Tribune Libre de Didier Destremau, Président de « l’Association d’amitié France-Syrie » et ancien diplomate.
https://www.madaniya.info/soumet à l’attention de ses lecteurs et des sites partenaires une «Tribune Libre» sur la Syrie, publiée à la veille du 10ème anniversaire de la Guerre de Syrie, à titre de contribution au débat public en France sur un sujet longtemps biaisé par des présupposés idéologiques comme en témoigne le comportement erratique des «islamophilistes, tontons flingueurs de la bureaucratie française», visant à neutraliser toute pensée dissidente quand bien même pertinente.
Alors que se rapproche la fin de cette «annus horribilus» et, avec elle l’élection présidentielle syrienne de 2022, ne serait-il pas sage d’entamer des démarches pour renouer nos liens avec Damas ?
Tout semble militer pour que la France qui aspire toujours à se poser comme une puissance globale retrouve au proche Orient une stature mondiale. Il s’agit de considérer que des pincées de réalisme et de long termisme doivent nuancer le «droit de l’hommisme» qui a prévalu jusqu’alors et depuis presque une décennie.
Considérons d’abord la situation au Moyen Orient. L’Occident, c’est-à-dire les États-Unis et l’Union Européenne s’y sont disqualifiés en raison de leurs erreurs de jugement, de démissions politiques et militaires ou de leurs soucis intérieurs.
La Turquie montre de plus en plus ses dents pointues et pleines d’appétit que ce soit d’ailleurs en Irak, en Palestine, au Liban, en Libye et depuis peu en Azerbaïdjan. Elle occupe illégalement une portion non négligeable du territoire septentrional de la Syrie et se donne pour mission d’éradiquer tous les Kurdes même s’ils sont d’une autre nationalité que la leur.
Damas quant à elle, n’a résisté à l’hydre islamiste que grâce au soutien irréductible de la Russie et de l’Iran. Ce faisant elle a souvent écorné des valeurs que nous considérons comme fondamentales, mais imaginons ce que nous serions si à Damas régnait ce que nous avons appelé Daech. Il serait à craindre que Jordanie, Liban, Irak voire d’autres pays seraient actuellement soumis au même joug ou en passe de l’être.
Ce tête à tête de la Syrie avec ces deux pays qui ne brillent pas par le même esprit démocratique que nous est admis avec réserve par les citoyens syriens qui ressentent le besoin d’un pilier occidental pour équilibrer leurs alliances et ne pas mettre leurs œufs dans les mêmes paniers.
Aujourd’hui, cet atout occidental ne peut être que la France qui déjà résiste aux ambitions d’Erdogan et surtout possède une tradition centenaire d’amitié avec cette Syrie, centre stratégique du Levant.
Nos relations avec les Syriens n’ont pas été exemptes de difficultés. Mais celles là même ont affermi notre connaissance mutuelle.
C’est la France qui donne le «la» dans l’Union Européenne pour ces affaires moyen orientales et arabes, et c’est à elle de prendre l’initiative.
Est-ce difficile pour notre président de reconnaître des erreurs d’appréciation, des fautes d’expression commises lors des septennats précédents et d’admettre que comme les humains, les institutions peuvent se tromper ?
Ne suivrait-il pas une vraie logique géopolitique s’il réinstallait la France aux cotés de la Syrie pour contrer les velléités hégémoniques de la Turquie ?
N’est ce pas à lui de raisonner à long terme et d’évaluer les risques que prendrait la France à poursuivre cette politique de non dialogue qui pousserait irrémédiablement la Syrie dans les bras de concurrents ou d’adversaires ?
C’est actuellement le bon timing. L’élection présidentielle est encore assez loin bien qu’elle doive déjà peser sur les débats. La Turquie dévalorise son image internationale en affichant des exigences incongrues.
Washington a annoncé son retrait de la région et dés lors celle-ci ne compte plus sur elle. Les autres pays européens fourbissent leurs armes pour que leurs entreprises prennent part à la reconstruction de ces nations dégradées par d’interminables guerres…
Il est temps de se positionner et d’entamer cette démarche qui pour n’être pas facile est indispensable pour notre grandeur et la cohérence de notre politique extérieure.
Une avancée à petits pas serait peut-être la solution mais il est à craindre qu’elle se heurtera à la fierté nationale et au ressentiment des dirigeants syriens blessés par l’attitude passée de Paris.
Une négociation difficile nous attend, mais notre diplomatie est expérimentée et inventive. Un accord peut être d’autant plus évident qu’il est donné «gagnant-gagnant» comme on dit de nos jours.