Palestine : L’Europe aux abonnés absents

Palestine : L’Europe aux abonnés absents 1350 759 René Naba

Dernière mise à jour le 22 janvier 2024

Texte de l’intervention de René Naba au Colloque Palestine organisé par l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme (SIHR) sur le thème «l’Europe et la Palestine», tenu à Genève en deux sessions: le 14 octobre 2021 et le 30 avril 2022.


L’Europe aux abonnés absents.

Il m’incombe de traiter des rapports de l’Europe avec la Palestine. De tous les intervenants à ce colloque, ma tâche est la plus aisée. Le sujet se résume en un seul mot: L’Europe est aux abonnés absents.

Plus clairement, l’Union Européenne, qui figure parmi les grands contributeurs financiers des Palestiniens, est à l’écart du jeu diplomatique régional. Soit qu’elle le soit délibérément, considérant que le problème palestinien est source d’ennuis – et ceci est peu probable; Soit qu’elle ait été marginalisée. Ce qui est plus vraisemblable.

En fait l’Europe s’est exclue d’elle même par le lourd passif de son histoire: L’Allemagne est tétanisée par le nazisme; La France par la collaboration de Vichy avec le régime nazi et le Royaume Uni par la déclaration Balfour, le péché originel, à l’origine de tous les maux des Palestiniens.

En somme, l’Europe a fait usage du Monde arabe comme de son déversoir. Sa poubelle historique.

L’Allemagne est désormais un factotum inconditionnel d’Israël. La Grande Europe est désormais réduite à la fonction de “petit télégraphiste” convoyant les desiderata des Israéliens à leurs destinataires arabes. Ou les Oukazes des Etats Unis.

La France, elle, se distingue tout particulièrement dans ce domaine.

Certes, le Général de Gaulle s’est distingué sur ce sujet en ce qu’il tirait sa légitimité de sa qualité de chef de la France Libre n’ayant jamais pactisé avec l’Allemagne nazie et qu’il ne nourrissait de ce fait aucun complexe de culpabilité découlant de la collaboration vichyste.

A rebours de la classe politique française, le chef de la résistance française à l’occupation nazie, condamnera sans ambages le comportement d’Israël, en des termes qui demeureront gravés dans les mémoires:

«Israël ayant attaqué, s’est emparé, en six jours de combat, des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant, il organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour, il qualifie de terrorisme. »

«Les juifs, jusqu’alors dispersés, et qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, une fois qu’ils seraient rassemblés dans les sites de son ancienne grandeur, n’en viennent à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles: “l’an prochain à Jérusalem”, déclarera le Général de Gaulle dans sa conférence de presse du 27 Novembre 1967.

En contrechamps, le philosophe Jean Paul Sartre affichait sa crainte sur la sécurité d’Israël, nonobstant le fait que l’État hébreu occupait une superficie de pays arabes quatre fois supérieure à la totalité du territoire de la Palestine.

Il est une vérité d’évidence qu’il importe aux peuples du bassin méditerranéen de ne jamais négliger: Israël est l’unique puissance nucléaire du moyen orient et l’armée israélienne est la mieux équipée abondamment en armes et en argent par l’OTAN, particulièrement les États-Unis, quand bien même l’état hébreu fonctionne selon le régime d’apartheid, selon l’expression de l’ONG américaine Human Rights Watch.

Il incombe à tout européen doter d’un minimum de bon sens, plutôt que de brandir à tout bout de champ, en guise d’argument suprême, le «droit d’Israël à l’existence», de se préoccuper des moyens à mettre en œuvre pour faire cesser l’extermination des Palestiniens. Au sociocide du peuple palestinien

-Songer à la visite en catimini du président Emmanuel Macron, en pleine nuit, à Ramallah pour rencontrer le président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas…Comme si serrer la main d’un palestinien devenait un geste honteux.

Pour aller plus loin sur ce thème : https://www.renenaba.com/macron-en-israel-les-palestiniens-en-catimini-la-honte-de-la-france/

-Songer à la sérénade de François Hollande, un socialiste, entonnant dans la cuisine de Benyamin Netanyahu, un ultra faucon xénophobe et populiste, un hymne à la gloire d’Israël.

-Songer enfin à l’adoption d’une loi française assimilant la critique du sionisme à de l’antisémitisme, de même la criminalisation des campagnes du BDS (Boycott-Désinvestissement-Sanctions); comme si Israël devait bénéficier d’une impunité totale et absolue.

Au point que les dîners annuels du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) sont devenus un exercice de prosternation périodique du pouvoir français devant le judaïsme institutionnel.

Ainsi en 2019, année des élections européennes, l’Assemblée nationale française a adopté une proposition de résolution controversée contre l’antisémitisme, préconisant l’adoption de la définition de l’antisémitisme telle que formulée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), assimilant toute critique du sionisme comme une forme d’antisémitisme.

Manque de chance, l’adoption de cette loi a coïncidé avec la publication d’un rapport de l’organisation américaine  »Human Rights Watch», accusant Israël de se livrer à des «crimes d’apartheid».

Pour aller plus loin sur ce thème : https://www.middleeasteye.net/fr/entretiens/rony-brauman-les-declarations-demmanuel-macron-nourrissent-et-amplifient-lantisemitisme

En 2022, année de l’élection présidentielle française, Francis Kalifat, président du CRIF, mais néanmoins ancien membre du groupe d’extrême droite BETAR, a été promu à la dignité de Chevalier de la Légion d’Honneur, alors qu’en contrechamps, deux associations pro-palestiniennes, le «Collectif Palestine vaincra» et le «Comité Action Palestine», basées en France, ont été dissoutes sur décision du conseil des ministres, étant accusées d’appeler «à la haine, à la violence et à la discrimination».

Mais, par une cruelle ironie de l’Histoire, cette décision du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a été suspendue par le Conseil d’Etat, vendredi 30 avril 2022, coïncidant avec la célébration de la “Journée Internationale de Solidarité avec Jérusalem”, décrétée par le chef spirituel iranien l’Ayatollah Ruhollah Khomeiny et commémorée chaque année le dernier vendredi du mois de Ramadan.
En contre point, le scandale planétaire PEGASUS, l’espionnage opéré par le logiciel de la firme israélienne NSO, qui a visé près de 50.000 numéros français dont celui du président Emmanuel Macron, n’a fait l’objet d’aucun débat à l’Assemblée Nationale française, encore moins de mesures de rétorsion.

Un mutisme identique est observé à l’égard du journaliste franco-palestinien Salah Hammouri, régulièrement incarcéré par Israël dans l’indifférence quasi générale des pouvoirs publics en France.
Il en a été de même de l’assassinat par l’armée israélienne de la journaliste palestino-américaine, Shireen Abu Akleh, à proximité du camp de refugiés palestiniens de Jenine (Cisjordanie), portant à 55 le nombre de journalistes palestiniens tués par les forces d’occupation depuis l’an 2.000.

Pour aller plus loin sur ce thème, cf ce lien: Charles Enderlin: Pour la France, Israël est un Vatican Juif : https://charlesenderlin.com/2021/10/23/sur-zemmour-les-juifs-la-droite-et-israel-mon-itw-au-point-en-2020/

L’Europe est tétanisée par le fait juif et sa responsabilité particulière à l’égard des massacres commis à l’encontre de leurs compatriotes de confession juive.

Au XX me siècle, l’Europe figurait en tête des continents dans les cinq domaines qui conditionnent, stratégiquement, la puissance (scientifique, politique, militaire, économique et culturel). Un siècle plus tard, au XXI ème siècle, l’Europe est reléguée au 3eme rang dépassée par l’Asie (Chine, Inde, Japon) et l’Amérique (les États Unis), sanction de ses turpitudes.

Quiconque en Europe dispose d’un minimum de sagesse devrait songer à inverser l’équation en ce que les paramètres de sortie de l’impasse et de l’opprobre sont pourtant claires:

  1. Le droit à la sécurité d’Israël ne doit pas se traduire par un devoir d’insécurité des pays arabes.
  2. L’amour éperdue pour les Israéliens et les Juifs, en général, ne doit pas se traduire par une haine immodérée à l’égard des Arabes et des Musulmans.
  3. La compensation sur bien d’autrui constitue une perversion triangulaire, dont tous les protagonistes en sont les grands perdants………..Une règle cardinale en psychiatrie.

La déclaration Balfour, une étude de la duplicité britannique : https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/la-declaration-balfour-etude-de-la-duplicite-britannique

Le soutien inconditionnel des Occidentaux: une assistance au suicide?

Depuis la création d’Israël, les États Unis ont fait usage systématique du Droit de veto en faveur de l’État hébreu. Cinquante trois pour cent (53 %) des veto américains ont bloqué une résolution concernant Israël.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, Israël a été globalement le plus grand bénéficiaire de l’aide étrangère américaine. L’assistance militaire américaine à Israël depuis 1948 s’est élevée à 142,3 milliards de dollars (hors inflation), selon les estimations du Congressional Research Service. Soit l’équivalent du total cumulé de cinq budgets français annuels de la défense.

Jamais dans l’histoire de l’humanité, une superpuissance de 310 millions d’habitants n’est apparue aussi complètement inféodée à un petit pays de sept millions d’individus.
Jamais dans l’histoire, un pays au PIB annuel de l’ordre de 200 milliards de dollars, n’a autant imposé sa volonté à une superpuissance pesant 14. 510 milliards de dollars de PIB annuel. En vain.
Pour mémoire, le sionisme chrétien américain (40 millions de personnes) a été le principal bailleur de fonds de la colonisation israélienne de la Palestine, infiniment plus que le lobby juif américain.
Au point que le militant de la paix israélien Uri Avnery a estimé un jour que le soutien américain à Israël relève de «l’assistance au suicide» alors que l’«Unique démocratie du Moyen-Orient» est accusée par l’ONG américaine Human Rights Watch, 75 ans après sa naissance, de se livrer à des «crimes d’apartheid».

Des Arabes

Sous peine de suicide, un arabe ne saurait, en aucun cas, être le partenaire des principaux protecteurs d’Israël: L’Europe et les États Unis. Le Monde arabe paie le prix des turpitudes occidentales, particulièrement européennes.
Mais cela n’empêche pas les pays arabes, dans leur grande majorité, de ramper devant les protecteurs d’Israël et les garants de son impunité.

Qu’elle est loin la Déclaration de Venise de 1980 sur les Droits des Palestiniens. Loin, les accords d’Oslo de 1993 qui devait ouvrir la voie à la création d’un bantoustan palestinien, pour solde de tout compte.

A qui la faute? Au-delà des Occidentaux, le courage nous commande d’avouer nos manquements.

De la diaspora palestinienne

La diaspora palestinienne a joué un rôle essentiel dans la préservation de l’identité palestinienne; un rôle fondamental dans le déclenchement de la lutte armée palestinienne en ce que les principaux dirigeants du Fatah, la principale formation palestinienne, –son chef Yasser Arafat, Salah Khalaf, le chef des services de renseignements, de même que Khaled Al-Hassan, le ministre de l’intérieur de l’OLP– vivaient en exil au Koweït.

L’artiste koweïtien Maitham Abdal travaille sur une sculpture nommée « Cuillère de la liberté », en l’honneur des prisonniers palestiniens qui auraient utilisé une cuillère pour creuser un tunnel d’où ils se sont évadés d’une prison israélienne à sécurité maximale, dans son atelier à Koweït City le 13 septembre 2021. YASSER AL-ZAYYAT / AFP

En dépit de l’éradication de certains des principaux camps de réfugiés palestiniens en Irak, au Liban (Dbayeh, La Quarantaine, Tall El Zaatar), la quasi destruction du grand palestinien Al Yarmouk (banlieue de Damas) sur une base sectaire religieuse, la diaposra palestinienne, estimée à 10 millions de personnes, soit autant que la population israélienne, demeure la principale force intellectuelle, économique et sociale du peuple palestinien. Son dynamisme et sa créativité peuvent servir de tremplin pour la renaissance de la cause palestinienne et révigorer le combat pour la restauration des droits nationaux du peuple palestinien.

Or, paradoxalement, la diaspora palestinienne est faiblement représentée dans les instances représentatives palestiniennes et les organes décisionnaires. De surcroît, à l’écart des querelles des guéguerres inter-palestiniennes. Une faille à remédier. Un atout à ne pas négliger.

Oslo a brisé la colonne vertébrale du combat palestinien et fait perdre à la centralité de la cause palestinienne sa raison d’être. Oslo a constitué un cadeau inestimable au mouvement sioniste.

Un cadeau gratuit particulièrement dommageable à la cause palestinienne, d’une importance égale à la Promesse Balfour (1916), à l’attribution du mandat britannique sur la Palestine (1920) et au plan de partage de l’ONU (1947).

L’OLP passera dans l’histoire pour avoir été l’unique mouvement de Libération Nationale à avoir répudié la guérilla pour la réalisation de ses objectifs nationaux. Triste privilège.

Pour aller plus plus sur ce thème :

L‘Autorité Palestinienne est ainsi devenue un fardeau pour le peuple palestinien.

Des pétromonarchies qui se livrent à une reptation collective devant un état considéré il y a peu comme l’usurpateur de la Palestine…. Pis, un président de l’Autorité palestinienne qui collabore avec la puissance occupante de son territoire pour juguler toute forme de résistance. Qu’on se le dise, que cela soit proclamé haut et fort: Le soutien accordé à la cause palestinienne constitue le marqueur de la profondeur d’un engagement à gauche: anticolonialiste, respect du Droit international et des décisions de l’ONU.

«Il existe quelqu’un de pire qu’un bourreau, son valet». Honoré-Gabriel Mirabeau.

L’histoire se venge de ceux qui l’insultent. L’histoire est impitoyable avec les perdants.

Pour aller plus loin sur ce thème :

Centenaire de la déclaration Balfour, la Palestine cent ans après

Le Lobby pro israélien au sein de l’Union européenne. Un dossier en trois volets

Illustration

Une personne brandit une cuillère, qui aurait été l’outil de creusement utilisé par six prisonniers palestiniens qui se sont évadés de la prison israélienne de Gilboa, lors d’un rassemblement devant la mosquée du Dôme du Rocher après les prières du vendredi dans le complexe de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem, le 10 septembre, 2021. AHMAD GHARABLI / AFP

Encadré : La route du Za’atar

Version arabe

René Naba

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l'AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l'information, membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme et de l'Association d'amitié euro-arabe. Auteur de "L'Arabie saoudite, un royaume des ténèbres" (Golias), "Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l'imaginaire français" (Harmattan), "Hariri, de père en fils, hommes d'affaires, premiers ministres (Harmattan), "Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David" (Bachari), "Média et Démocratie, la captation de l'imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l'Association d'amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Editorialiste Radio Galère 88.4 FM Marseille Emissions Harragas, tous les jeudis 16-16H30, émission briseuse de tabous. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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