Algérie : Interview de René Naba à la Patrie News

Algérie : Interview de René Naba à la Patrie News 1256 628 René Naba

Dernière mise à jour le 2 novembre 2022

Interview de René Naba à la Patrie News:
  • Le sommet arabe d’Alger a une fonction d’exorcisme.
  • Le Maroc fera profil bas et assurera un service minimum, d’autant plus qu’il doit gérer un scandale diplomatique concernant les galipettes marocaines du chef de la mission israélienne au Maroc.

L’usage de l’arme du pétrole, lors de la guerre d’Octobre 1973, par le renchérissement soudain des principautés du golfe, a entraîné un basculement géo stratégique du centre de gravité du monde arabe, de la rive républicaine de la Méditerranée vers les monarchies du Golfe, de la zone de pénurie populeuse et frondeuse vers la zone d’abondance; Des pays du champ de bataille, qui ont tous mené des guerres d’indépendance vers une zone sous tutelle militaire occidentale.

  • Mahmoud Abbas et Ismail Haniyeh pouvaient difficilement refuser de se serrer la main sous les auspices du président Tebboune en raison du soutien constant et inconditionnel témoigné par l’Algérie à la cause palestinienne.
  • La France marche sur sa tête et réfléchit comme un pied en Algérie.
  • Le Liban a valeur d’exemple de par sa fonction de curseur diplomatique régional.

1- Question La Patrie News: Après la décision prise par la Syrie de ne pas mettre à profit le sommet d’Alger pour réintégrer légitimement la Ligue arabe, quels autres résultats probants peut-on en attendre encore?

Réponse RN : Le sommet d’Alger aura principalement une fonction d’exorcisme en ce qu’il vise à exorciser l’idée que le Monde arabe est sorti de l’histoire du fait de son immobilisme et de ses divisions, alors que dans la décennie 1950-1960, les Arabes étaient le fer du combat de libération du tiers monde.
Maigre consolation, le fait que ce sommet se tienne après trois ans d’absence est déjà un exploit en soi tant les divisions sont profondes au sein du Monde arabe, tant bon nombre de protagonistes arabes ne souhaitaient pas un succès de l’Algérie.

Le dernier sommet s’est tenu en Tunisie en 2018. Le fait qu’il se tienne à Alger est à mettre au crédit de la diplomatie algérienne, d’autant plus valorisant pour l’Algérie qu’il se tient à la date commémorative du déclenchement de la guerre d’indépendance et au terme d’une longue léthargie diplomatique doublée d’une période de contestation, le Hirak, qui a paralysé toute vie politique, économique et diplomatique du pays.

Le Qatar, par exemple, ne voyait pas d’un bon œil que la Syrie soit réintégrée, alors que c’est sous la présidence de la principauté que la Syrie a été expulsée de la Ligue arabe. Le plus pathétique dans cette affaire est que la Syrie, membre fondateur de l’organisation pan arabe, a livré quatre guerres contre Israël, alors que le Qatar est passé du protectorat britannique au protectorat américain sans coup férir, mais il s’arroge l’outrecuidance d’expulser un pays pivot du Proche-orient, le dernier avec le Liban des pays du champ de bataille à n’avoir pas pactisé avec Israël.

2 – Question La Patrie News: Particulièrement problématique, la participation du Maroc à ce sommet, pour ne pas dire son niveau de représentativité, continue de susciter le débat. Par quel tour de passe-passe les rapports de force et l’épicentre de cette ligue. Est-il déplacé vers les monarchies du Golfe, l’affaiblissement du front du refus, et le risque d’un plus grand élargissement des accords d’Abraham. Peut-on encore, et comment serait-il possible de mettre un frein définitif à cette machine en train de broyer la cause palestinienne?

Réponse RN : Le Maroc ne voit pas d’un bon œil non plus la tenue d’un sommet arabe à Alger, lui qui fait face déjà à un mécontentement d’une population marocaine qui considère la normalisation avec l’État Hébreu comme un « bradage de la Palestine » de la part du président du Comité Al Qods.
Le Maroc fera profil bas et assurera un service minimum, d’autant plus qu’il doit gérer un scandale diplomatique concernant les galipettes marocaines du chef de la mission israélienne au Maroc. Pas mal pour un début.

Quant au basculement stratégique du Monde arabe, il s’explique par des raisons économiques, sous tendant des objectifs stratégiques:
L’usage de l’arme du pétrole, par le renchérissement soudain des principautés du golfe, a entraîné un basculement géo stratégique du centre de gravité du monde arabe, de la rive républicaine de la Méditerranée vers les monarchies du Golfe, de la zone de pénurie populeuse et frondeuse vers la zone d’abondance; Des pays du champ de bataille, qui ont tous mené des guerres d’indépendance vers une zone sous tutelle militaire occidentale. L’usage de l’arme du pétrole, lors de la guerre d’octobre 1973, n’avait pas pour fonction première de soutenir le combat des pays du champ de bataille (Égypte, Syrie, OLP, Liban), mais de financer indirectement l’effort de guerre américain au Vietnam en fragilisant les rivaux économiques des États Unis, le Japon et l’Union européenne, dépourvus tous les deux du pétrole.

Corrélativement, le mot d’ordre «Unité Arabe» a cédé la place au mot d’ordre de «Solidarité islamique», diluant ainsi la question palestinienne dans un ensemble plus vaste, polymorphe incluant les grands pays musulmans alliés stratégiques d’Israël: L’Iran du temps du chah d’Iran et la Turquie, le «Muslim de service» de l’Otan.

3- Question La Patrie News: Après le tour de force du président Tebboune, qui a réussi à se faire serrer la main Mahmoud Abbas et Ismail Haniyeh, est-il encore possible de réconcilier à Alger toutes les factions palestiniennes, sachant que le Hamas place légitimement la barre de plus en plus haute, et que l’Autorité palestinienne donne l’air de se complaire dans les concessions en cascade?

Réponse RN : Mahmoud Abbas et Ismail Haniyeh pouvaient difficilement refuser de se serrer la main sous les auspices du président Tebboune en raison du soutien constant et inconditionnel témoigné par l’Algérie à la cause palestinienne. Cela dit, Mahmoud Abbas est complètement discrédité pour sa collaboration sécuritaire avec la puissante occupante. Au crépuscule de sa vie, il est à bord de l’apoplexie politique et financière. Le Hamas a de nouveau le vent en poupe depuis sa riposte balistique lors de l’offensive israélienne de Mai 2021, -«la bataille de Saif al Qods» – et sa réintégration au sein de l’axe de la contestation à l’hégémonie israélo-américaine dans la zone: une réintégration opérée grâce aux bons offices du Hezbollah libanais.

4- Question La Patrie News: Que retenez-vous de la visite en Algérie du président Macron, qui refuse encore de parler d’excuses, et qui nous demande de nous tourner vers l’avenir, sic?

Réponse RN : La France marche sur sa tête et réfléchit comme un pied en Algérie. La France a institué au XIX me siècle un “Code de l’indigénat” en Algérie. Elle reconnaissait donc implicitement que l’Algérie appartenait à ses indigènes, c’est-à-dire aux habitants originels du pays.

A contrario, les Français étaient des « exogènes » en Algérie. Dès cette époque, les Français, qui se réclament de la rationalité cartésienne, auraient dû en tirer les conséquences. Au lieu de cela, ils ont été guidés par une sorte de péché d’orgueil, qui s’est traduit par une cécité politique, aboutissant par enchaînements de drames à l’impasse actuelle. Qu’espérer vous d’un pays qui glorifie Adolphe Thiers, le fossoyeur de la commune, qui a acté dans le psychisme français l’idée de capitulation? La France va droit dans le mur en klaxonnant.

La visite du président Emmanuel Macron, en Août 2022, suivie deux mois plus tard de celle de son premier ministre, Mme Elisabeth Borne, en vue de “renforcer la coopération bilatérale”, selon la formule en vigueur, vise en fait à finaliser une transaction subliminale consistant à ravitailler la France en énergie en contrepartie du rapatriement des milliards d’euros investis par des Algériens en France lors de la phase crépusculaire de l’ère Bouteflika.

5- Question La Patrie News: A cause du conflit ukrainien, Alger est fortement «courtisée» par le Vieux continent. Comment est-ce possible de tirer le meilleur parti de ce rééquilibrage géo stratégique?

Réponse RN : Pour l’Algérie de continuer dans la même direction. Ne jamais courber l’échine devant l’adversité. Demeurer fidèle à ses amitiés internationales. Cette constance dans l’amitié lui vaut un crédit moral considérable au plan international.

6- Question La Patrie News: A cause du gaz toujours, un conflit armé semble se profiler entre le Liban (Hezbollah) et l’entité sioniste, qui projette d’entamer des exploitations off-shore dans une zone maritime revendiquée par Beyrouth. La guerre est-elle encore évitable, et quel rôle pour la Ligue arabe dans ce conflit latent?

Réponse RN : La Ligue arabe n’a aucun rôle à jouer. Pas même l’État libanais évanescent. Seul le Hezbollah par sa dissuasion et sa science militaire, peut préserver les droits légitimes du Liban. Israël et les États Unis en sont conscients et manœuvrent pour éviter que les concessions qu’ils devront faire n’apparaissent pas comme une capitulation devant le Hezbollah.

7- Question La Patrie News: Dans le même ordre d’idées, l’entité sioniste déploie des trésors de «diplomatie» et de «pressions» tous azimuts pour faire échouer l’accord sur le nucléaire iranien. Est-il encore possible de sauver ce dernier?

Réponse RN : L’accord sera sauvé aux conditions iraniennes ou ne sera pas sauvé car ce sont les États Unis qui ont rompu le précédent accord. L’Iran, dans cette affaire, a un avantage moral. De surcroît, au terme de 40 ans d’embargo, l’Iran a accédé au statut de « puissance de seuil » du fait de son autosuffisance technologique. La guerre d’Ukraine a permis à l’Iran de nouer un partenariat stratégique avec la Russie qui va se matérialiser par des investissements de 40 milliards de dollars de la Russie dans la modernisation des infrastructures pétrolières iraniennes, en contrepartie de facilités d’escale à la flotte russe dans les ports iraniens du Golfe persique.

De ce fait, l’Iran est le prochain membre de plein exercice du BRICS, une organisation qu’il importe à l’Algérie de rejoindre sans trop de délai. C’est mon vœu le plus cher pour l’Algérie à l’occasion du 60ème anniversaire de son indépendance.

8- Question La Patrie News Comment voyez-vous la reconfiguration de l’échiquier géopolitique global à la faveur du conflit ukrainien? Quelle place y aurait-il pour le monde arabe? L’ONU?

Réponse RN : Je serai bref sur ce sujet pour la simple raison que je viens d’accorder une longue interview à un journal malien sur ce thème, qui sera publié en février 2023, à l’occasion du 1 er anniversaire de cette guerre. Je peux vous dire très schématiquement que la guerre d’Ukraine a fracturé le champ économique mondial, mettant un terme à la globalisation économique et au primat de l’Otan dans la gestion des affaires du Monde, favorisant l’émergence d’un monde multipolaire.

Dans cette perspective, il faudra songer à modifier la composition du Conseil de sécurité qui abrite 3 membres de l’Otan, alors que l’Asie (4 puissances nucléaires, la moitié de l’humanité) ne dispose que d’un siège (Chine), que l’Afrique n’en dispose d’aucun, pas plus que le Monde musulman 1,5 milliards de personnes.

9- Question La Patrie News: Un mot sur la crise libanaise, qui n’en finit plus de s’enliser, ou comment en finir avec le confessionnalisme?

Réponse RN : Le confessionnalisme est une grille de lecture commode qui dispense d’une analyse plus approfondie de la crise libanaise. La religion au Liban n’est pas un facteur de division. Le clivage distingue les reptiles des vertébrés. L’histoire de ce pays en est témoin.

Le Liban, –un pays sans aviation ni marine, le plus petit pays arabe– a réussi néanmoins le considérable exploit, d’abroger un traité de paix avec Israël du fait d’un soulèvement de la population de Beyrouth, en 1985, doublant quinze ans plus tard, en 2000, son exploit en provoquant le retrait militaire israélien de son territoire sans négociation ni traité de paix, cas unique dans les annales des relations internationales. A ce titre, le Liban a valeur d’exemple de par sa fonction de curseur diplomatique régional. En fait, les Américains imposent un blocus illégal au Liban pour inciter la population libanaise à se révolter contre le Hezbollah en vue d’obtenir son désarmement.

Les Occidentaux ne semblent pas avoir pris la mesure de la volonté des peuples à vivre dans la dignité et leur détermination à préserver leur indépendance. Le Hezbollah libanais, les Houthistes du Yémen, le Hamas Palestinien tout comme le Jihad Islamique à Gaza, en apportent quotidiennement la preuve, préservant ainsi les chances de résurrection du Monde arabe.

René Naba

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l'AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l'information, membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme et de l'Association d'amitié euro-arabe. Auteur de "L'Arabie saoudite, un royaume des ténèbres" (Golias), "Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l'imaginaire français" (Harmattan), "Hariri, de père en fils, hommes d'affaires, premiers ministres (Harmattan), "Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David" (Bachari), "Média et Démocratie, la captation de l'imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l'Association d'amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Editorialiste Radio Galère 88.4 FM Marseille Emissions Harragas, tous les jeudis 16-16H30, émission briseuse de tabous. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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