La fonction d’un bi national n’est pas d’être le porte-voix de son pays d’accueil, ni son porte-serviette, mais d’assumer avec vigueur la fonction d’interface exigeant et critique. Un garde-fou à des débordements préjudiciables tant du pays d’origine que du pays d’accueil.
Dans l’intérêt bien compris des deux camps, le partenariat bi national se doit de se faire, sur un pied d’égalité et non sur un rapport de subordination de l’ancien colonisé, le faisant apparaître comme le supplétif de son ancien colonisateur en ce que l’alliance du Faible au Fort tourne toujours à l’avantage du Plus Fort.
De la même manière, le devoir d’un intellectuel arabe et musulman dans la société occidentale est de faire conjuguer Islam et progressisme et non de provoquer une abdication intellectuelle devant un islamisme basique, invariablement placé sous les fourches caudines israélo-américaines.
De la Religion et des guerres de religion.
Espace de communion et d’exclusion, la religion est un espace concurrentiel. L’instrumentalisation de la religion à des fins politiques est une constante de l’histoire. Toutes les religions y ont eu recours, dans toutes leurs déclinaisons, que cela soit la guerre de conquête de la chrétienté en Amérique latine ou les Croisades vers le Monde arabe, ou bien à l’inverse, la conquête arabe vers l’Asie, vers la rive méridionale de la Méditerranée ou l’Afrique.
Guerre de religion au sein de l’espace occidental de la chrétienté (entre Protestants et Catholiques en France ou en Irlande du Nord), ou guerre de religion au sein de l’espace musulman (entre Sunnites et Chiites), ou enfin le sionisme, la forme la plus moderne de l’instrumentalisation de la Bible à des fins politiques par la mise en œuvre de la notion du retour à Sion, sur les débris de la Palestine.
La religion n’est pas condamnable en soi. Ses dérives si en ce que la piété n’exclut ni l’intelligence, ni le libre arbitre. Elle n’interdit pas l’esprit critique. Elle ne saurait, en tout état de cause, se dévoyer dans des causes desservant l’intérêt national.
Mais nul part ailleurs qu’au sein du leadership sunnite arabe, l’instrumentalisation de la religion n’a autant dévié de son objectif, desservant la cause arabe, au bénéfice de ses commanditaires, les États-Unis, le meilleur allié de leur principal ennemi, Israël.*
Le djihadisme erratique takfiriste a consolidé, par ricochet, Israël, en ce qu‘il a consolidé dans l’imaginaire occidental l’idée d’une barbarie musulmane et justifier, par ricochet, et l’intransigeance israélienne et la phagocytose de la Palestine et l’arabo-phobie et l’islamophobie dans les pays occidentaux.
Si La prophétie est divine, son interprétation est humaine. La chrétienté a purgé le passif des guerres de religions et la réconciliation s’est opérée entre Catholiques, Orthodoxes et Protestants, entre Juifs et chrétiens. Ne subsiste que la guerre sunnite chiite qui tétanise l’ensemble arabo musulman.
Le Monde arabe ne constitue pas, loin s’en faut, un groupement ethnique homogène: Machreq-Maghreb, Arabes-Kabyles-Kurdes, Chrétiens-Musulmans, Sunnites-Chiites relèvent de la même géosphère culturelle du Monde arabe, majoritairement musulmane, majoritairement sunnite, majoritairement arabophone.
Ce fait irréfutable se doit d’être pris en compte par le leadership sunnite et le conduire à dépasser les clivages historiques pour atteindre un «seuil critique» à l’effet de peser sur les relations internationales et de conduire le Monde arabe vers sa renaissance et non de le précipiter vers un déclin irrémédiable.
La constitution d’une masse critique impulserait une dynamique à l’effet d’induire une structure paritaire dans ses rapports avec l’Europe, et partant, des rapports d‘égalité entre les deux rives de la Méditerranée.
La caste intellectuelle arabe et musulmane de la diaspora occidentale pâtit lourdement d’un phénomène de désorientation, la marque typique de l’acculturation, sur fond d’une décompression psychologique et d’une déperdition intellectuelle morale. Un naufrage humain.
Il lui incombe de refuser de cautionner la démocratie formelle représentée par la diplomatie de la Ligue arabe en ce que le Monde arabe est captif des pétromonarchies et le Monde musulman, otage du wahhabisme.
Un double handicap qui accentue la servitude de l’ensemble arabo musulman à l’ordre atlantiste et le marginalise dans la gestion des affaires du Monde.
Les monarchies arabes disposent d’une majorité de blocage régentant de ce fait le Monde arabe. Circonstance aggravante, les six pétromonarchies sont adossées chacune à une base militaire occidentale, alors que la Jordanie et le Maroc sont deux alliés souterrains d’Israël, Les Comores, un confetti de l’empire français et Djibouti abrite sur son sol une base américaine et une base française.
Ni les pétromonarchies du Golfe, ni la Jordanie, ni Djibouti ou les Comores n’ont mené une guerre de libération dont l’indépendance a été octroyée par leurs colonisateurs. Un déséquilibre structurel calamiteux pour la définition d’une stratégie du Monde arabe. La quête du savoir technologique et l’accession à la modernisation économique ne sauraient être compatibles avec un autoritarisme à soubassement rigoriste.
De même la personnalisation du pouvoir ne saurait, à elle seule, servir de panacées à tous les maux de la société arabo musulmane, ni la déclamation tenir lieu de substitut à l’impérieuse nécessité d’une maîtrise de la complexité de la modernité. Ce qui implique une nécessaire mais salutaire remise en cause de la «culture de gouvernement» dans les pays arabes.
Ce qui présuppose «une révolution dans la sphère culturelle», au sens où l’entend Jacques Berque, c’est à dire «l’action d’une société quand elle se cherche un sens et une expression».
Pour l’intellectuel, un réinvestissement du champ du débat par sa contribution à la production des valeurs et au développement de l’esprit critique. Pour le citoyen, la conquête de nouveaux espaces de liberté.
Pour le Monde arabo musulman, la prise en compte de ses diverses composantes, notamment ses minorités culturelles et religieuses, et, surtout, dernière et non la moindre des conditions, le dépassement de ses divisions
Précurseur de la laïcité avec la prescription du calife Omar «Ad Dine Lil lah Wal Watan Lil Jamih» – «La religion relève de Dieu et la Patrie appartient à tous ses citoyens»-, la gouvernance musulmane s’est laissée subvertir par une rigidité doctrinale sous tendue par une forme de religiosité biaisée au point de se laisser dépouiller de ce privilège par la France.
Mais un siècle après l’instauration de la laïcité en France, le concept vieillit mal et montre ses limites, qu’il importe de régénérer.
Un dialogue pour être véritable ne s’instaure que par le haut et non à coup de stigmatisations et de «bas-coups». Plutôt que de souscrire aux sommations, auquel il est convié à chaque soubresaut terroriste, plutôt que de battre sa coulpe pour des comportements dont il n’est personnellement nullement responsable, voire totalement étranger en tant que citoyen, le musulman, pour sa part, se doit d’opérer une réadaptation de son positionnement vis à vis du schéma occidental afin de rendre accessible à l’opinion occidentale ses motivations, notamment ses objections à une politique de mépris et de culpabilisation.
La plus grande erreur de l’Occident est d’avoir toujours voulu coexister avec des «Arabes domestiqués» dans la plus grande tradition coloniale.
Trente-six ans après la «Marche des Beurs pour l’Egalité», une «Marche pour la dignité» a été organisée en France le 17 Mars 2018 pour réclamer une égalité de traitement. Un éternel recommencement?
Le Monde arabe n’a pas vocation à servir de défouloir à la pathologie belliciste occidentale. Et la communauté arabo musulmane de l’Europe occidentale et des Etats Unis -en contact quotidien, permanent et direct avec la société occidentale-, se doit d’être le levain et le levier d’une si nécessaire renaissance du Monde arabe et Musulman et non la force supplétive des guerres d’autodestruction du Monde arabe et de sa prédation économique par le bloc atlantiste.