs habitants, en principe temporairement.
Les années passant, les Arabes chrétiens portèrent l’affaire devant les tribunaux et… l’armée dynamita les maisons. Il fut interdit aux paysans de pénétrer sur leurs terres; puis ces terres furent confisquées puisqu’elles étaient «non cultivées» ! Procédé qui fut souvent utilisé ; les terres furent attribuées à des colonies juives. Les chrétiens (en l’occurence grecs catholiques et maronites) n’abandonnèrent pas : en été, à Iqrit, des camps pour les enfants furent organisés. A deux reprises, la Cour suprême leur donna raison mais le gouvernement s’est toujours opposé au retour dans ces deux villages. Dernièrement, des jeunes s’étant installés dans des mobil-home, ils furent expulsés par l’armée.
3 – Aujourd’hui, qui sont ces Arabes chrétiens ?
Les Arabes chrétiens sont aujourd’hui autour de 130 000 sur une population arabe totale de 1 750 000 . Leur nombre augmente peu compte tenu de leur fécondité faible: 2,2 enfants par famille tandis que la fécondité des familles musulmanes est de 3,1 et celle des juif de 2,3. Ces chrétiens sont des catholiques de rite byzantin (melkites) au nombre de 65 000, des orthodoxes (45 000), des latins (rite catholique) au nombre de 15 000, des maronites (7 000) et des anglicans (3 000).
Ces Arabes chrétiens sont localisés en Galilée et Nazareth reste la plus grande ville chrétienne (même si les chrétiens n’y forment plus qu’un tiers de la population), à Haïfa et dans des villages. Rappelons que, dans le plan de partage voté en novembre 1947 par l’ONU, l’essentiel de la Galilée, densément peuplée d’Arabes, devait faire partie de l’État palestinien.
4 – Le rôle important des 47 écoles privées chrétiennes
La ségrégation domine le système scolaire israélien. Il existe des écoles juives –séparant d’ailleurs juifs religieux et juifs laïcs-, des écoles arabes et d’autres pour les druzes. Les écoles arabes sont d’un bas niveau; il faut dire que l’État verse
1 100 $ pour un élève juif et 192 $ pour un élève arabe ! Les 47 écoles privées chrétiennes qui ont un excellent niveau jouent donc un rôle important. Elles accueillent d’ailleurs à 50 % des musulmans et même quelques juifs.
Le taux de réussite dans ces écoles est de 63 % au Bac, contre 58 % pour les juifs . Jusqu’en 2009, le gouvernement israélien finançait 65 % du budget de ces écoles alors qu’il finance à 100 % les écoles juives. Puis, d’année en année, le financement étatique était tombé à 29 %; le but du gouvernement étant, évidemment, de contrôler ces écoles chrétiennes. Au début de septembre 2015, les 47 écoles se mettaient en grève (avec le soutien des musulmans); après une grève de quatre semaines, elles obtinrent une amélioration de leur sort pour cette année scolaire.
5- L’apport des Arabes chrétiens au nationalisme palestinien
Nombreux furent les Arabes chrétiens qui furent des militants actifs. Malgré la majorité musulmane à Nazareth, tous les maires de la ville jusqu’à aujourd’hui sont des chrétiens ; certains furent très connus comme Tawfik Ziad qui fut aussi député arabe de la Knesset. Tawfik Toubi, né en 1926, fut député à la Knesset de 1949 à 1990. Émile Habibi fut à la fois député arabe et un homme de lettres réputé. Azmi Bishara, né à Nazareth, député, fonda le parti Balad qui revendique un État traitant à égalité tous ses citoyens; accusé en 2006 de «crime contre la sécurité de l’État, il a dû s’exiler.
Mais un nouveau député arabe chrétien du parti Balad lui a succédé, Bassel Ghattas. Ajoutons que l’ancien patriarche Michel Sabbah est né à Nazareth et que l’actuelle et très active députée Haneen Zoabi a été formée dans une école chrétienne. Enfin, comment ne pas rappeler que le grand écrivain Ghassan Kalafani, né à Acre, exilé au Liban en 1948 et porte-parole du FPLP au Liban, a été assassiné en 1972 par les services secrets israéliens ?
6 – Terminons en soulignant les tentatives gouvernementales de détournement des Arabes chrétiens
En 2014, le gouvernement israélien a créé un sixième nationalité, celle des «chrétiens araméens». Elle voudrait détacher des chrétiens parlant l’araméen ou de liturgie araméenne… considérés comme n’étant pas arabes. Théoriquement, 20 000 chrétiens pourraient en faire partie.
Quelques personnalités chrétiennes, épaulées par les autorités, mènent le jeu. Un maronite, lieutenant de réserve, Shadi Kahlloul et un prêtre orthodoxe, Gabriel Nadaf, tentent de recruter des jeunes chrétiens pour l’armée. Ils ont peu de succès. Gabriel Nadaf , originaire lui aussi de Nazareth, a été démis de ses fonctions par l’Église orthodoxe mais le gouvernement de Netanyahu l’utilise pour sa propagande à l’étranger. C’est ainsi que, grâce à l’entremise du député «français» Meyer Habib, il a été reçu à notre Assemblée nationale.
“L’OEUVRE D’ORIENT” ET “SOS CHRÉTIENS D’ORIENT”, DEUX ASSOCIATiONS À NE PAS CONFONDRE
Si l’oeuvre d’Orient apporte depuis plus d’un siècle une aide précieuse aux Chrétiens d’Orient, la politique de l’association «SOS chrétiens d’Orient» est d’un tout autre ordre. Une action plus proche de la Reconquista que du caritatif.
Décryptage…
Fondée il y a près de 160 ans, l’Oeuvre d’Orient est rattachée à l’Église de France et apporte une aide à des institutions et communautés catholiques de la Turquie à l’Éthiopie en passant par l’Irak, de l’Inde (Kérala) à l’Égypte en passant par la Syrie, la Palestine et le Liban. Les activités aidées sont les plus diverses.
Citons, par exemple : quelques petites communautés de villages de Haute-Égypte où la population est très pauvre, les franciscaines de Jordanie qui soutiennent des jeunes, le Centre Hospitalier de Bhannés au Liban, mais aussi le séminaire du patriarcat latin de Beit Jala (Cisjordanie). Tous les ans, les donateurs reçoivent un bilan financier.
Oeuvres très cléricales, dira-t-on, mais combien nécessaires pour des populations, sinon toujours menacées dans leur vie, mais souvent discriminées et tentées de fuir leur propre pays.
L’Oeuvre d’Orient est en lien étroit avec tous les patriarches et les évêques de la région; elle défend la cause des chrétiens d’Orient mais sans intentions politiques. Ajoutons que son bulletin trimestriel est une source précieuse d’informations sur l’actualité mais aussi sur l’histoire, méconnue ici, de ces chrétiens qui nous ont apporté la foi au Christ. On ne peut en dire autant de «SOS chrétiens d’Orient».
Créée en octobre 2013, l’association entend réaliser «des projets concrets promouvant la fraternité avec les chrétiens d’Orient». Qui pourrait ne pas soutenir cet objectif ? Sauf qu’il dissimule de curieux militants.
Le site anti-fasciste Réflexes et Buzzfeed News ont, chacun de leur côté, mené leur petite enquête et dévoilé qui sont ses animateurs. Le président, Charles de Meyer, est un ancien collaborateur du député d’extrême droite, Jacques Bompard. Ses collaborateurs ont un CV aussi marqué : l’«identitaire» Olivier Demeocq participe à Radio Courtoisie, François-Xavier Gicquel, «manager» de l’association, est un ancien du FN, admirateur de Mussolini.
On pourrait continuer le palmarès. Disons seulement que tous les médias ne sont pas dupes puisque «lesalonbeige», un site catho extrémiste fait de la pub à «SOS chrétiens d’Orient», que l’abbaye du Barroux a accueilli une de leurs conférences ainsi que… Mgr Rey à Toulon !
Quant à Valérie Pécresse, avant sa grande victoire aux régionales, elle avait invité plusieurs fois l’association à des groupes d’étude de l’Assemblé nationale. On reconnaîtra volontiers à «SOS chrétiens d’Orient» de savoir se faire connaître.