Dernière mise à jour le 17 février 2021
De Gaulle, l’Algérie et les journées de décembre 1960
Récit d’un Diên Biên Phu psychologique algérien
Par Mohamad Rebah
Ancien militant de l’Organisation civile du FLN durant la guerre de libération nationale, Mohamed Rebah fit partie de l’équipe rédactionnelle d’Alger républicain. Dans la continuité de son parcours militant et professionnel, il s’est lancé dans la recherche en histoire. Homme de terrain, il n’a cessé d’enquêter pour publier deux ouvrages qui ont connu un grand succès: «Des Chemins et des Hommes» et «Taleb Abderrahmane guillotiné le 24 avril 1958».
https://www.madaniya.info/ soumet à l’attention de ses lecteurs ce texte en guise de témoignage pour l’histoire, à titre de contribution à la vérité historique alors que Benjamin Stora, spécialiste de l’Algérie, s’apprête à remettre au président Emmanuel Macron son rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie dans les deux pays, sur fond d’une sourde tension entre Paris et Alger consécutive à la libération de 200 prisonniers par le Mali; une mesure qui a fortement irrité l’Algérie qui dénonce le paiement de rançons par Paris et le risque de retour en arrière de la lutte antiterroriste au Sahel.
La tension entre Paris et Alger intervient alors que la population algérienne est plongée dans les affres d’une contestation populaire qui patauge en l’absence d’une perspective de sortie de crise libératoire et que le pouvoir algérien est fragilisé par une succession de dirigeants évanescent; un président en phase crépusculaire à mobilité réduite, Abdel Aziz Bouteflika, forcé à la démission; le maître d’œuvre de la période transitoire, le patron de l’armée, le général Ahmad Gaïd Salah, mort dans l’exercice de ses fonctions, son successeur le président Abdel Majid Tebboune, en traitement médical prolongé en Allemagne.
Témoignage pour l’Histoire
1 – Le tournant décisif
11 décembre 1960. 10 heures. Sous une pluie fine, une marée humaine, brandissant le drapeau de l’Algérie combattante, surgit des quartiers populaires du Vieux Kouba, du Ruisseau, du Clos-Salembier, de Birmandreis, en passant par le Ravin de la Femme Sauvage. Grossie par la foule descendue des hauteurs de Belcourt et des lieux environnants, elle s’approchait du quartier européen du Champ-de-manœuvres où s’étaient groupés les partisans de l’Algérie française.
Sur fond du chant patriotique Min Djibalina, des milliers de voix entonnaient à l’unisson: Vive le GPRA…..Négociations
Une sorte de réponse au président de la République française qui, avant d’entamer son voyage en Algérie, avait réaffirmé son refus de discuter avec le GPRA de l’avenir de l’Algérie, lors de son discours du 4 novembre 1960.
Le but de son voyage en Algérie était de présenter aux corps constitués son projet de loi qu’il devait soumettre à référendum le 8 janvier 1961.
Le projet de loi portait sur la mise en place d’un Parlement et d’un exécutif algérien «qui, une fois établis, détermineront en temps utile, la date et les modalités du référendum d’autodétermination».
2 – Construire l’Algérie sans et contre le FLN
«Construire l’Algérie algérienne sans et contre le FLN», disait Bernard Tricot, collaborateur immédiat de de Gaulle. C’est cette Algérie que les officiers de l’action psychologique voulaient faire plébisciter par les Algériens.
Les militants du Front de l’Algérie française, le FAF, accueillirent, par des cris hostiles, le général de Gaulle, arrivé en Algérie le 9 décembre 1960. Ils appelèrent à la grève générale. C’est pour étendre cette grève aux quartiers musulmans qu’ils entrèrent en force dans Belcourt.
«Ils sont venus nous provoquer, déclara un jeune de Belcourt à l’envoyé spécial du quotidien français Le Monde. Nous avons réagi». D’où le caractère spontané de la manifestation.
Mais le peuple d’Alger était conscient de l’enjeu. Sa réaction fut politique. Il surprit les officiers de l’action psychologique qui pensaient l’entendre crier «Algérie algérienne», lui faisant avaliser, par- là, la politique du général de Gaulle.
3 – Un véritable Diên Biên Phu psychologique.
En voyant le drapeau de l’Algérie combattante surgir dans Alger qu’il pensait «pacifiée», un des officiers confia à un journaliste français: «Nous avons subi un véritable Diên Biên Phû psychologique… Pensez qu’on crie «Vive le FLN!».
Reprenant cette réaction, le journaliste écrivait: «L’explosion des sentiments populaires…réduisait à néant les constructions de l’action psychologique».
Les manifestations patriotiques de masse gagnèrent tout le territoire, malgré les dangers de mort. Car il y a eu des morts par dizaines. Les parachutistes tirèrent sur la foule à Alger, à Oran.
En décembre 1960, la guerre entrait dans sa septième année. Les manifestations de masse se conjuguant à la lutte armée, la France, malgré son effort de guerre, fut contrainte, quinze mois plus tard, de discuter de l’avenir de l’Algérie avec le GPRA et de signer avec lui le cessez-le-feu, le 18 mars 1962.
Les manifestations de masse de décembre 1960 marquèrent ainsi un tournant décisif dans la longue lutte du peuple algérien pour l’indépendance.
NB: C’est à Diên Biên Phû, au Viet Nam, que le corps expéditionnaire français subit la défaite qui sonna le glas du colonialisme français dans cette région. Un historien allemand qualifia les manifestations de décembre 1960 en Algérie de Diên Biên Phû politique pour la France impériale.
Portrait : Mohamad Rebah, Chercheur en Histoire
«Chercheur en histoire». Pouvez-vous préciser à nos lecteurs ce que vous entendez par là ?
1 – A la trace de mon frère ainé Nour Eddine, mort au maquis
Mohamed Rebah: A l’origine, mon but était de trouver les traces de mon frère aîné, Nour Eddine, mort au maquis dans la matinée du vendredi 13 septembre 1957, au lieu-dit Bouhandès, au flanc sud du djebel Beni Salah, au sud-ouest de Blida. J’ai recueilli l’information auprès d’un de ses compagnons d’armes et précisé la date en consultant la presse de l’époque.
Je savais que Nour Eddine avait rejoint le maquis la deuxième quinzaine du mois de juillet 1956. Il m’avait fait ses adieux en me demandant de garder le secret. Un lourd secret. Les autorités coloniales étaient à sa recherche. Au lendemain de l’indépendance, mon oncle Ali Longo qui avait été détenu de novembre 1956 au cessez-le-feu en 1962, m’apprit qu’il l’avait conduit à moto au pont de l’oued Djemaa, au pied du mont de l’Arba. De là, il prit le sentier du maquis. Un jeune maquisard l’attendait.
Auprès des survivants, j’ai collecté des repères, par bribes fugitives. J’ai rassemblé des faits et des dates. J’ai étudié la géographie des chemins qu’il parcourut dans la wilaya 4.
Au mois d’août 1957, Nour Eddine fut affecté au commando de la zone 2 de la wilaya 4. Il rejoignit sa section au douar Bouhlal – à Hayouna, pour être plus précis – dans les monts de Cherchell (wilaya de Tipasa). L’information m’a été donnée par son ancien chef de section.
Moustapha Saadoun, que je connaissais, avait assumé la fonction de commissaire politique dans cette région. Je l’ai sollicité pour me décrire les lieux et en ai profité pour recueillir son témoignage sur sa propre vie au maquis.
Ainsi se développa mon travail de recherche de témoignages. Il aboutit à l’écriture de mon livre Des Chemins et des Hommes: le chemin de Nour Eddine et de Moustapha, deux anciens camarades du Parti communiste algérien (PCA).
Je n’avais pas vocation d’historien. Je n’ai pas fait d’études académiques en histoire. Je suis économiste de formation. Je suis devenu chercheur en histoire par devoir. Un devoir de mémoire. Dans mon travail, je veille à ne pas me tromper sur les faits et les dates. Je prends mon temps pour vérifier. Ceci par respect pour les personnes auxquelles je m’intéresse. Des personnes que j’ai connues par l’intermédiaire de mon frère Nour Eddine.
Ainsi, sans le savoir, je me trouve à relater les faits recueillis dans le respect des règles de la recherche en histoire. Il faut dire que mon travail me pousse à étudier les ouvrages d’historiens comme Charles-Robert Ageron. Je suis un autodidacte.
2 – Un travail de transmission de la mémoire
Une bonne partie de mon travail de «chercheur en histoire» est consacrée à la transmission.
Une pratique sociale acquise, dans les années 1950, au sein de l’Union de la jeunesse démocratique algérienne (UJDA), un groupement de jeunesse mixte (des autochtones et des descendants d’immigrés européens) dont j’étais membre actif. L’été 1953, l’UJDA m’envoya au IVème Festival mondial de la jeunesse organisé par la Fédération mondiale de la jeunesse (FMJD) à Bucarest, en Roumanie, et au Congrès mondial des étudiants tenu par l’Union internationale des étudiants (UIE) à Varsovie, en Pologne.
L’UJDA avait des cercles dans les villes et à la campagne. Elle organisait, entre autres activités, des rencontres autour de l’histoire de l’Algérie. Un travail de proximité formidable. J’ai appris à aller vers les gens.
Je vais vers les jeunes. Je réponds aux invitations. Parfois, je prends l’initiative d’organiser des rencontres. J’ai ainsi rencontré des étudiants en médecine, chirurgie dentaire et pharmacie à la Cité universitaire Taleb Abderrahmane de Ben Aknoun (Alger), autour de mon livre «Taleb Abderrahmane guillotiné le 24 avril 1958».
La rencontre fut chaleureuse. Une délégation s’est ensuite rendue au quartier des guillotinés, au cimetière d’El Alia, se recueillir sur la tombe de leur aîné, l’étudiant en chimie Taleb Abderrahmane.
Mon ami Smaïl Hadj Ali, Maître de conférence, qui assista à la cérémonie, a dit que je «dissémine des connaissances historiques auprès des anciennes et jeunes générations». Je le fais par devoir de mémoire.
3 – Des chemins et des hommes.
Dans mon premier ouvrage, «Des Chemins et des Hommes», j’ai retracé le parcours de militants que j’ai bien connus : Mustapha Saadoun, un ami de mes oncles maternels Makhlouf et Ali Longo avec lesquels il a milité au Parti communiste algérien (PCA) et auxquels j’ai consacré un chapitre, Nour Eddine Rebah, mon frère aîné, Abdelkader Choukhal (un camarade du quartier de Saint Eugène où j’ai grandi), Raymonde Peschard, Maurice Audin qui m’a donné des cours de mathématiques, Odet Voirin, un très bon camarade de mon frère Nour Eddine. J’ai retracé le parcours de Taleb Abderrahmane avec le peu d’éléments que j’avais (j’ai poursuivi la recherche et je lui ai consacré un ouvrage).
J’ai donné une brève biographie d’un jeune lycéen, Pierre Ghenassia, dont m’avait parlé son cousin Jean-Pierre Saïd, un camarade d’Alger républicain. J’ai publié la lettre qu’il avait envoyée du maquis à ses parents.
Dans mon ouvrage «Des Chemins et des Hommes», j’ai consacré un chapitre sur le parcours de Taleb Abderrahmane que j’ai connu par l’intermédiaire de mon frère Nour Eddine. Ce n’était pas suffisant. J’ai poursuivi le travail de recherche. Sur la base de témoignages directs et souvent inédits, j’ai écrit un ouvrage auquel j’ai donné le titre Taleb Abderrahmane guillotiné le 24 avril 1958.
Je donne des informations, notamment sur sa scolarité. Il a appris ses leçons et fait ses devoirs à la lumière de la bougie, dans une pièce unique de 18 mètres carrés, partagée avec ses parents et ses cinq frères et sœur. Fils d’ouvrier, il est parvenu au prix d’énormes efforts à accéder à l’Université où il suivit des études en chimie.
Je parle de la Casbah de son enfance et de sa jeunesse, véritable «bouillon de culture nationaliste». J’évoque son éveil politique au contact de militants du MTLD (Ahmed Benamar connu sous le nom d’Ahmed Laghouati et Ahcène Askri) et du PCA (son voisin Ahmed Akkache, Ahmed Ould Amrouche, Abderrahmane Akkache et Tayeb Bouhraoua).
Je donne des informations sur son départ au maquis, au mois de juin 1956, dans la forêt de Tigrine, au sud d’Azzeffoun. J’informe des conditions de son arrestation au maquis de Blida où, recherché à Alger, il s’était replié.
Mon ouvrage contient des informations jusque-là méconnues du grand public. J’ai mené les premières enquêtes sur les camps de regroupement de la région de Cherchell, au début de l’année 2012.
Avec l’aide d’anciens maquisards, j’ai pu rencontrer des anciens déportés du camp installé sur la plage de Messelmoun. Ils étaient tous originaires du douar Bouhlal, au sud-ouest de Cherchell.
Puis l’enquête s’est étendue aux camps de Tamloul, Bouzero, Rhardous, Hadjret Ennous. Je pensais écrire un livre mais les éléments recueillis ne sont pas suffisants. J’ai opté pour une autre forme. J’ai publié les récits recueillis sous forme d’article.
4 – «Tous Algériens»: L’Hommage du GPRA aux Algériens de confession juive
En hommage aux Algériens de confession juive engagés sans réserve dans le combat pour l’indépendance, le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) a édité une brochure intitulée «Tous Algériens», en 1960, en pleine guerre de libération nationale. Il cite le sacrifice de Pierre Ghenassia, mort en héros au maquis de Blida, en 1957, à l’âge de 18 ans.
Le GPRA cite le nom de ce jeune élève de Première Moderne du lycée Bugeaud d’Alger (aujourd’hui Emir Adelkader) comme symbole du plein engagement d’Algériens non musulmans dans la lutte libératrice: Henri Maillot et Maurice Laban, morts au maquis de l’Ouarsenis, le Docteur Georges Counillon, Georges Raffini, Roland Siméon et André Martinez, morts au maquis des Aurès, Raymonde Peschard, morte au maquis des Bibans, Fernand Iveton, mort sur l’échafaud, Maurice Audin, mort sous la torture, Georges Acampora et Jacqueline Guerroudj, rescapés de la guillotine. Et bien d’autres qui furent arrêtés, torturés et condamnés à de la prison.
Pour la majorité des Algériens non musulmans, l’engagement dans la lutte pour l’indépendance commença à l’intérieur du Parti communiste algérien.
5 – L’Affaire Audin
«L’Affaire Audin» pose la question des milliers de disparus durant la Bataille d’Alger. Ce n’est pas un cas isolé.
Dans sa lettre au Président de la République française, Josette Audin dit: « Comme beaucoup d’Algériens, mon mari… ». La disparition de Maurice Audin s’inscrit dans le cadre de la terrible répression ordonnée par le gouvernement français.
Cette répression fut menée par l’armée commandée par le général Massu à qui tous les pleins pouvoirs avaient été accordés.
Pour l’instant, les autorités françaises n’ont pas répondu à la question: « Où est le corps de Maurice Audin ? »
« L’Affaire Audin» s’inscrit dans le cadre de la demande formulée par les autorités algériennes sur la question des archives.
Boualem Khalfa, Henri Alleg, Jacques Salort et Abdelhamid Benzine ont conjugué leurs efforts pour faire d’Alger républicain un grand journal de lutte contre le colonialisme. Au Journal, l’ambiance était fraternelle. Aux réunions quotidiennes de la rédaction, les discussions étaient empreintes d’une grande franchise. Boualem Khalfa portait un grand intérêt aux pages sportives.
Entretien réalisé par Ramdane Mohand Achour.
Illustration
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Charles de Gaulle. Portrait painted by Donald Sheridan.