L’assassinat de Roi Abdallah 1er de Jordanie en 1951

L’assassinat de Roi Abdallah 1er de Jordanie en 1951 1920 740 Jaafar Al Bakli
Le récit du premier assassinat politique d’un dirigeant arabe lié à la Palestine, le Roi Abdallah de Jordanie, en 1951, il y a 69 ans.

Par Jaafar Al Bakli
Universitaire tunisien, chercheur sur les questions de l’Islam, spécialiste de l’histoire politique des pays arabes, notamment les pays du Golfe.

La Jordanie au Machreq (le Levant), le Maroc au Maghreb (le Ponant), deux royaumes dépourvus de ressources pétrolières, ont très tôt fait office d’alliés souterrains d’Israël, en dépit de leur soutien affiché à la cause palestinienne.

L’annexion de la Cisjordanie par Israël a relancé la possibilité que la Jordanie fasse office de «patrie de substitution» à la Palestine, une hypothèse qui constituerait une juste retour à l’ordre naturel des choses en ce que la Transjordanie faisait partie intégrante de la Palestine à l’époque du mandat britannique, mais que la puissance mandataire a détaché de cet ensemble pour y édifier l’Émirat de Transjordanie qui deviendra par la suite le Royaume de Jordanie en vue d’y introniser la dynastie hachémite, la dynastie des descendants de la famille du prophète, les héritiers d’Hussein, le chérif de la Mecque, vaincu par les Wahhabites.

Rétrospectivement, l’assassinat du Roi Abdallah 1 er de Jordanie en plein Mosquée Al Aqsa de Jérusalem constitue la première sanction publique d’un dirigeant arabe pour cause de trahison.

Outre le Roi Abdallah de Jordanie, trois personnalités arabes de premier plan ont payé de leur vie, le prix de leur connivence avec l’État Hébreu:

  1. Wasfi Tall, ancien premier ministre jordanien, ordonnateur du massacre des Palestiniens dans la séquence dite du «septembre noir jordanien».
  2. Anouar Al Sadate, le président égyptien signataire du premier traité de paix d’un pays arabe avec Israël
  3. Bachir Gémayel, le chef des milices chrétiennes libanaises élu à la magistrature suprême libanaise, dans la foulée de l’invasion israélienne du Liban et de la perte du sanctuaire libanais de l’OLP.

Sur la dynastie hachémite

  1. https://www.madaniya.info/2017/03/01/la-grande-solitude-de-la-dynastie-hachemite-1-3/
  2. https://www.madaniya.info/2017/03/06/cherif-hussein-de-la-mecque-fondateur-de-la-dynastie-hachemite-2-3/
  3. https://www.madaniya.info/2017/03/11/cherif-hussein-ben-ali-schizophrene-menteur-insignifiant-tetu-cupide-pretentieux-3-3/

Le récit de Jaafar Al Bakli:

Vendredi 20 juillet 1951, dans l’enceinte de la Mosquée «Al Aqsa» de Jérusalem,

«Ils ont tué le Roi. Ils ont tué le Roi. Ils l’ont flingué».

Des cris se sont élevés incitant les fidèles, saisis de panique, d’effroi et d’horreur, à prendre la fuite dans toutes les directions.

Les soldats se sont engouffrés dans l’enceinte de la Moquée «Al Aqsa» à Jérusalem, les fusils, équipés de baïonnettes et brandis en l’air prêts à fondre sur la foule.

Très vite, ils se sont mis à tirer sur tout ce qui bougeait. Des dizaines de Palestiniens, atteints, gisaient par terre sur le lieu le plus sacré de la Mosquée Al Aqsa, le 3me Haut Lieu Saint de l’Islam.

La légion hachémite, constituaient exclusivement des bédouins recrutés dans les tribus de Transjordanie et chargée de la protection rapprochée du monarque, tirait sur la foule sans le moindre discernement, à l’aveuglette, n’épargnant ni les plus vieux ni les plus jeunes.

Le carnage au sein de la mosquée a coûté la vie à 20 Palestiniens. Une centaine d’autres de fidèles ont été atteints par les tirs (1).

La Légion Arabe, accourue en renfort, s’est déployée dans l’enceinte de la Mosquée, bouchant toutes les issues de secours, emprisonnant la totalité des fidèles qui s’y trouvaient.

Hussein, le petit fils du Roi, était immobile, secoué par un tremblement devant la dépouille de son grand père. Le sang coulé de l’œil éborgné du Roi, inondant son visage et sa poitrine. Le turban du roi, tombé de sa tête, se déployait dans une marre de sang.

Les soldats ont soulevé la dépouille de leur seigneur et maître et se sont précipités vers une voiture, et, de là vers l’hospice, un hôpital de la vieille ville de Jérusalem.

Les soldats bouillonnaient de colère, animés d’un violent désir de vengeance. Ils se sont dirigés vers les ruelles de la ville sainte et ouvert le feu sur tout ce qui entravait leur passage, brisant les vitrines, pillant les boutiques, se livrant à des actes de vandalisme, frappant les commerçants avec le crosse de leur fusil, abreuvant les passants d’insultes, n’épargnant rien ni personne.

1 -Les ombres d’un homme «malfaisant»

L’animosité du Roi Abdallah à l’encontre de Cheikh Amine Al Husseini était de notoriété publique. Le Mufti de Jérusalem, considéré comme l’ennemi numéro 1 diu Roi Abdallah, a eu droit au plus gros lot d’insultes. Les partisans du Roi étaient intimement convaincus qu’il était impliqué dans la conjuration.

Il ne déplaisait pas au Roi de qualifier le Mufti de «maudit», se faisant un malin plaisir à énumérer ses déboires. Il suffisait que le Mufti apparaisse quelque part pour que la malheur s’abatte sur les lieux de son séjour.

Ci joint un exemple de sa diatribe anti mufti habituelle :

«Le mufti est un homme «qui porte la poisse. Il a pris le commandement de la révolution palestinienne contre le mandat britannique en 1936 et la révolution s’est effondrée au terme d’une décennie.

«Il a ensuite apporté son soutien au chef nationaliste irakien Rachid Al Qilani dans sa lutte contre les Anglais et le soulèvement de Qilani a été maté. Le Mufti s’est alors enfui en Iran et le Chah a été destitué. Reza Shah, premier chah d’Iran, jugé trop proche de l’Allemagne nazie, a en effet été contraint d’abdiquer en septembre 1941 lors de l’invasion anglo-soviétique de l’Iran.

«Hitler a accueilli à bras ouvert Hajj Amine et l’Allemagne nazie a été vaincue. De même Mussolini qui fut pendu par ses pieds. L’errance du Mufti de Jérusalem s’est achevée en Égypte, mais le jour de son atterrissage au Caire, une épidémie de choléra s’est propagée dans la capitale égyptienne (2).

Abdallah ne se doutait pas un instant que l’ombre du si «détestable» Hajj Amine Al Husseini se projetterait sur lui à son entrée dans l’enceinte de la Mosquée Al Aqsa en vue de d’accomplir ses dévotions en ce vendredi 20 juillet 1951 à midi.

Les soldats jordaniens ont déniché de la poche de l’assassin un papier portant retranscription d’une fatwa, autorisant le porteur du message à éliminer le Roi avec promesse du paradis pour l’assassin.

Les Jordaniens, sans preuves, en déduirent que l’autorité ayant décrété la Fatwa ne pouvait être que le Mutfti de Jérusalem.

Les ordres ont été donnés en conséquence de procéder à l’arrestation des proches parents et des sympathisants du Mufti se trouvant à Jérusalem. Une grande rafle.

2 -L’identité de l’assassin

Moustapha Chucri Achou, l’assassin du Roi, était un jeune palestinien qui vivait dans le plus grand dénuement. Assistant d’un tailleur de la ville sainte, il avait adhéré, très jeune, à une organisation de résistance à la colonisation sioniste de la Palestine, intitulée «Al Jihad Al Mokadass» ou la Guerre sacrée.

A l’instar de nombreux jeunes palestiniens, Moustapha détestait le Roi Hachémite qu’il considérait comme un «traître», un «vieil agent des Anglais», un «collaborateur des sionistes» et qui méritait à ce titre la mort.

Les relations du Roi Abdallah avec les dirigeants sionistes ne constituaient un secret pour personne. Mais ces contacts suivis avec les dirigeants sionistes étaient très mal perçus par la population palestinien, d’autant plus vivement que les dirigeants sionistes s’en vantaient sans tenir compte des répercussions de telles annonces sur le trône hachémite et sa crédibilité.

3 – Le diner du palais Raghdane entre le Roi Abdallah et Golda Meir, ministre israélien des Affaires étrangères

Ainsi Haim Weizmann, Président provisoire de l’État d’Israël, a révélé publiquement, au cours d’une conférence de presse à Paris, le 4 juin 1948, la teneur d’un accord de cessez le feu entre la Jordanie et Israël, sans tenir compte des répercussions de cette annonce sur la popularité du roi jordanien.

Fait significatif, l’accord, conclu quatre jours avant la proclamation unilatérale de l’Indépendance d’Israël, le 15 Mai 1948, avait été négocié par Golda Meir, ministre israélien des Affaires étrangères et le Roi Abdallah en personne au cours d’un dîner privé au Palais Raghdane à Amman.

Non moins curieusement, ce diner a eu lieu le jour de l’occupation de la ville palestinienne de Safad par le Palmach, sans que ce fait ne coupe l’appétit vorace du monarque hachémite. L’occupation de Safad, sur la Méditerranée, a provoqué l’exode forcé de la population palestinienne et le retrait des troupes jordaniennes de la ville sinistrée.

Lors de dîner, le Roi Abdallah et Golda Meir sont convenus d’un plan de partage de la Palestine entre Israël et la Transjordanie. Abdallah se contentant de d’annexer le reliquat de la Palestine que lui a concédé Israël. Il annexera la Cisjordanie à la Transjordanie pour en faire le Royaume de Jordanie.

4- La fuite d’Abdallah Al Tall, Gouverneur militaire de Jérusalem

Le courroux anti-monarchique s’est amplifié avec la fuite en Égypte d’Abdallah Al Tall, gouverneur militaire de Jérusalem. Un des plus importants chefs militaires jordaniens, Abdallah Al Tall s’est réfugié en Égypte, en dénonçant les manigances israélo-jordaniennes (3).

En pleine bataille de Jérusalem, en 1948, qu’il commandait du côté jordanien, quelle ne fut sa surprise lorsqu’il reçut l’ordre du Roi, par téléphone, de cesser le combat, de stopper la progression de ses troupes au plus fort de la bataille, le 11 juin 1948, alors que le 6me bataillon jordanien s’apprêtait à prendre position dans les quartiers hébraïques de Jérusalem (4).

Tall, qui n’ignorait rien des transactions jordano-israéliennes, a vécu cet ordre comme une tragédie. Les soldats jordaniens qui s’apprêtaient à célébrer la victoire se virent contraints de procéder à l’arrestation de leur chef.

Considéré comme «traitre» et désavoué par la monarchie, Tall s’est arrangé pour se réfugier en Égypte et rallier au Caire l’opposition conduite par Hajj Amine Al Husseini.

A l’assassinat du Roi, beaucoup en Jordanie ont pensé qu’Abdallah Al Tall avait trempé dans la conjuration. Le trône disposait désormais de deux suspects de taille : Hajj Amine Al Husseini, Mufti de Jérusalem et Abdallah Al Tall, gouverneur militaire de Jérusalem.

Soixante dix (70) personnes de la famille Al Husseini ont été arrêtées, de même que dix membres de l’entourage d’Abdallah Al Tall.

5 -Le procès.

Expéditif, le procès a duré 9 jours. Abdallah Al Tall a été condamné à la peine capitale, ainsi que l’un de ses proches collaborateurs, Moussa Ahmad Al Ayoubi.
La condamnation a été prononcé par défaut (in abstentia), les deux hommes se trouvant au Caire, à l’abri de l’exécution de la sentence.

Quant au docteur Moussa Al Husseini, supposé être l’agent de liaison entre les conjurés du Caire et les exécutants à Jérusalem, il a été pendu en compagnie de trois autres personnes: Abdel Qader Farhat, et les frères Abed et Zakaria Okka. Quatre autres suspects ont été relâchés.

6- Dans l’attente de Talal, un Roi mentalement dérangé.

L’arrestation rapide de l’assassin et de ses présumés complices de même que le jugement expéditif des conjurés n’ont pas pour autant calmé le courroux des tribus jordaniennes.

Les tribus considéraient, en effet, que l’assassinat du Roi était un «crime odieux» commis par les Palestiniens et que cette catastrophe ne concernait pas exclusivement la famille royale mais l’ensemble des Jordaniens.

Certes la grande majorité des Palestiniens avaient exprimé leur tristesse, observé un deuil et adressé leurs condoléances à la cour hachémite.

Les fanatiques de Transjordanie ont mis en doute les regrets de leurs voisins Palestiniens, d’autant plus aisément que des excités dans les camps de réfugies palestiniens d’Ammam se sont livrés à des manifestations de joie à l’annonce de la mort du Roi.

En représailles, les fanatiques jordaniens se sont livrés à des ratonnades à l’encontre des Palestiniens. Trois jeunes palestiniens ont été tués et plusieurs autres blessés dans un camp de réfugiés proche de l’Hôtel Philadelphia à Amman.

Pour prévenir tout débordement, le Palais Royal de Raghdane a été isolé par un cordon de sécurité, la colline où devait être enterrée le Roi encerclé par des barbelés, privant les Jordaniens de la possibilité rendre un dernier hommage à leur souverain.

Talal, le prince héritier, qui suivait un traitement médical en Suisse, est retourné à Amman pour présider les obsèques de son père.

Atteint de démence, Talal était soumis à des crises cycliques. Un mois avant le décès de son père, saisi d’une crise de démence, il tenta d’assassiner son épouse Zein et sa plus jeune fille Basma.

A la mort du Roi, les rivalités au sein de la famille royale éclatèrent au grand jour, particulièrement parmi les trois épouses du monarque.

La princesse Misbah s’est ainsi opposée à la tenue des obsèques en l’absence de son fils Talal, héritier du trône. En raison de son état de santé, le retour de Talal a été retardé. La dépouille du Roi a été exposé pendant trois jours dans la salle du trône  du Palais de Raghdane.

Amman ployait en ces temps là sous la canicule, fréquente en juillet et la dépouille royale commençait à donner des signes de décomposition.

Misbah craignait qu’en l’absence de son fils et de son incapacité mentale, la succession ne soit dévolue à son demi frère Nayef. Une crainte avivée poar la nomination de ce même Nayef comme régent du Royaume durant la période intérimaire.

La sœur de Nayef a été, à son tour, atteinte d’une crise démence. Apercevant le premier ministre jordanien Samir Ar Rafaï, la princesse malade l’interpella en public, le rendant responsable de la mort de son père, ordonnant aux soldats d’exécuter le dirigeant jordanien sur le champ.

Enfin la 3eme épouse, Nahida, une belle soudanaise, dont le Roi est tombé sous son charme au point de lui léguer une fraction importante de ses possessions au grand dam des autres héritiers.

De fortes suspicions ont très tôt pesé sur elle, déclenchant une curée contre sa personne avec l’arrière pensée de récupérer une partie du patrimoine royal. Un règlement de compte généralisé a agité la famille royale.

6 – L’éloge de Winston Churchill: Abdallah, un allié dévoué des Anglais, un ami des Juifs.

A la chambre des communes, à Londres, le premier ministre britannique Winston Churchill a prononcé l’oraison funèbre du Roi Abdallah en ces termes:

«J’ai été personnellement responsable de sa nomination comme Émir de Transjordanie. Il était un homme animé d’un grand enthousiasme. Il a voulu chasser les Français de Syrie par les armes. Le colonel TE Laurence et moi même l’avons dissuadé de se livrer à pareil acte, d’éviter ce faux pas manifeste.

«Il a pris tous les risques pour gratifier tout ceux qui lui ont fait confiance et collaboré avec lui.

«Les Arabes ont perdu un grand héros. Les Juifs ont perdu un ami apte à aplanir les difficultés et nous, un allié dévoué».

Références

1-Mary Christina Wilson, King Abdullah, Britain and the Making of Jordan (Cambridge University Press, 1987) p: 209

2- Mohamad Hassaneine Heykal: Les négociations secrètes entre les Arabes et Israël. La légende, l’Empire et l’état juif. Opus 1- Dar Al Chourouk -Edition 1996 page 214.

3-Abdallah Al Tall, en se réfugiant au Caire, a révélé tout un pan des négociations secrètes menées par le Roi au Palais d’Al Chounah, région de la Mer morte. Le journal égyptien Al Akhbar a publié en date du 18 Mars 1951 un rapport sur les tractations secrètes jordano-israéliennes, fondées sur les confidence d’Abdallah Al Tall. Selon l’ancien gouverneur militaire de Jérusalem, le monarque hachémite cherchait à conclure une paix séparée avec Israël.
Tall publiera par la suite ses mémoires dans un ouvrage intitulé «La catastrophe de Palestine», édité par la maison d’édition égyptienne Dar Al Houda en 1959

4- Larry Collins et Dominique Lapierre «O Jérusalem !» -Club édition 1972, page 537

5- Plusieurs années plus tard, le Roi Hussein de Jordanie gracia Abdallah At Tall et l’invita à revenir en Jordanie. Ce retour en grâce s’est accompagné de mesures de réhabilitation envers le «meurtrier de son grand père». Hussein nomma l’ancien gouverneur militaire de Jérusalem à ses postes sensibles tant au ministère de l’Intérieur qu’au ministère des Affaires étrangères.

Le roi nomma Abdallah At Tall, au Sénat, en 1971, au lendemain du Septembre Noir jordanien», le massacre des Palestiniens, supervisé par Wasfi At Tall, le cousin d’Abdallah et à l’époque premier ministre de Jordanie. Wasfi At Tall sera assassiné au Caire en 1971 par un commando palestinien.

Version originale

Jaafar Al Bakli

Universitaire tunisien, chercheur sur les questions de l’Islam, spécialiste de l’histoire politique des pays arabes, notamment les pays du Golfe.

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