Abou Dhabi a cherché à contraindre le Yémen et le Soudan à normaliser avec Israël

Abou Dhabi a cherché à contraindre le Yémen et le Soudan à normaliser avec Israël 1500 998 René Naba

Normalisation AN I : 3ème volet

Abou Dhabi a cherché à contraindre le Yémen à normaliser ses relations avec Israël.

Par René Naba

L’édification d’un musée juif à Sana‘a, la restauration du cimetière juif d’Aden et la restitution de la nationalité yéménite à 60.000 juifs yéménites, dont 45.000 juifs yéménites israéliens.

La vassalité est si bien intériorisée qu’Abou Dhabi s’est appliqué à contraindre le Yémen à normaliser ses relations avec Israël bien avant la conclusion du «pacte d’Abraham» dans la première décennie du XXI me siècle, du temps du président Ali Abdallah Saleh, au point que l’agression pétro monarchique contre le plus pauvre pays arabe est apparue rétrospectivement comme une tentative de mettre au pas ce pays récalcitrant, considéré comme un carrefour stratégique majeur de la navigation maritime internationale.

Ali Abdallah Saleh, assassiné le 4 décembre 2017, a dirigé le Yémen pendant 34 ans, d’abord en tant que Président de la République arabe du Yémen de 1978 à 1990, puis en sa qualité de Président du Yémen unifié de 1990 à 2012.

«L’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis ont utilisé contre le Yémen les mêmes méthodes employées par les Israéliens à l’encontre des Palestiniens: Éliminer les civils sans défense pour semer la terreur et détruire de manière systématique les infrastructures du pays en vue de saper les fondements de la vie culturelle et sociétale avec pour objectif sous-jacent de contraindre le Yémen de normaliser ses relations avec Israël».

Telle est la principale révélation contenue dans un document publié par le journal libanais Al Akhbar en date du 9 octobre 2020.

Pour le locuteur arabophone, cf ce lien

Sur le problématique des pétromonarchies face au Yémen, cf ces liens:

…«Israël a apporté son expertise à la coalition pétro monarchique dans sa guerre d’agression contre le Yémen, déclenchée en 2015, et a cherché, en compensation, à obtenir la restitution de la nationalité yéménite à plusieurs dizaines de milliers de juifs yéménites qui avaient fui le pays pour Israël au moment de la proclamation de l’indépendance de l’état hébreu», ajoute le journal rapportant les propos de M. Yehya Sarih, porte-parole des forces armées yéménites.

Jusqu’à la décennie 1950, les juifs yéménites faisaient partie intégrante du tissu social yéménite. Ils ont émigré en Israël à l’instigation de l’Agence Juive, où, en dépit du fait qu’ils étaient bien moins traités que les Ashkénazes (originaires d’Europe orientale) et des juifs marocains, ils se sont néanmoins enrôlés dans l‘armée israélienne et ont participé à la répression des Palestiniens.

«Al Akhbar» a pris connaissance de deux documents, l’un émanant de l’ambassade des Émirats arabes Unis à Sanaa; le second du Conseil National de Sécurité du Yémen au président Ali Abdallah Saleh.

A propos de la teneur du premier document (Ambassade des Émirats).

Ce document, dont la référence est la suivante N°11/1/ 4 en date du 3/3 2004, émanant de l’ambassadeur des Émirats arabes Unis au Yémen, Hamad Said Al Roubahi, est adressée au sous secrétariat d’État du ministère à Abou Dhabi. Il rend compte d’une visite d’une délégation de l’Office du «Patrimoine Juif Yéménite» composée de MM. Yehya Merji, juif yéménite israélien, d’Ibrahim Yehya Yaacoub, porteur de la double nationalité israélienne ainsi que de M. Sleimane Jarafi.

La délégation s’est entretenue avec de nombreux responsables yéménites y compris le président Ali Abdallah Saleh, dans une démarche qui entre dans le cadre «des efforts déployés par Israël en vue de normaliser les relations» entre le Yémen et l’état hébreu.

2 – L’édification d’un musée juif à Sana‘a, la restauration du cimetière juif d’Aden et la restitution de la nationalité yéménite à 60.000 juifs yéménites, dont 45.000 juifs yéménites israéliens.

1er document

La requête de la délégation de l’Office du «Patrimoine Juif Yéménite» au Gouvernement de Sana’a portait sur cinq éléments: L’édification d’un musée juif à Sana‘a, la restauration du cimetière juif d’Aden, la réhabilitation du Mausolée d’Al Shiziz, un des grands rabbins juifs yéménites, l’édification d’une synagogue et d’une école à Rabda, ainsi que la restitution et la nationalité yéménite à 45.000 juifs yéménites israéliens et à 15.000 juifs yéménites, porteurs de la nationalité américaine.

Le premier ministre yéménite n’a pas fait suite à la requête de la délégation de juifs yéménites israéliens dans l’attente des instructions du chef de l’état.

Par la suite, le président yéménite a fait la promesse d’édifier une synagogue et une école à Rabda, faisant droit en outre à une requête personnelle d’un membre de la délégation: l’autorisation de construire une résidence à Ibrahim Yehya Yaacob, le binational israélo-américain, à Rabda, son lieu de naissance, ainsi qu’à son frère, Sleimane résidant, lui, en Israël.

La délegation de l’Office du «Patrimoine Juif Yéménite» s’est entretenue en outre avec le Général Mokhtar Al Masri, vice-ministre de l’intérieur, qui avait déjà séjourné en Israël et qui était une vieille connaissance de ses interlocuteurs.

Le message de l’ambassadeur des Émirats Arabes Unis à Sana’a n’a pas clairement explicité l’intérêt du diplomate à cette démarche, mais son existence suggérait le rôle que les pétromonarchies entendaient faire assumer au Yémen dans «la normalisation des juifs yéménites dans le cadre d’un plan plus général conçu par les États Unis pour la zone».

Le 2eme document: Un responsable israélien «résident permanent» à Doubaï.

Ci joint le message du président du Conseil National de Sécurité Yéménite au président Saleh, rendant compte d’une visite d’un émissaire israélien au Yémen, Bruce Cashdan, (orthographe phonétique).

«M. Bruce Cashdan, qui se présente comme conseiller spécial du ministre israélien des Affaires étrangères, a fait deux visites au Yémen, la première en 2005, la deuxième, deux ans plus tard, du 14 au 16 juillet 2007. Il a assuré que sa «résidence permanente était Doubaï» (Émirats Arabes Unis) et qu’il était «chargé de la coordination entre Israël et les états de la région». Porteur néanmoins de la nationalité américaine, l’émissaire israélien avait effectué des séjours en Arabie saoudite et à Djibouti.

Si cette information était confirmée, elle signifierait que des officiels israéliens bénéficiaient du statut de «résident permanent» à Doubaï, quinze ans avant la normalisation des rapports entre Abou Dhabi et Israël.

Durant ses visites répétées au Yémen, Bruce Cashdan a rencontré des proches du président Saleh, ainsi que Abdel Karim Al Iriani, ancien premier ministre, des responsables du ministère du plan «en vue de développer les relations économiques entre le Yémen e Israël, en prévision de donner une impulsion aux relations politiques et sécuritaires, particulièrement dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, la sécurisation de la navigation maritime dans la Mer rouge, la modernisation des équipements de l’armée yéménite, notamment les gardes côtes, ainsi que l’irrigation et l’agriculture.

Nullement enthousiaste au développement des relations entre Bruce Cashdan et les autorités yéménites, le Conseil National de Sécurité Yéménite a recommandé de limiter les contacts de l’émissaire israélien aux citoyens yéménites de sa connaissance, excluant de facto, les hauts responsables, en spécifiant de le «surveiller de près et d’accumuler les preuves» sur son comportement.

L’intérêt des Émirats Arabes Unis à l’égard d’une normalisation des relations du Yémen avec Israël découle de deux faits: l’Intérêt témoigné par le représentant du gouvernement d’Abou Dhabi à Sana’a aux démarches de l’office du «Patrimoine Juif Yéménite» et le fait que l’émissaire israélo-américain ait une résidence permanente à Doubaï. Bruce Kashdan, l’homme-orchestre de la normalisation entre Israël et les pétromonarchies, résidait en effet dans la principauté quinze ans avant la conclusion d‘un traité entre Israël, d’une part, Abou Dhabi et Bahreïn d’autre part.

3- Le Soudan: le 3eme larron de la normalisation

Outre le Yémen, Abou Dhabi a voulu entraîner dans son sillage le Soudan dès le mandat du Général Omar Bachir.

Le 3me larron de cette sinistre mascarade, le Soudan a procédé à la reconnaissance d’Israël le 23 octobre 2020, soit à deux semaines de l’élection présidentielle américaine; une décision à forte charge symbolique puisque c’est à Khartoum que les pays arabes avaient décrété, en Août 1967, les 3 NON conditionnant la fin du conflit israélo arabe: Non aux négociations, Non à la reconnaissance, Non à un traité de paix.

En tandem avec l’Arabie saoudite, Abou Dhabi a décidé de mettre sous pression le Soudan pour le contraindre à maintenir sa présence au sein de la coalition sunnite dans la guerre contre le Yémen, invoquant la duplicité du régime de Khartoum, notamment ses sympathies à l‘égard des Frères Musulmans, une accusation récurrente du tandem.

Dans son «offre globale» présentée par Mohamad Ben Salmane au président Donald Trump en vue de faire accéder l’Arabie saoudite au rang de partenaire privilégié des États Unis au même titre qu’Israël, le prince héritier saoudien s’était même engagé à mettre à la  disposition du président des Etats Unis un contingent en provenance des pays arabes et musulmans, dont les effectifs se situeraient entre 34.000 à 58.000 membres provenant de 37 pays, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, sous la conduite des Etats Unis. Ce contingent déjà disponible est d’ores et déjà à la disposition du président élu pour peu qu’il en fasse la demande.

Cf ce lien: https://www.madaniya.info/2019/06/06/lidylle-insolite-de-donald-trump-artisan-du-muslim-ban-avec-la-dynastie-wahhabite-2-2/

MBS s’était porté fort de à faire pression sur le président Omar Al Bachir en vue de le contraindre à octroyer une base américaine au Soudan, sur la mer rouge, sans se donner la peine de solliciter l’avis du président soudanais.

Pantin désarticulé aux mains de ses commanditaires successifs, opportuniste à tout crin, le président soudanais, le général Omar Al Bachir a été évincé du pouvoir le 11 avril 2019 au terme de 30 ans de pouvoir marqués par l‘amputation du territoire national du sud Soudan et des ressources énergétiques y afférentes.

Pour sa survie politique, le Soudanais s’est débarrassé de tous ses alliés encombrants aux yeux des pays occidentaux, livrant l’internationaliste Carlos à la France, expulsant Oussama ben Laden de Khartoum vers le Pakistan, souscrivant à l’amputation du sud soudan du territoire national.

Appâté par une promesse saoudienne de subvention de 3 milliards de dollars en vue de relancer son économie chancelante en contrepartie de son engagement dans l’agression pétro-monarchique contre le Yémen, Omar Al Bachir va transformer son armée nationale en une armée mercenaire.

Arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’état, le général Omar Al Bachir en sera évincé trente ans plus par une révolution de palais articulée sur un soulèvement populaire. Placé en résidence surveillée, il vit sous la menace d’une comparution devant la Cour Pénale Internationale pour «crimes contre l’humanité».

Pour aller plus loin sur la relation Abou Dhabi Soudan, cf; ce lien: https://www.madaniya.info/2019/06/18/abou-dhabi-leaks-1-2-arabie-saoudite-emirats-arabes-unis-le-prurit-belligene-des-deux-princes-heritiers-du-golfe/

La servilité extrême à l’égard de l’Occident ne garantit pas une impunité. Cela vaut pour le Soudan, comme auparavant pour le Chah d’Iran comme éventuellement à l’avenir pour Abou Dhabi ou l’Arabie saoudite.

L’affaire du basculement des pétromonarchies vers Israël a donc été préparée de longue date. Comme si Abou Dhabi voulait éviter d’apparaître comme un tir au flanc… d’éviter d’affronter seul l’opprobre de la population arabe résultant de cet unilatéralisme qui a brisé la solidarité arabe à l’égard de la cause palestinienne.

Illustration

A poster of Yemen’s President Ali Abdullah Saleh is seen at the roof of a house at the old town of Sana’a, May 18, 2011. Yuri Kozyrev—NOOR for the Magnum Foundation Emergency Fund

René Naba

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l'AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l'information, membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme et de l'Association d'amitié euro-arabe. Auteur de "L'Arabie saoudite, un royaume des ténèbres" (Golias), "Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l'imaginaire français" (Harmattan), "Hariri, de père en fils, hommes d'affaires, premiers ministres (Harmattan), "Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David" (Bachari), "Média et Démocratie, la captation de l'imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l'Association d'amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Editorialiste Radio Galère 88.4 FM Marseille Emissions Harragas, tous les jeudis 16-16H30, émission briseuse de tabous. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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