France-Migrants : L’honneur perdu de l’Europe

France-Migrants : L’honneur perdu de l’Europe 1000 625 La Rédaction

Dernière mise à jour le 25 septembre 2019

Auteur : Claire Mankowski

Par la direction de la Revue Golias

MSF (Médecins sans Frontières) et SOS Méditerranée ont décidé de mettre un terme, le 7 décembre 2018, aux opérations de sauvetage de l’« Aquarius» en Méditerranée, déplorant les «attaques» répétées, dont leur mission a fait l’objet, pathétique épilogue d’un drame humain, révélateur de la crise de la notion de l’intervention humanitaire et du droit humanitaire international.

Les deux ONG ont indiqué étudier des options pour trouver un nouveau navire. Depuis 2016, le bateau a secouru 30 000 personnes.
Cette mesure tranche avec la décision de la Société Civile Africaine de décerner le «Prix Nobel de la Dignité» à l’Aquarius pour son rôle dans le repêchage des Migrants en Mer Méditerranée.

Ce texte est suivi du témoignage : «Moi Moussa, jeune migrant» de dix-sept ans Par Claire Mankowski (nom d’emprunt). Avec l’aimable autorisation de la revue Golias http://golias-news.fr/

Le clin d’œil nouveau chanoine jupitérien de Latran lancé au pontife romain après l’avoir embrassé nous donna quelque espoir. Après l’épisode désastreux de L’Aquarius (bateau de sauvetage de l’association SOS Méditerranée1) errant sur la Méditerranée avec 630 malheureux à bord car personne ne voulait d’eux, accueillis finalement par l’Espagne à la mi-juin, nous pensions que la République française allait enfin prendre ses responsabilités et faire preuve de courage. D’autant que le matin de cette rencontre, le chef de l’Etat avait pris son petit-déjeuner au Palais Farnese avec les dirigeants de Sant’Egidio, communauté considérée comme la diplomatie parallèle du Vatican, en pointe sur les sujets migratoires.

Las! Le sommet de Bruxelles deux jours plus tard a – même si la France y a joué un rôle central – signé la fin d’une certaine idée de l’Europe, celle notamment portée par les humanistes et les chrétiens. Le nationalisme, au pouvoir en Italie et dans bien des pays d’Europe centrale, n’eut qu’une seule ambition (en plus de n’apporter aucune solution): jeter de l’huile sur le feu des divergences européennes, atteindre l’union et l’unité des pays européens. Désormais, c’est chacun pour soi et Dieu pour tous, et encore! François a beau exhorter les dirigeants, c’est peine perdue.

Il s’agit pourtant de 131.000 demandeurs d’asile au premier trimestre 20182 mais c’est beaucoup trop pour l’opinion publique (en France, particulièrement). Parmi les décisions prises au sommet de Bruxelles, les réfugiés politiques pourront être accueillis par des pays volontaires, lesquels créeront des centres d’accueil où l’on pourra faire le tri entre les migrants économiques (expulsables) et les réfugiés demandeurs d’asile.

La France a d’ores et déjà annoncé qu’elle ne créera aucun centre sur son territoire car elle ne serait pas la première concernée par cette prétendue «submersion» véhiculée par l’extrême droite.

C’est oublier que la Corse – qui nous fait honneur – s’est dit prête à accueillir toute embarcation ayant à son bord des personnes menacées de perdre la vie en mer (avec l’aval des autorités continentales). Il est vrai qu’ils n’étaient jamais que 2.300 à perdre la vie en Méditerranée entre le 1er janvier et le 2 août 2017, sans compter les personnes portées disparues3. Le 29 juin dernier, au moment même où se tenait ce sommet, c’étaient 120 hommes, femmes et enfants qui mouraient au large des côtes libyennes, dont trois enfants de douze mois. Faut-il être étonné par la couardise française?

Après tout «la Patrie des Droits de l’Homme» laisse-t-elle depuis des années l’Italie – et la Grèce – assumer seule la responsabilité de l’accueil de ces pauvres gens… Mais nous sommes rassurés, le sommet de Bruxelles a convenu que les frontières européennes communes verraient leur surveillance renforcée; pour ce faire, les pays de l’Union financeront encore davantage l’armée libyenne afin qu’elle puisse contenir et combattre celles et ceux qui veulent quitter cet enfer; ils veulent désormais, plus que jamais, faire rendre gorge aux ONG.

L’équipe de L’Aquarius – actuellement en escale à Marseille – dénonce cette «légitimation de Tripoli comme un centre officiel de coordination des sauvetages». Avec un cynisme à peine dissimulé, l’UE condamne à mort ces rescapés.

Nous voilà donc enfermés sur nous-mêmes, derrière des barbelés, empêchant par tous les moyens ces malheureux de s’en sortir. A quand les miradors sous prétexte de protection des peuples européens contre des gens qui fuient la violence et les pires abus (esclavagisme, guerres, viols…)?

Le témoignage de Claire Mankowski [Nom d’emprunt], investie auprès de réfugiés à Ouistreham (Calvados), est précieux et déchirant à maints égards; il prend une autre couleur au regard des derniers événements que nous vivons. Il permet d’humaniser l’un de ces chiffres froids, de les doter d’un cœur qui bat et espère, de rappeler notre responsabilité collective.

Dans une tribune courageuse publiée le 21 juin dernier par Le Monde4, l’écrivain italien (sous protection policière) Roberto Saviano, auteur de Gomorra, se révolte contre la politique de son gouvernement mais pointe aussi la culpabilité de l’Europe. Et d’écrire ces mots, qui glacent le sang: «Quand, dans cent ans, on sondera les fonds de ce petit bout de Méditerranée et qu’on y trouvera des centaines de corps humains, on se demandera quelle guerre s’est jouée là.» Quel genre de civilisation avons-nous créé? Cette Europe est appelée à s’effondrer et même à disparaître si elle persiste sur cette voie ; elle n’est plus portée par des valeurs universelles qui suscitaient l’envie mais bien sur l’inhumanité et le dessèchement du cœur, comme si les Européens étaient les seuls au monde à mériter et avoir droit de vivre dignement (ce qui est très relatif). Nous avions l’ambition d’être les premiers; ces drames devant lesquels nous restons bras croisés font de nous les derniers des derniers.
La direction de Golias

  1. http://www.sosmediterranee.fr/
  2. https://www.touteleurope.eu/actualite/131-000-nouveaux-demandeurs-d-asile-dans-l-union-europeenne-debut-2018.html
  3. https://www.iom.int/fr/news/arrivees-de-migrants-en-europe-par-la-mediterranee-103-175-deces-en-mer-2-357
  4. https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/06/21/roberto-saviano-le-nouveau-gouvernement-italien-a-deja-cause-trop-de-mal_5318652_3232.html
Témoignage: «Moi Moussa, jeune migrant» de dix-sept ans

Par Claire Mankowski (nom d’emprunt)

Avec l’aimable autorisation de la revue Golias http://golias-news.fr/

Itinéraire de Moussa, jeune de 17 ans, espérant plus que jamais traverser la Manche mais bloqué en France, à Ouistreham puis Porte de la Chapelle à Paris… Comme lui, d’autres sont aidés par des bénévoles tels que Claire Mankowski, désormais vus comme des délinquants car ils tendent la main à leurs frères humains. Un témoignage bouleversant qui nous renvoie à nos propres responsabilités et nous interroge, nous chrétiens, de plus en plus nombreux à renoncer à l’Evangile en succombant aux sirènes d’extrême droite.

Moussa, jeune migrant originaire du Darfour, 17 ans justement, 17 ans seulement, mais 17 ans autrement…

Nous sommes à Ouistreham, près de Caen et de Sword Beach, l’une de ces plages du Débarquement, où a eu lieu – hier quand on y pense –, certainement l’un des plus beaux élans de Solidarité et de Fraternité que l’Histoire ait connus, et grâce auquel nous avons reçu la Liberté. Nous sommes un samedi matin, presque comme les autres, depuis quelques mois.

Ne me demandez pas exactement pourquoi je suis là. Je ne suis pas Ouistrehamaise, je vis à 30 kms d’ici et je fais partie de ces personnes qui se préoccupent, se mobilisent, et surtout, que l’on me croie ou non, je ne suis «portée» par aucune conviction politique ou religieuse précise.
Je suis là, avec mon cœur, parce que je suis «moi», parce qu’ils sont «eux», parce j’aime la vie, et que je la respecte tout simplement.
Je suis là aussi parce que je regarde le monde et la société dans lesquels je vis, parce que je m’informe, et parce que sur le chemin de ma vie, il y a quelques années, j’ai eu la chance de croiser l’ami Miguel, l’une de ces premières belles personnes d’Ouistreham à prendre la peine de regarder, d’échanger et de créer du lien avec ces jeunes héros anonymes. L’un des premiers à exprimer sa saine indignation.

Sur ce coin de parking, nous sommes une petite quinzaine, des femmes, pour les deux tiers. Nous sommes issus d’horizons différents dont de nombreux travailleurs sociaux, professionnels de la santé, retraités… Et puis après tout, d’où on vient, de quoi on vit, on s’en fiche complètement ici…

Nous nous retrouvons donc là, chaque samedi matin, afin de tenter de contribuer ensemble à la «survie» de jeunes individus – car ici, c’est bien de cela qu’il s’agit –, récoltant, achetant quand nous le pouvons, et distribuant vêtements chauds et secs, sous-vêtements, chaussures, duvets, produits de soins courants, café, thé, «collation», mais aussi bouteilles d’eau….

Eh oui, car dans cette jolie petite ville, accueillante pour les touristes, récompensée de 3 fleurs au «Concours des Villes et Villages Fleuris», si aucun abri n’est proposé à nos jeunes «copains», il en est de même pour les points d’eau, les toilettes, et tout ce qui est nécessaire à «la dignité humaine», c’est ainsi. Sur ce coin de parking, un peu «clandestinement», et sous le regard des forces de l’ordre stationnées non loin ou effectuant d’inlassables rondes, on fait connaissance, on crée des liens, forts parfois, on plaisante, on rit, on se regarde, on s’écoute, et on se tient chaud, on est des Humains dignes de ce nom.

Ils sont nombreux à être là ce matin, mais seulement la moitié peut-être. Une bonne soixantaine de ces fameux «migrants» comme on dit, sans souvent comprendre ou mesurer le sens de ce mot.

Ce sont en fait des dizaines de jeunes hommes, qui cherchent à embarquer pour l’Angleterre. Des garçons, de la douzaine à la petite vingtaine d’années, aucune fille.

L’immense majorité est originaire de la corne de l’Afrique: Soudan, Soudan du sud, Darfour, Érythrée. Ils ont, pour la plupart, passé la nuit dans les bois, les traits tirés par le manque de sommeil, les regards épuisés par un si long périple. Leurs vêtements, qui sont souvent leur seul abri, sont humides et sales.

Cependant ils sourient, rient parfois, et jamais ne s’apitoient sur leur sort (nous donnant au passage une leçon presque intime de vie qu’ils ignorent totalement). Le contact est si simple si l’on «ose» aller vers eux et s’exprimer dans un anglais même approximatif.

Moussa est là, perdu dans des vêtements sombres bien trop grands pour lui, un bonnet de laine vissé sur la tête. Il est particulièrement discret, adossé contre le mur de ce grand bâtiment désaffecté, aux portes presque ironiquement closes sous cette pluie battante.

Il semble un peu isolé des «autres» dans cette petite foule. Nous entrons tous deux en contact grâce à une paire de chaussettes, un rasoir jetable, et une brosse à dents que je lui propose (ici, plus rien ne semble insolite) et qu’il glisse timidement dans ses poches.

Il semble gêné de recevoir, je le suis toujours aussi de «donner», mais il ne le sait pas: II faut «vivre» cet instant pour éprouver et mesurer cet étrange sentiment.

Nous faisons connaissance. Il a 17 ans, le même âge que mon grand fils qui a choisi, par ce pluvieux matin d’hiver, de rester au chaud au fond de son lit, et, d’une certaine manière, je dois admettre que je le comprends un peu : j’ai eu moi aussi 17 ans et je suis sa «maman»! Etrangement, je les trouve si différents et si semblables à la fois, c’est frappant.

Etrangement c’est Moussa qui se projette dans son avenir avec le plus d’enthousiasme, convaincu certainement que pour lui, le plus difficile, c’est le passé, pas le futur! Il se passe quelque chose de fort entre nous, et je sais déjà au terme de notre demi-heure d’échange, que nous nous reverrons et que nous venons de partager un «moment de vie» important, pour lui, pour moi, pour nous…

Tous ensemble, en petits groupes, ils attendent et guettent des heures, au bord de la chaussée, aux abords des ronds-points retirés de la ville.

Impossible pour eux de s’approcher de la zone d’embarquement tant les forces de l’ordre sont présentes et actives. De plus, depuis quelques semaines, les feux de circulation devenus continuellement clignotants ne leur permettent plus de profiter du ralentissement d’un véhicule pour tenter d’y embarquer de quelque façon que ce soit.

Malgré ces conditions et la surveillance policière omni présente, ils essaient tous les jours ou presque d’accéder, sur, à l’intérieur, ou sous les essieux du camion qui saura les emmener sur ce maudit car-ferry afin de rejoindre l’Angleterre, ce pays où les lois sont différentes, symbole pour eux de liberté et de sérénité. Ils se disent conscients des dangers et prennent cependant des risques inouïs.

Certains, rares, y parviennent, combien? Ils connaissent par cœur les horaires de tous les bateaux: 8h30, 16h30, 23 heures. Entre 23h30 et 5 heures, ils retournent dans leur bois au mieux humide, plus rares sont ceux qui cherchent refuge dans la ville, dans des endroits souvent improbables, sur ou sous un banc… Certains ont le privilège précaire de disposer des sacs de couchage, d’autres de simples plastiques pour les protéger de la pluie.

Pas de sac, pas de papiers, une brosse à dents dans une poche et, pour certains d’entre eux, un téléphone souvent à bout de souffle. Pour la douche, il faut se rendre dans les associations, à Caen, à 15 kms à pieds par le chemin de halage longeant le canal (car prendre le bus ici, quand on est un «migrant», même doté d’un ticket, c’est prendre un autre risque), ou compter sur la générosité des habitants du coin, de plus en plus nombreux à se manifester.

Malgré un «règlement» difficile à comprendre ou à admettre, une quinzaine d’habitants, en moyenne, ouvre ses portes chaque soir: un repas, une douche, un moment de convivialité, une nuit à l’abri du froid, de la pluie, mais aussi du tumulte et des risques de se retrouver confronté à des individus hostiles à leur «installation», comme ils disent, ou aux forces de l’ordre dont nous savons tous qu’ils ont pour mission de les «déloger» (mais encore faudrait-il alors être «logé»), procédant ainsi à la confiscation de leurs duvets et rares effets personnels, n’hésitant pas à éteindre leur indispensable petit feu de camp, voire à faire appel au gaz lacrymogène…

C’est le samedi suivant, accompagnée cette fois de mon grand fils Tom, que je retrouve Moussa, contre son mur, toujours (et presque malheureusement) présent à cet énième rendez-vous clandestin. Ces deux-là échangent aussitôt. Je choisis de me mettre en retrait, de les laisser s’apprivoiser, et très rapidement les vois réfléchir ensemble, rire, puis se tenir par l’épaule. Je sais d’avance ce que me dira Tom dans l’heure qui suivra. Je le redoute, et pourtant, je me fais une fierté certes déplacée de me voir confirmer que mon fils est devenu un «type bien». J’ai raison.

Vient l’heure délicate de l’au revoir, puis du départ, ce moment étrange ou nous réalisons à quel point nous sommes bien dans la chaleur enveloppante d’une simple voiture aux sièges moelleux. Un silence avant que Tom n’éclate: «Maman, on ne peut pas le laisser là, c’est dégueulasse, on retourne le chercher, on l’emmène à la maison, au moins pour le week-end!». Il a raison.

Je dois piteusement m’expliquer, me justifier d’être respectueuse de règles que comme lui, je trouve absurdes et de textes que personne, finalement, ne comprend vraiment.

Nous démarrons et il réalise dès l’approche du premier rond-point, que je suis surveillée de près par les forces de l’ordre qui me pointent du doigt et jettent un œil dans l’habitacle de ma voiture, vérifiant ainsi j’imagine que je ne transporte ni ne contribue davantage à ce que certains considèrent être une autre forme d’«aide au séjour illégal».

Plus que jamais indignés, nous imaginons tous les deux un scénario qui pourrait nous permettre d’accueillir Moussa dont nous avons le numéro de téléphone, la semaine suivante… Nous ne l’accueillerons jamais.

Moussa a saisi sa chance, il est monté, le mardi, dans l’un de ces camions! Heureux, il m’envoyait des sms pendant ce long, très long, puis trop long voyage, qui l’a finalement conduit…en Allemagne, à 800 km d’ici!

«Recueilli» dans un camp, parmi 6.000 compagnons d’infortune, il s’en est enfui au bout de 12 jours. Il est maintenant à Paris, Porte de la Chapelle. Nous échangeons chaque jour. Moussa n’a plus personne, hormis un oncle, en Angleterre. Les conditions sont, dit-il, plus rudes qu’à Ouistreham, tant ils sont nombreux. Il souhaite revenir pour la fin du mois de mars, tenter sa chance pour l’Angleterre mais me demande mon avis sur cette idée. Un avis que je suis incapable de lui donner avec objectivité.

Pour aller plus loin sur ce sujet, cf ce lien

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