Le Pakistan ou l’instrumentalisation de l’Islam à des fins politiques

Le Pakistan ou l’instrumentalisation de l’Islam à des fins politiques 938 440 René Naba

Dernière mise à jour le 6 janvier 2020

Interview de René Naba par Golias Hebdo N° 562 semaine du 26 septembre au 2 octobre 2019,
Propos recueillis par Christian Terras pour Golias Editions

Interview co-publiée par la revue trimestrielle Les Zindigné(e)s
N°53/6ème année Juillet-Septembre 2019.

«Le Pakistan ou l’instrumentalisation de l’Islam à des fins politiques».

Le premier ministre du Pakistan Imrane Khan Niazi entreprend depuis octobre 2019 une médiation entre l’Arabie saoudite et l’Iran les chefs de file des deux principaux courants spirituels de l’Islam…avec les encouragements discrets des Etats Unis; une démarche qui témoigne du repositionnement diplomatique du Pakistan jadis «body guard» de la dynastie wahhabite. Retour sur la nouvelle diplomatie pakistanaise initiée par l’ancien play boy des soirées londoniennes.

La fable selon laquelle l’islamisme est la version musulmane de la théologie de libération du Monde occidentale est une imposture.

Golias Hebdo: Vous êtes spécialiste du Monde arabe, pourquoi ce livre ?

RN : Quatre facteurs m’ont décidé à me pencher sur le cas du Pakistan dans ce premier ouvrage en langue française sur la nouvelle stratégie pakistanaise:

  • Primo: Le Pakistan est, avec Israël, le premier cas de l’histoire contemporaine de l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques.
  • Deuxio: Le Pakistan, à tout le moins des penseurs pakistanais, a joué un rôle majeur dans l’infléchissement de l’islam Politique vers un totalitarisme dogmatique.
  • Tertio: Le Pakistan, comme base arrière du djihadisme, a joué un rôle majeur dans l’implosion de l’Union soviétique, et partant, dans la propulsion du terrorisme islamique à l‘échelle planétaire en tandem avec l’Arabie saoudite.
  • Quatro: L’accession d‘Imrane Khan Niazi au pouvoir Islamabad et le millésime 2019.

Golias Hebdo: En quoi le Pakistan est avec Israël, le premier cas de l’histoire contemporaine de l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques ?

Pour surprenant que cela puisse paraître, l’Occident est l’artisan de l’instrumentalisation de la religion comme arme politique à l’époque contemporaine.

1948 constitue à cet égard une date charnière avec le démembrement de l’Inde et la création du Pakistan, selon un critère religieux, corrélativement à la création d’Israël, selon le même critère religieux.
Israël: En guise de solde de tout compte de l’Occident du génocide hitlérien, par la sous-traitance aux pays arabes de l’antisémitisme récurrent de la société occidentale. Une compensation sur bien d’autrui, génératrice d’une perversion triangulaire dont les effets se font sentir encore de nous jours.
Pour le sionisme la colonisation de la Palestine a théorisé, par ricochet, une idéologie de la discrimination, justifiant a posteriori l’antisémitisme en ce qu’elle établit dans les faits une ségrégation entre Juifs et non Juifs.
Le Pakistan: dividende des États Unis à l’Arabie saoudite pour sa conclusion du Pacte de Quincy (1945) fondant le partenariat stratégique entre la grande démocratie américaine et le régime le plus obscurantisme de la planète.

Golias Hebdo : En quoi le Pakistan, à tout le moins des penseurs pakistanais, a joué un rôle majeur dans l’infléchissement de l’islam Politique vers un totalitarisme dogmatique ?

L’inclination au totalitarisme au sein des mouvements relevant de l’Islam politique revient, en premier lieu à un pakistanais, Abu Al Ala’ Al Maududi, premier islamiste du XX me siècle à prôner le retour au Jihad.

Fondateur du parti pakistanais Jamaat-e-islami, ce théoricien fondamentaliste a envisagé la création d’un État Islamique Uni, fondé sur l’application rigoureuse de la loi religieuse (Charia). Dans sa conception, un tel état devait être hégémonique, totalitaire sur les divers aspects de la vie. La Gouvernance d’Allah (Al Hakimiya) au Pakistan relevait de Dieu, le gouvernement se devant d’être fidèle à la Charia.
S’inspirant du modèle stalinien en vigueur en Union Soviétique, Maududi a substitué l’idéologie islamique à l’idéologie marxiste, érigeant, le premier, un «parti de Dieu» (Hezbollah) équivalent au parti communiste, de même que le Califat en guise de substitut au Secrétaire général du PC.
Les Frères Musulmans lui emboiteront le pas, adoptant la conception totalitaire du stalinisme pour l’appliquer à la religion musulmane. Hassan Al Banna, fondateur de la confrérie, répétait, tel un perroquet, les prescriptions de Maududi, affirmant que l’Islam est une soumission à Dieu, une obéissance au gouverneur, un livre saint, une épée. (CF. Hassan al Banna, «Mémoires de la prédication et du prédicateur», page 173.
Première République islamique au Monde, l’accession du Pakistan à l’indépendance a été vécue par les Pakistanais et de nombreux musulmans de par le Monde comme la fin d’une longue période de sujétion tant vis à vis du Royaume Uni que de l’Inde.
Une victoire sur le colonialisme britannique, leur bourreau pluriséculaire, l’artisan de la promesse Balfour, portant démembrement de la Palestine. Une victoire sur l’Inde et la fin du joug indien et de l’hindouisme sur la minorité musulmane de l’Union Indienne.

Golias Hebdo : Quelle est la signification de la propulsion au pouvoir d’Imrane Khan Niazi

La propulsion d’Imrane Khan Niazi aux commandes du Pakistan n’est pas le fruit du hasard.

L’homme est missionné par la nomenklatura militaire pour être le maître d’œuvre de la révision déchirante du partenariat du Pakistan avec ses alliés de la guerre anti soviétique d’Afghanistan, alors que le «pays des purs» se hisse au rang de partenaire privilégié de la Chine, la puissance planétaire en devenir, dans le projet OBOR.
Le Pakistan, le pompier pyromane du djihadisme planétaire pendant des décennies, est en passe de renoncer à son ancien rôle de body guard de la dynastie wahhabite comme en témoigne l’incarcération de l’ancien protégé des Saoudiens, l’ancien premier ministre Nawaz Sharif, le rival de la chiite Benazir Bhutto, ainsi que son refus de participer à la coalition pétro-monarchique contre le Yémen et la fin de non-recevoir qu’il a opposée au tandem saoudo américain de rééditer le schéma afghan depuis le Pakistan contre l’Iran.
Le Pakistan n’est d’ailleurs pas le seul dans ce cas. Deux autres pays musulmans, jadis alliés de l’Occident, lui ont emboité le pas: la Malaisie, et sans doute la Turquie, à moyen terme, engagée dans une concertation poussée sur la Syrie avec la Russie et l’Iran, via le groupe d’Astana, le groupe contestataire à la stratégie atlantiste dans la zone et qui vient de surcroît de conclure une transaction militaire avec la Russie pour la fourniture d’un système balistique russe (S.400) à la défense anti aérienne turque.
Le ravalement cosmétique du Pakistan, un pays à la réputation sulfureuse, semble avoir été confié à cet être paré des vertus du modernisme, séducteur et grand sportif, parfaitement à l’aise dans les cénacles internationaux.
En somme un personnage à l’opposé des Barbus, imprécateurs: Imrane Khan Niazi, est en effet un ancien champion du Monde de Cricket, par ailleurs ancienne coqueluche des nuits londoniennes, diplômés d’Oxford, issue d’une grande lignée pakistanaise et philanthrope.

Golias Hebdo: Que représente 2019 pour le Pakistan ?

2019 marque le 40 me anniversaire de la guerre anti soviétique d’Afghanistan à laquelle le Pakistan a grandement contribué ne serait-ce que par sa fonction de base arrière des djihadistes.

Quarante ans après, l’islamisme politique, c’est-à-dire l’instrumentalisation de l’Islam à des fins politiques, apparait comme une vaste fumisterie et ceux qui tentent de légitimer ou de réhabiliter ce courant de pensée se livrent à une vaste supercherie.
1979 est en effet une date charnière de l’histoire contemporaine en ce qu’elle marque le traité de paix entre Israël et l’Egypte.
Si le traité de Washington, en Mars 1979, a restitué la Péninsule du Sinaï à l’Egypte, il a soustrait du même coup le plus grand état arabe du champ de bataille, privant ainsi le Monde arabe de toute possibilité de déclencher une guerre contre Israël tant pour récupérer leurs droits (le plateau syrien du Golan, les fermes de Cheba’a du Liban), que les Droits Nationaux Palestiniens et les territoires y afférents (Jérusalem Est, Cisjordanie, Gaza).
Depuis cette date, plus aucune guerre conventionnelle n’a opposé les états arabes et Israël. La guerre d’octobre 1973 aura été la dernière guerre livrée par les Etats arabes avec leurs armées régulières contre l’état Hébreu.
Sauf que la défection de l’Egypte du champ de bataille a été compensée par la chute de la dynastie Pahlévi en Iran, -le gendarme du Golfe et le ravitailleur énergétique d’Israël- et son remplacement par la République Islamique Iranienne.
Cela a induit un nouveau rapport de force au niveau régional en conférant une profondeur stratégique aux contestataires à l‘ordre hégémonique américano israélien dans la zone.
Depuis lors toutes les confrontations ultérieures au Moyen orient ont pris la forme de guerres asymétriques, marquées par la mise en échec de l’unique puissance atomique du Moyen Orient face à ces contestataires furtifs pratiquant une guerre hybride, combinant guerre conventionnelle et guerre asymétrique.
Ainsi au fur et à mesure que les contestataires de l’ordre hégémonique israélo-américain gagnaient en efficacité, la Palestine, jadis la cause principale des Arabes, était progressivement bradée par ceux-là même qui étaient supposés en avoir la charge, notamment l’Arabie saoudite, en sa qualité de gardien des lieux saints de l’Islam.

Golias Hebdo: Pourquoi estimez-vous que «l’Islamisme politique, en guise de théologie de Libération, une vaste supercherie» ?

La fable selon laquelle l’islamisme est la version musulmane de la théologie de libération du Monde occidentale est une imposture.

La théologie de la Libération en Occident, notamment en Amérique latine, a été une «alliance de classe». Une «alliance horizontale», c’est à dire une alliance des paysans, ouvriers, croyants ou non croyants, chrétiens ou non chrétiens, des femmes et des hommes, des civils et des prêtres contre la hiérarchie religieuse, la hiérarchie militaire, la junte au pouvoir en Amérique Latine, de même que les capitalistes.
Quiconque ne participait pas au combat de libération était contourné, mis de côté. Pas de viols, ni de profanation encore moins la destruction des symboles religieux à l’instar des Bouddhas de Bamyan ou des stèles de Tombouctou de l’Islam noir. L’objectif était la Libération du peuple de toute forme d’oppression.
L’Islamisme, présentée comme étant la théologie de libération dans l’Islam, est une «alliance sectaire». Une « alliance verticale» regroupant EXCLUSIVEMENT BIEN EXCLUSIVEMENT des musulmans sunnites de la mouvance salafistes takfiristes.
L’objectif est le primat sunnite de rite wahhabite et sa soumission à l’imperium américain, le principal protecteur d’Israël, et non le renversement de l’ordre social. Quiconque ne relevait de l’Islam sunnite wahhabite subissait le contrecoup, décapitation ou conversion forcée au wahhabisme
La théologie de Libération en Amérique s’est appuyée sur le peuple pour lutter à la libération du peuple.
L’Islamisme s’est appuyé sur les ennemis du peuple arabe et musulman pour faire triompher leurs anciens colonisateurs. Youssef Al Qaradawi, le mufti du Qatar, qui supplie l’Otan de bombarder la Syrie, -un pays qui a mené 4 guerres contre Israël- demeurera une souillure morale indélébile. Ce milliardaire polygame avait lancé son appel depuis Doha où il était à l’abri d’une attaque israélienne, protégé par l’importante base du CentCom située à 30 km de Doha, dont la zone de compétence s’étend d’Afghanistan au Maroc.

Pour aller plus loin sur ce thème
  • https://prochetmoyen-orient.ch/un-ete-avec-pierre-pean-rene-naba-et-tigrane-yegavian/
  • https://www.monde-diplomatique.fr/2019/10/YEGAVIAN/60480

René Naba

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l'AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l'information, membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme et de l'Association d'amitié euro-arabe. Auteur de "L'Arabie saoudite, un royaume des ténèbres" (Golias), "Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l'imaginaire français" (Harmattan), "Hariri, de père en fils, hommes d'affaires, premiers ministres (Harmattan), "Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David" (Bachari), "Média et Démocratie, la captation de l'imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l'Association d'amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Editorialiste Radio Galère 88.4 FM Marseille Emissions Harragas, tous les jeudis 16-16H30, émission briseuse de tabous. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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2 commentaires
  • Sabira Bencheneb 3 décembre 2019 à 13h30

    Bonjour René, Merci beaucoup pour cette excellente interview sur l islamisme politique et la mouvance salafiste….ainsi que toutes les alliances créées pour servir des intérêts géostratégiques bien définis…
    Tres bonne journée. SB

  • C’est une interview passionnante et éclairante…
    Saadate as Safir Michel R.