Par : José Luis Moragues
Par Campagne BDS France Montpellier (Boycott, Désinvestissement, Sanctions).
«L’internationalisme n’est pas un ajout à une politique locale et nationale, il est l’essence même de la capacité à remettre en question le système qui nous a desservis, tous, d’une manière ou d’une autre.»[1]
Le comité BDS France Montpellier est un mouvement non-violent, antiraciste et populaire, membre de BDS France, composante de la Campagne internationale BDS sous-direction palestinienne.
Nous sommes avec ceux et celles qui disent qu’il faut, dès aujourd’hui, reconstruire ensemble le jour d’après et nous partageons la position que cette construction devra être en rupture avec les politiques menées jusqu’ici.
Notre contribution sur le sujet, limitée à la Palestine, portera sur la question de comment, face à la crise écologique, intégrer dans le quotidien de la vision de l’avenir, dans les revendications et dans les luttes des mouvements sociaux pour la justice climatique et sociale :
- La question coloniale et son corollaire : l’autodétermination des peuples et en particulier, celle du peuple palestinien,
- Le problème du racisme structurel au fondement de l’idéologie coloniale occidentale, qui se perpétue dans les formes contemporaines de la colonialité constitutives de la mondialisation capitaliste.
1 – CENTRALITÉ DE LA CRISE ÉCOLOGIQUE
La succession de catastrophes dites «naturelles» (inondations, raz-de marées, typhons, incendies, épidémies…) survenues ces dernières années et les alertes répétées des scientifiques spécialistes de la biodiversité et des écosystèmes ont porté sur le devant de la scène la crise écologique. A eux seuls, le réchauffement climatique et son impact dans de nombreux domaines attestent que désormais l’étendue de la crise écologique est planétaire. Les conséquences de cette crise (émission du CO2 et réchauffement climatique, extinction des espèces etc.) qui affectent déjà la biodiversité constitueraient à terme une menace existentielle pour l’espèce humaine, animale et l’ensemble du vivant sur la planète Terre.
Dans ce contexte de crise écologique et comme pour en faire mesurer la gravité, surgit la pandémie du Corona Virus dont l’urgence sanitaire surpasse l’urgence climatique et mobilise-immobilise la planète.
BDS France Montpellier présent en soutien à une action des jeunes pour le climat (Youths for climate) 21 septembre 2019
Vouloir introduire la question de la Palestine en ce moment, autrement que sur le versant de l’aide humanitaire sanitaire, pourra paraitre à beaucoup déplacé.
De la même manière, poser aujourd’hui la question des choix politiques qui ont produit les vulnérabilités économiques et sociales et conduit au désastre sanitaire actuel responsable de milliers de morts par manque de lits hospitaliers, de personnels soignants, de masques, de tests, de matériels spécialisés, de médicaments etc. est considéré comme déplacé ou manœuvre politicienne.
La question écologique n’est surement pas une priorité du gouvernement et il est hors de son horizon de mettre en cause la mondialisation capitaliste dans les crises actuelles. Aux questions sur le sujet, M. Christophe Castaner répond invariablement: «L’heure n’est pas aux introspections mais à l’action !» ce qui est inquiétant venant du ministre de la répression que l’on sait.
Emmanuel Macron dès le discours du 17 mars 2020 a brandi le bouclier habituel de «l’union nationale». Mais chute dans les sondages d’opinion oblige, il conclut «le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant. Nous serons plus forts moralement, nous aurons appris et je saurai aussi avec vous en tirer toutes les conséquences, toutes les conséquences».
Toutes les promesses sont bonnes pour désamorcer le mécontentement. Il déclarera aussi «qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché», il envisagera la possibilité de nationalisations…
Le discours du 16 avril délivre une autre musique, il ne s’agit plus de «tirer toutes les conséquences, toutes les conséquences» (bis). Le problème désormais serait psychologique: «(…) le moment que nous vivons est un ébranlement intime et collectif, sachons le vivre comme tel (…) et ne cherchons pas tout de suite à y trouver confirmation de ce en quoi nous avions toujours cru. Sachons en ce moment sortir des sentiers battus, des idéologies et nous réinventer, moi le premier».
Faisons table rase ! Comme si rien ni personne n’avait auparavant dénoncé les plans d’austérité hospitaliers, ni lancé d’alerte plus globale sur la crise écologique à venir et ses conséquences observables déjà dramatiques. Et il annonce la construction d’un «autre projet, dans la concorde » dont il tâchera (lui-même bien sûr) de «dessiner le chemin» qui nous permettra de… « retrouver les jours heureux». Retrouver, la période des jours heureux, d’avant la crise évidemment.
Nous n’avons rien à attendre de ce président, de son gouvernement, de ses amis d’hier et de demain. Au contraire tout est à craindre y compris et surtout la «stratégie du choc» (Naomi Klein) qui décrit comment les gouvernements néo libéraux profitent des crises pour imposer leur politique. Des sortes de coup d’État à coup « d’États d’urgence ». On a connu ça avec avec Hollande au prétexte de la lutte contre le terrorisme. L’État d’urgence sanitaire pourrait être le nouveau coup d’État pour imposer une sortie de crise conforme aux vœux du MEDEF et des Banques.
2 – S’ATTAQUER AUX CAUSES DE LA CRISE ÉCOLOGIQUE (ET SANITAIRE)
La crise écologique: une priorité ?
La gravité et l’urgence du problème font dire à certain.e.s que la question écologique est désormais prioritaire car elle dépasse, surpasse voire surdétermine toutes les autres questions. Effectivement, vu sous l’angle des conséquences de la crise, dès lors que l’humain et le vivant dans son ensemble sont menacés, cette problématique devient prioritaire. Elle «chapeaute» «englobe» tous les autres problèmes.
Ce qui signifierait que toutes les activités de ceux et celles qui luttent pour de vrais changements devraient intégrer, inclure cette question dans leur agenda (penser global) soutenir et participer aux initiatives dans ce domaine.
Mais certains dirigeant.e.s des partis politiques «verts» prennent une autre direction quand ils affirment que « la question écologique transcende la question sociale ». Une telle opération qui se prévalant de la gravité des conséquences de la crise écologique, écarterait toute possibilité d’analyse et de mise en évidence des causes de cette crise, non seulement sèmerait la confusion, mais surtout nous priverait des possibilités de lutter efficacement contre la crise écologique, dont la crise sanitaire actuelle est un des rejetons directs.
Preuve en est l’actuelle pandémie. Produit de la crise écologique, la pandémie du Covid 19 est une conséquence de l’anthropocène [2]: les déforestations massives bouleversent l’habitat animal qui migre. Les virus avec, qui passant par d’autres animaux, mutent (zoonose) et finissent par contaminer mortellement les humains (Sras, Ebola, Mers, Nipah…)… La rapidité inouïe de la diffusion du Covid-19, se fait aussi grâce à la mondialisation intense des échanges aériens entre les pays du Nord Global (pays de l’hémisphère nord) qui sont de ce fait les plus touchés.
Une crise de la mondialisation capitaliste
Si l’on veut apporter des réponses sérieuses et durables à la crise écologique et au désastre sanitaire que la pandémie révèle, il faut s’attaquer aux causes de cette crise et les causes de la vulnérabilité de nos sociétés qui transforment les aléas, les accidents, en catastrophes.
Tout un courant de la société civile, des mouvements sociaux et de chercheurs ont depuis longtemps montré que la «mondialisation capitaliste » dans sa course au profit immédiat et maximum est à l’origine de cette crise écologique. Les vulnérabilités mises à jour par la crise sanitaire révèlent à leur tour les liens structurels entre la crise sociale-économique et la crise écologique puisque toutes deux issues de la mondialisation capitaliste. Et aujourd’hui les faits leur donnent pleinement raison !
Les choix économiques néolibéraux (circulation sans entrave de capital, division du travail, délocalisations, plans d’austérité draconiens dans les services publics etc.), ont pour conséquence des milliers de morts en raison de l’impossibilité de prévention et de soins adaptés.
Dans un précédent article «Palestine : Ne laissons pas le virus masquer l’apartheid » nous avons montré comment le colonialisme et l’apartheid israélien en Palestine avec notamment 14 ans de blocus pour près de 2,5 millions de palestiniens de la Bande de Gaza, étaient la cause d’une vulnérabilité maximale face à la pandémie. Depuis, les sabotages et attaques directes des colons et de l’armée israélienne d’occupation contre des installations de prévention ou de soins palestiniens se sont multipliés.
3 – JUSTICE CLIMATIQUE & JUSTICE SOCIALE POUR QUI ? …
Ces deux mots d’ordre portés ensemble marquent la jonction, l’interdépendance et la volonté de mener de front ces deux thématiques par des courants importants du mouvement social les Gilets Jaunes inclus.e.s dont une bonne partie a intégré ce nouveau périmètre d’action. La cible est désignée, le «système», la mondialisation capitaliste.
L’idée d’une justice climatique apparaît en 2003 avec le constat que les pays du Nord sont les principaux responsables du réchauffement climatique (émission de CO2) et que ce sont les populations des pays du Sud, dits en développement, qui en subissent les plus graves conséquences. Privés des infrastructures de base et précarisées ces populations sont plus vulnérables aux aléas climatiques et sanitaires.
Ainsi entre 2008 et 2015, 203,4 millions de personnes ont été déplacées en raison de catastrophes naturelles et ce chiffre a doublé depuis 1970 au motif des catastrophes climatiques. L’afflux de réfugié.e.s dans les pays du Nord et en Europe en particulier n’est évidemment pas étranger à la prise en compte du problème.
Aujourd’hui en Europe et en France le terme de «Justice climatique» qui rassemble l’ensemble des courants mobilisés sur le «Climat» s’oriente, en matière de justice, vers la mise en cause des États que ne respectent pas leurs engagements des accords européens et de l’Accord de Paris de 2015, comme par exemple « L’Affaire du siècle ».
Concernant la justice climatique dans un communiqué du 29 novembre 2019 le Bureau National BDS Palestinien déclarait : « L’apartheid israélien n’est pas « vert » (…) Les luttes contre le colonialisme, le racisme et la militarisation, et pour le climat, la justice économique et sociale, sont profondément interconnectées. Les Palestiniens, comme tous les peuples du monde, recherchent la justice climatique en tenant pour responsables les gouvernements et les sociétés (..) ».
La notion de Justice sociale est plus ancienne et mieux connue. Apparue au milieu du XIX siècle portée par le mouvement ouvrier, elle se définit comme un principe moral et politique qui vise à réduire les inégalités de droits, de salaire, de sexe, de situation etc. par une redistribution plus équitable des richesses entre les membres d’une même société.
Relancée avec force par le mouvement des Gilets Jaunes, la justice sociale a élargi son périmètre au fur et à mesure de la prise de conscience du mouvement qui aujourd’hui remet en cause « le système » dans sa totalité.
BDS France Montpellier acte dès novembre 2018 son soutien aux GJ sur la base du partage des mêmes valeurs de Liberté, Justice et Égalité et de la lutte contre la répression policière et judiciaire.
Ces revendications sont évidemment justifiées et indiscutables. Mais alors qu’il est question de mondialisation, les réponses, notamment pour la justice sociale sont généralement restreintes à l’hexagone et la dimension économique y est dominante. C’est également le cas pour la justice climatique : (…) L’aide aux pays du Sud devrait prendre la forme d’une aide directe plutôt que de prêts assortis de conditions néolibérales. La dette publique devrait être annulée afin que les pays puissent réorienter leurs ressources vers la lutte contre la crise sanitaire.(…) Déclaration des Attac d’Europe – Un autre avenir après le Covid-19. 16 avril 2020.
Revendications justifiées et pertinentes mais à nouveau le rapport de domination sur ces pays et peuples du Sud est vu sous l’angle de l’exploitation économique de la force de travail. Comment ne pas souligner l’absence d’une solidarité internationale politique avec les peuples du Sud, contre l’impérialisme, le colonialisme, le néo-colonialisme, «la françafrique» qui mettrait l’accent sur l’aspect racial de la domination coloniale. C’est pourtant cet aspect qui se manifeste dans les métropoles occidentales à l’encontre des populations immigrées ou issues de l’immigration coloniale qui sont racialisé.e.s[3]. Ceux-là mêmes qui sont les premières victimes des crises écologique, économique et de la pandémie.
Sur la justice sociale, dans un communiqué du 7 mars 2017 « Le racisme, la discrimination raciale sont les antithèses de la Liberté, de la justice et de l’Egalité » le Bureau national BDS Palestiniens déclarait :
«Adhérant à la définition des Nations-Unies pour la discrimination raciale, le mouvement BDS ne tolère aucun acte ni discours qui adopte ou promeut, entre autres, le racisme anti-Noir, le racisme anti-Arabe, l’islamophobie, l’antisémitisme, le sexisme, la xénophobie, ou l’homophobie. (…)
Sur la base de ces valeurs, nous sommes solidaires des personnes d’origine africaine, des peuples indigènes, des sans-terre, des réfugiés et des migrants, des personnes exploitées et opprimées pour le progrès économique de quelques-uns, et de celles qui sont discriminées et persécutées pour leurs croyances ou leur identité, incluant la caste. Nous soutenons leurs luttes respectives pour la justice raciale, économique, sexuelle, environnementale et sociale.
4 – Aux Etats-Unis, les afro-américains, principales victimes du covid-19
La crise sanitaire révélée par la pandémie met en évidence la vulnérabilité des populations les plus pauvres, les plus précarisées qui sont généralement les personnes racisées.
Il n’est pas surprenant que l’exemple le plus méprisable en la matière nous vienne des Etats-Unis qui ont été parmi les derniers à abolir l’esclavage en 1865, vite remplacé par la ségrégation officielle des Noirs jusqu’au rétablissement des droits civiques le 3 juillet 1964 et des mariages mixtes en 1967. C’est dire le lourd héritage d’un racisme d’État structurel, à ciel ouvert qui se perpétue dans ce pays reconnu comme avant-garde et modèle de la démocratie occidentale.
Après plusieurs articles, dès le 7 avril 2020 dans le Washington Post (puis dans The Guardian), l’AFP a diffusé une dépêche largement reprise en France.
On y apprend que les Noirs sont les principales victimes du Codiv19: «Mais d’autres juridictions ont choisi de publier des chiffres qui sont alarmants: dans l’Illinois, les Noirs représentent 14% de la population mais 42% des décès de l’épidémie. A Chicago, c’est 72% des morts, alors qu’ils représentent moins d’un tiers des habitants: des disparités qui «coupent le souffle», a dit la maire de la ville, Lori Lightfoot.
A Washington, 13 des 22 morts étaient Noirs. «J’ai très peur de l’impact disproportionné que ce virus aura sur les Afro-Américains», a dit mardi la maire de la capitale américaine, Muriel Bowser, sur MSNBC. En Caroline du Nord, 31% des morts étaient Noirs, contre 22% de la population. En Louisiane, où se trouve La Nouvelle-Orléans, la disproportion est plus grande encore: 33% des habitants sont Noirs mais 70% des morts l’étaient.»
«Cette pandémie est également révélatrice de disparités raciales qui existent depuis longtemps en matière de santé. En raison de facteurs structurels tels que le racisme, la discrimination en matière de logement, la pauvreté et le traitement inégal et discriminatoire dans le système médical, les Noirs américains sont plus susceptibles de présenter un certain nombre de comorbidités en matière de santé qui font courir aux individus un risque plus élevé de décès par Covid-19. (The Guardian):Le fardeau des coronavirus pèse lourdement sur les Noirs américains. Pourquoi ?)
En France, dans les quartiers populaires également…
Le problème est de même nature dans les quartiers populaires en France compte tenu de la «gestion coloniale des quartiers» qu’on peut voir à l’œuvre une fois de plus.
Inégalités sociales,
Dans Médiapart du 14 avril 2020 et intitulé: «Covid-19 : Les quartiers populaires en première ligne» on peut lire:
«Nombre de personnes ont eu des proches atteints gravement par le virus, et beaucoup sont morts. Les premiers chiffres en attestent, avec l’augmentation de plus de 40% du taux de mortalité en un mois en Seine-Saint-Denis. Si le virus provient du pangolin, ce n’est pas lui le responsable. Par contre, ce sont bien les inégalités sociales et raciales qui contribuent à tuer ces habitants à petit feu.
Depuis des décennies, les moyens pour la santé sont de plus en plus rares. Les lits en réanimation par habitants sont moins nombreux dans les quartiers populaires et certaines campagnes qu’ailleurs. Concernant les médecins, on compte 54,6 médecins généralistes pour 100 000 habitants dans le 93 contre 71,7 en Ile de France. Les gens meurent car il est devenu de plus en plus difficile pour eux d’avoir accès aux soins. Les inégalités perdurent pendant le confinement.(…) ».
La répression policière est omniprésente comme toujours.
«(…) Rappelons que le premier jour du confinement, le département de Seine-Saint-Denis, qui représente 2,4 % de la population française, avait concentré à lui seul 10 % des verbalisations.(…) ».
Racisme et répression,
Médiapart publie quelques extraits de propos échangés par les membres des forces de l’ordre sur un groupe FaceBook privé de 7000 membres révélant ainsi le racisme qui s’y exprime à l’état brut : « (…) Au milieu de propos outranciers comparant les habitants des banlieues à des « animaux », les traitant de « connards » ou appelant à les « laisser mourir » après les avoir entourés de barbelés, les membres du groupe rivalisent d’inventivité dans leurs commentaires.
Quartier du Petit Bard à Montpellier, hommage à Abdenour TATAÏ, animateur du MIB local, prématurément décédé.
La plupart ont pris suffisamment de précautions pour ne pas être identifiables. Un commandant de police à la retraite, par ailleurs adjoint au maire d’une petite commune dans l’Ardèche, s’en donne néanmoins à cœur joie sous son vrai nom. «Ne dispersons pas notre énergie à courir après eux. Faisons le “siège” (comme à l’époque féodale) de ces quartiers. Plus personne ne rentre ou n’en sort. Verrouillage absolu des voies d’accès (barrage – herse – chicane – couvre-feu). On les laisse mariner dans leur jus… À l’issue, dans 3 ou 4 semaines, la sélection naturelle aura fait son choix. » (…) ».
5 – LE JOUR D’APRÈS … AVEC QUI ET POUR QUI ?
Comment construire le jour d’après sans la population des quartiers populaires qui compte parmi la plus opprimée, discriminée, exploitée et réprimée. Il ne s’agit pas d’une question de morale ou de charité. Il s’agit de décoloniser notre vision du monde.
La disparition en tant que telles des colonies n’a pas entrainé la disparition du système de domination qui a muté et déployé ses tentacules jusqu’à produire le modèle occidental de la mondialisation.
Notre monde, notre civilisation occidentale, se sont construits – à tous les niveaux – dans la colonisation et la domination des autres peuples.
Les études décoloniales mettent l’accent sur la base raciale de la domination coloniale, laquelle se poursuit malgré la disparition de l’appareil administratif et militaire de la métropole. La Colonialité [4] se constitue à partir d’un enchevêtrement d’hégémonies politiques, économiques et culturelles basées sur la domination raciale héritée du colonialisme. Ces réseaux constituent la structure de la modernité occidentale et leurs articulations au niveau planétaire le système de pouvoir occidental.
Selon Ramon Grosfoguel : « (…) Il s’agit d’une civilisation ayant produit un système économique et non pas d’un système économique ayant produit une civilisation[5]. Il s’agit d’une civilisation qui a détruit toutes les autres civilisations et qui est devenue, à partir du début du XXe siècle, une civilisation planétaire.(…) Cette civilisation produit de la richesse, de la vie et des privilèges pour une très faible partie de la population tout en produisant de la pauvreté, de la violence et la mort pour le reste de l’humanité. »
Dans le même sens on ne saurait réduire les dimensions coloniales, racistes et déshumanisantes des États-nation et la matrice de pouvoir mondial à sa dimension capitaliste: «(…) Fanon lui-même, dans Les Damnés de la terre, mettait en garde contre les propositions qui réduisent le problème du colonialisme et du racisme à une problématique de classe: «Aux colonies l’infrastructure économique est également une superstructure. La cause est conséquence : on est riche parce que blanc, on est blanc parce que riche. C’est pourquoi les analyses marxistes doivent être toujours légèrement distendues chaque fois qu’on aborde le problème colonial » (1981 : 9)[6].
La discrimination raciale qui déshumanise ces populations est perçue par elles comme plus importante que la question économique car il y va de leur dignité à être traitées comme des êtres humains à part entière.
Pour toutes ces raisons, si nous voulons un « jour d’après » inclusif, ouvert aux populations racisées des quartiers populaires, prendre en compte et respecter leurs priorités amènerait à considérer la question du racisme d’État comme centrale et à l’intégrer dès aujourd’hui dans nos agendas et actions [7].
6 – ET LA PALESTINE ?
La Palestine est au cœur de ces problématiques de justice climatique, justice sociale, domination coloniale racialisée, apartheid…
L’État d’Israël est à la fois :
-Un reliquat de l’extrême barbarie du mode de colonisation initial (première génération),
– Le prototype de la colonialité occidentale contemporaine dans le domaine de la barbarie numérique et sécuritaire et enfin,
– Le chef de file d’un courant raciste, fascisant et suprémaciste qui rêve d’une planète far-west à dominer où règne la loi du plus fort ce qui constitue une menace de guerres.
- Le colonialisme commence en 1492 avec la « découverte »( !) de l’Amérique par Christophe Colomb. «Le colonialisme c’est l’occupation militaire violente, l’esclavage et le travail forcé comme mode d’exploitation brutale du travail et l’extermination des peuples colonisés pendant quatre cents ans » nous disent les décoloniaux d’Amérique latine. Un demi-siècle environ après la « fin des colonies » la colonisation israélienne voit le jour en Palestine. A peu de choses près les méthodes et fondements du colonialisme sont les mêmes. Massacres des populations, vol des terres, tentative de destruction de la culture palestinienne, sociocide, interdiction du drapeau, emprisonnements de masse, y compris des enfants, torture, check-points, entraves à la liberté de circulation contrôle et limitation de sortie du territoire, couvre feux, attaques, terrorisme d’État, génocide progressif dans la Bande de Gaza, violations constantes du droit international, des conventions de Genève et des droits humains, refus d’appliquer les résolutions de l’ONU etc.
Il n’existe aujourd’hui aucun pays au monde aussi criminel, aussi hors la loi et aussi impuni pour ses violations du droit et des droits humains qu’Israël. Le système d’apartheid mis en place et officialisé par la loi fondamentale qui définit Israël comme « État nation du peuple juif » constitue à lui seul un crime contre l’humanité selon les critères de l’ONU. Il n’existe aucune colonisation aussi barbare et dans la durée que la colonisation de la Palestine[8]. C’est dire la complicité de la « communauté internationale » qui cautionne ces crimes depuis plus de 70 ans.
Israël, est un laboratoire de la colonialité du pouvoir dans le domaine du « Sécuritaire » au XXI siècle. Le contrôle de masse des populations civiles et de la répression d’État s’exerce désormais via les technologies du numérique. L’industrie technologique de pointe travaille directement avec l’appareil militaire et celui du renseignement de l’État. Le matériel et les méthodes sont testées sur les cobayes palestinien.e.s lesquel.e.s vivent sous occupation militaire. Les matériels et systèmes sont estampillés « testés sur le terrain » et exportés notamment vers l’UE qui est le principal partenaire commercial d’Israël.
Les drones tueurs Hermes 900 testés sur les palestinien.e.s lors des bombardements de Gaza en 2014 sont actuellement loués par l’UE pour assister Frontex et les autorités nationales en Grèce, où migrants et réfugiés ont été ciblés en mer à balles réelles.
Visuels de la campagne Palestinienne internationale contre le drones tueurs : https://petition.stopthewall.org/francaise/
Israël travaille avec plusieurs entreprises internationales dont une filiale de l’assureur AXA sur les cartes d’identité biométriques et la reconnaissance faciale. Ces technologies numériques sont testées sur les Palestinien.e.s aux check-points et maintenant sur le plan prétendument sanitaire (Covod-19).
L’État français utilise l’expertise israélienne en matière de surveillance, de contrôle, d’enfermement et de déshumanisation de catégories de populations dans la formation de ses cadres. Le champ d’application de ce « savoir-faire » testé et expérimenté dans la gestion coloniale des quartiers populaires depuis des décennies, s’est étendu à la répression des Gilets Jaunes, des militants anti-capitalistes et de tous les mouvements sociaux.
Récemment, l’ambassadeur de l’Union européenne en Israël a annoncé le lancement de projets de coopération avec Israël dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Le groupe israélien NSO est à la pointe d’un projet de surveillance et du traçage des personnes atteintes du virus. Projet parrainé par le gouvernement israélien et qui pourrait être adopté dans d’autres pays. NSO Group commercialise le logiciel espion Pegasus dénoncé par Amnesty International pour surveillance abusive et utilisé entre autres gouvernements, par le Maroc, le Mexique et les Émirats arabes unis contre des journalistes et des militants des droits de l’homme.
Enfin, La politique coloniale de peuplement et de ségrégation israélienne trouve naturellement son écho et son soutien auprès de l’internationale fascisante de Trump, Bolsonaro, Orban, Narendra Modi, et chez les anciennes puissances coloniales européennes.
«Le modèle israélien, dans sa vision raciste et sécuritaire ainsi que dans ses productions de l’armement et cyber-technologie du contrôle de masse des populations civiles est désormais un danger, une menace pour tous ceux et celles qui se dressent contre la mondialisation capitaliste dans les champs de la justice sociale et écologique ». Car « La façon dont Israël met ces mesures en application consiste en des paradigmes répressifs et en des méthodes de son industrie militaire, qui sont testées depuis longtemps sur les Palestiniens. La porte est ouverte aux formes extrêmes du biopouvoir, ou « une explosion de techniques nombreuses et diverses pour parvenir à l’assujettissement des corps et au contrôle des populations » comme l’a dit Michel Foucault. »
Constatant ces faits, dans une interview du 3 avril 2020 Omar Barghouti déclarait : «Eh bien, nous sommes tous liés. Le colonialisme et la politique d’apartheid d’Israël sont étroitement liés avec ce que vous voyez dans vos pays[9], et l’Italie, et les États-Unis, et les autres pays, y sont aussi liés. Soit nous allons vers un agenda plus humain, plus social, avec plus de soutien social, de soins médicaux, d’éducation, soit nous continuons vers plus de destruction de l’environnement, d’entrées en guerre, et de guerres sans fin ».
Dès 3h du matin les travailleurs palestiniens se pressent au check-point en espérant passer en Israël pour travailler ; souvent sans contrat, non déclarés et pour des salaires de misère.
Un jour «d’après» qui n’inclurait pas dès aujourd’hui, dans la lutte contre la mondialisation capitaliste, l’urgence de la destruction radicale du système raciste d’apartheid serait sans avenir pour les humains, le vivant et la planète.
Campagne BDS France Montpellier – 29 avril 2020
Notes
[1] Trois leçons qui montent de la Palestine pour surmonter la pandémie
[2] L’anthropocène qui signifie «l’ère de l’humain» correspond à la période de l’humanité durant laquelle l’action de l’homme a profondément altéré les écosystèmes et la biodiversité au point de constituer une menace létale sur l’ensemble du vivant de la planète terre.
[3] Le mot « racisé » permet de nommer ce groupe social fondé non pas sur une couleur de peau ou une supposée appartenance ethnique, mais sur le partage de l’expérience sociale qu’est le racisme. Est racisé.e celle ou celui susceptible d’être assigné.e à une catégorie raciale, c’est-à-dire perçu.e comme appartenant à un groupe altérisé, distinct du groupe majoritaire ; comme un groupe homogène partageant des pratiques, des manières d’être, de vivre et de penser.
Le qualificatif ne désigne donc pas une qualité de l’être, mais une propriété sociale. Non pas une identité, mais une position dans la société, résultant d’un processus collectif : la racisation.
[4] La colonialité est entendue ici comme un phénomène historique, allant jusqu’à nos jours, réellement plus complexe que le colonialisme. Alors que le colonialisme se réfère à la situation de soumission de certains peuples colonisés, à travers un appareil administratif et militaire métropolitain (disparu en tant que tel sur une grande partie du globe), la colonialité consiste, elle, en l’articulation planétaire d’un système de pouvoir «occidental» [Quijano, 2000]2. Ce dernier se fonde sur une infériorisation prétendument naturelle des lieux, des groupes humains, des savoirs et des subjectivités non occidentales. Une infériorisation qui prend appui sur l’extraction des ressources et l’exploitation de la force de travail, dans une logique de reproduction élargie du capital. Cette articulation planétaire de la domination « occidentale » a survécu historiquement au colonialisme ; elle agit par les biais de dispositifs «civilisationnels» contemporains tels que les discours et les technologies du développement ou de la globalisation. Elle comprend aussi bien des dimensions ontologiques (colonialité de l’être) qu’épistémiques (colonialité du savoir), révélant diverses modalités d’eurocentrisme. La colonialité renvoie donc à un phénomène de plus grande envergure que les conceptions, quelquefois simplistes, des relations planétaires de pouvoir s’exprimant dans les termes de néo-colonialisme ou d’impérialisme culturel. (Arturo Escobar et Eduardo Restrepo, Anthropologies hégémoniques et colonialité, Cahiers des Amériques latines, 62/2009)
[5] (Souligné par nous. Ndlr).
[6] (Souligné par nous Ndlr). Cité par Nelson Maldonado-Torres, « Avec Fanon, hier et aujourd’hui ». Groupe décolonial de traduction.
[7] L’approche décoloniale a fait une percée sensible dans l’espace écologique, voir : «Sentir-penser avec la terre», d’ Arturo ESCOBAR et l’excellente présentation par Claire Galien. Dernièrement : Une écologie décoloniale Malcom FERDINAND. Et sur la page Face Book d’Extinction Rebellion: Pour une écologie décoloniale par Seumboy Vrainom.
[8] D’autres colonisations persistent : Colonisation du Cachemire par l’Inde, du Tibet par la chine, Des Malouines par l’Angleterre, de l’Irak et Afghanistan par les USA…
[9] « Et nous voyons une montée de l’autoritarisme et de la xénophobie dans cette forme très sauvage de capitalisme (…)»