Dernière mise à jour le 2 mars 2020
Par Florent Bonnefoi, journaliste à «La Provence», avec son aimable autorisation.
Note de la rédaction https://www.madaniya.info/ : La succession de Jean Claude Gaudin, maire octogénaire de Marseille depuis un quart de siècle (1995), aiguise les appétits. Ni la Gauche ne présente un Front Uni dans cette compétition,-la France insoumise le mouvement de Jean-Luc Mélenchon refuse de se ranger derrière un candidat socialiste et souhaite initier une liste alternative «portée par le mouvement social», de même que les écologistes tentés par une aventure en solitaire dans la foulée de leur victoire surprise aux élections européennes de 2018. Ni la droite qui se présente en ordre dispersé sur fond de rivalité feutrée entre les «Marcheurs» fidèles au président Emmanuel Macron et les survivants «Républicains» de l’ancien parti gaulliste.
Entre règlements de compte politiques et dissidences, la campagne pour le scrutin de mars s’annonce compliquée. Et ne dit presque rien, finalement, des bouleversements qu’a connus la ville depuis le drame de la rue d’Aubagne, en superposition avec la pollution des nappes phréatiques de Marseille par une substance cancérigène Le Chrome 4.
Parmi les neuf candidats briguant le poste de maire de Marseille, seuls deux viennent de la société civile, tous les autres sont issus du sérail politique. Quel que soit leur CV, tous n’ont qu’un mot à la bouche: rassembler au-delà de leur propre camp. La campagne s’annonce difficile.
Au-delà de la gestion controversée du maire sortant, épinglée par le rapport de la chambre régionale des comptes, dans le prolongement du scandale des logements insalubres illustré par l’effondrement des immeubles de la Rue d »Aubagne, en octobre 2018, la démission consécutive d’Arlette Fructus, adjointe au Maire chargée de l’habitat, a davantage terni le bilan de Jean Claude Gaudin à la tête de Marseille, où 40.000 logements sont considérés comme en péril ou insalubres, soit un habitat sur dix.
Autre motif de mécontentement: le niveau préoccupant de la dette: «2 023 euros par habitant, une somme deux fois plus élevé que dans la moyenne des communes comparables (1 139 euros)».
Cette bataille fait rage à l’arrière-plan d’une singularité dans le paysage académique français, dont la métropole phocéenne, en a la secret.
Ville frondeuse par excellence, Marseille cultive le paradoxe à l’extrême. Lanterne rouge en matière de pollution atmosphérique, Marseille abrite de surcroît 4 arrondissements classés parmi les 6 communes les plus pauvres de l’Hexagone. Champion toutes catégories de ce palmarès peu reluisant, le 3e arrondissement est même la seule commune du pays dont plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté (51,3 % exactement). Un quart des Marseillais sont pauvres.
Une singularité qui n’émeut visiblement pas grand monde: le fait que la prestigieuse Faculté de Sciences Politiques de l’Université d’Aix Marseille soit devenue un «nid d’espion», alors que la République en Marche, dans une désignation vaudevillesque, a, paradoxalement, investi pour les municipales l’ancien président de l’Université d’Aix Marseille, Yvon Berland. Fin de la note
Chaque année, des étudiants de l’IEP d’Aix sont discrètement recrutés par les services secrets. Un master en particulier, de plus en plus prisé, concentre les futurs agents et analystes du renseignement.
Ce jour-là, à l’IEP d’Aix-en-Provence, il est question de Défense. Mais la conférence est sensible, à tel point que des fonctionnaires de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) se sont mêlés aux étudiants. En toute discrétion, ils scrutent le public, pour s’assurer qu’ils sont bien les seuls agents secrets dans l’assistance…
Ce qui est plus certain, c’est que parmi les étudiants de Sciences Po qui figurent dans ce public d’initiés, un certain nombre deviendront des « agents secrets ».
Ces « têtes bien faites et bien remplies » intéressent particulièrement les services de renseignement, tels que la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure), la DRM (direction du renseignement militaire), ou encore la DGSI qui les approchent parfois directement, selon leur profil. Chaque année, à Aix, ils sont ainsi une demi-douzaine, au moins, à rejoindre les services de renseignement.
Sur 1700 étudiants à Sciences Po Aix, ça peut paraître une niche, « mais une niche qui fonctionne très bien », sourit Rostane Mehdi, à la tête de « l’un des IEP les plus arabisants de France », qui plus est dans une région particulièrement tournée vers le secteur de la Défense. Un master très recherché.
Mais parmi les filières proposées par l’école, il en est une qui concentre les profils les plus portés sur le renseignement.
À l’origine, il s’agissait d’un Master d’histoire militaire, longtemps dirigé par Jean-Charles Jauffret. Mais sous la houlette de son successeur, Walter Bruyère-Ostells, le diplôme a plus clairement affiché son orientation: géostratégie, Défense et sécurité internationale. Ce professeur d’Histoire, spécialiste du mercenariat, reçoit plus de 250 demandes de candidature par an, pour un effectif porté à 52 étudiants.
« Même si les besoins en recrutement sont importants, il serait malhonnête d’augmenter encore le nombre de places, à moyens constants », prévient le maître de conférences, devenu le « Monsieur armée » de l’IEP.
Mais sur la promo, seuls 10 % des étudiants rejoignent un service de renseignement à l’issue du cursus. Dont un par an, en moyenne, qui intègre, par le biais d’un concours spécifique, la fameuse Direction générale de la Sécurité extérieure, la D G S E, popularisée depuis 2015 par la série Le Bureau des légendes.
« C’est le service qui fait le plus rêver, mais dans les flux, depuis deux ou trois ans, ils sont plus nombreux à rejoindre la DGSI », observe Walter Bruyère-Ostells, qui n’exclut pas des recrutements en parallèle. Car les professionnels du renseignement interviennent régulièrement à l’école, « certains sont même intégrés aux équipes pédagogiques », note Rostane Mehdi.
« Ils expliquent en quoi consiste le métier d’analyste, à quoi ressemble une journée type, discutent avec les étudiants et repèrent parfois certains profils, précise le directeur du master. Mais il y a encore des recrutements en parallèle, qui, par définition m’échappent. »
Toutefois, la plupart des étudiants suivent, eux, des carrières plus classiques, de conseil, dans l’industrie, les think tanks, ou encore comme attachés parlementaires, orientés plutôt sur les questions de Défense.
D’autres, intègrent d’abord les écoles militaires, dont l’école de l’Air de Salon, qui fait l’objet d’un partenariat de longue date avec l’IEP d’Aix. Sept à huit étudiants la rejoignent, chaque année, dont certains deviendront ensuite des officiers de renseignement.
Loin du « Bureau des Légendes »
« Il y a beaucoup d’appelés pour très peu d’élus », prévient le directeur de l’IEP, mais cet engouement des étudiants est récent.
À l’inverse des pays anglo-saxons, où les services secrets ont toujours recruté sur les bancs des plus prestigieuses universités, en France, le renseignement a longtemps été un débouché mal considéré par les jeunes diplômés, et, ce qui n’aidait en rien, très refermé sur lui-même. « Les premiers étudiants qui ont intégré la DGSI étaient surpris par le caractère très « policier », des personnes qui y travaillaient », note Walter Bruyère-Ostells.
La donne a changé après 2008, à la suite du Livre blanc de la Défense, qui a facilité, notamment, le recrutement de contractuels.
Une tendance qui s’est accélérée à partir de 2014, du fait du contexte terroriste, avec davantage de civils et des profils plus diversifiés et très pointus. « Il y a toujours eu une proximité entre l’IEP et le renseignement », rappelle l’enseignant, qui prévient toutefois: « Ce n’est pas un travail ordinaire, mais il y a beaucoup de fantasmes, on reste loin du Bureau des légendes. »
Florent BONNEFOI
Les 3 questions à Rostane Mehdi directeur de l’IEP d’Aix
« Nous voulons contribuer à enraciner une culture française du renseignement »
À LA DRSD
« Ce sont des profils qui correspondent à notre cœur de métier »
❚ Avec ses langues rares, son tropisme méditerranéen et son orientation Défense », l’IEP d’Aix n’a-t-il pas tout d’une « pépinière d’espions » ?
« Je n’irai pas jusqu’à dire « pépinière d’espions », car à mon avis, le romantisme des années 1950-1960, la mythologie Bondienne n’a plus cours, mais nous avons fait le choix d’être parfaitement connectés à notre environnement et ce dernier est fortement teinté en termes de sécurité et de Défense.
Paca est la région de France qui a le plus de régiments et des installations militaires de premier plan. D’un autre côté, nous cultivons chez nos étudiants des qualités qui sont très appréciées notamment dans le monde du renseignement. Ils ont une capacité de conceptualisation, d’analyse et de montée en généralité tout à fait remarquables.
❚ Qu’est-ce qui explique le regain d’intérêt des étudiants pour le renseignement ?
On n’est pas du tout dans un effet de mode, selon moi, avec les séries etc. mais plutôt dans une prise de conscience générationnelle. J’ai relevé parmi les étudiants une extrême sensibilité à l’évolution du contexte géopolitique : on a affaire à des jeunes gens qui prennent la mesure des enjeux de notre sécurité et sont portés par un esprit de service étonnant. On est de toute façon très loin des clichés et des stéréotypes véhiculés par la fiction. Mais notre projet, c’est aussi de contribuer à l’enracinement d’une culture française du renseignement.
❚ Les relations entre le renseignement et le monde extérieur n’ont-elles pas aussi changé ?
Les mœurs ont évolué en France, les services de renseignement sont aujourd’hui soucieux de faire savoir ce qu’ils font et de montrer que ce sont des carrières qui ne se situent pas dans un inter-monde grisâtre mais sont tout à fait honorables, au service de la Défense et de la protection des intérêts supérieurs d’un État de droit.
Mais s’il y a eu longtemps un cloisonnement entre les services et l’université, ces maisons se sont ouvertes de façon remarquable; elles ont compris que c’était une bonne façon d’attirer les meilleurs éléments. Les professionnels du renseignement sont d’ailleurs très impliqués chez nous, avec des membres des services, anciens ou actuels, qui viennent enseigner et dispenser un savoir très en prise avec leur expérience pratique ».
Nous sommes le plus discret des services secrets », sourit un fonctionnaire de la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense. Ce service, dont l’origine remonte à la fin de la guerre de 1870, dépend du ministère des Armées au même titre que la DGSE et la Direction du renseignement militaire (DRM) et fait partie du « premier cercle » de la communauté française du renseignement.
Il n’en demeure pas moins peu connu et s’il a changé de nom en 2016, la mission principale de la DRSD, la contre-ingérence, demeure.
« On fait la même chose que la DGSI et la DGSE, mais au profit de la sphère de la Défense », résume-t-on à la DRSD, où l’on se préoccupe avant tout de la sécurité des installations militaires françaises et des personnels partout dans le monde, mais également des menaces qui pèsent sur l’industrie de la Défense.
Avec quelque 1400 personnes à son service, la DRSD est loin des effectifs de ses « cousines » du renseignement intérieur et extérieur (la DGSE emploie à elle seule près de 6000 personnes), mais recrute elle aussi à un rythme soutenu. Quelque 300 personnes rejoignent ses rangs chaque année, toutes catégories confondues.
On y trouve en majorité des militaires (ils comptent pour 74 % des effectifs) mais bon nombre de personnels sont issus de Sciences Po, ou repassent par un IEP en deuxième partie de leur études.