Oslo a brisé la colonne vertébrale du combat palestinien.
De l’effondrement du Monde arabe ou Comment les Arabes sont sortis de l’Histoire.
1 – Oslo a brisé la colonne vertébrale du combat palestinien et fait perdre à la centralité de la cause palestinienne sa raison d’être. Oslo a constitué un cadeau inestimable au mouvement sioniste. Un cadeau gratuit particulièrement dommageable à la cause palestinienne, d’une importance égale à la Promesse Balfour (1916), à l’attribution du mandat britannique sur la Palestine (1920) et au plan de partage de l’ONU (1947).
2 – Les médias sociaux ont été érigés en mode d’expression suprême, donnant à un digitaliste l’illusion que l’envoi d’un tweet a davantage de force qu’une manifestation de protestation devant une ambassade au point que l’activisme digitaliste a eu un effet soporifique sur la population pour devenir le substitut absolu à toute forme de contestation, quand bien même les réseaux sociaux compensent largement la censure en vigueur dans la quasi totalité des pays arabes.
Le politologue américano-libanais Assad Abou Khalil, professeur associé à l’Université de Berkeley (Californie), et l’universitaire palestinien Issam An Naqib ont engagé, via le quotidien libanais Al Akhbar, un débat, sans concessions, sur un des sujets de la plus grande actualité de l’époque contemporaine, mais des plus douloureux pour les Arabes, portant sur l’effacement du Monde arabe de la scène internationale, autrement dit plus brutalement, selon l’intitulé du débat, «Comment les arabes contemporains sont sortis de l’histoire».
Assad Abou Khalil, par ailleurs chroniqueur au quotidien libanais, soutient que le Monde arabe est en phase de coma politique en ce que les Arabes ont démissionné de l’Histoire, alors qu’ils étaient au centre l’actualité sous la présidence du chef de l’état égyptien Gamal Abel Nasser, chef du mouvement Nationaliste Arabe et artisan de la première nationalisation réussie du tiers-monde, le Canal de Suez, en 1956.
-«A l’époque, les grandes puissances tenaient grand compte de l’avis des peuples arabes, particulièrement de l’avis de Nasser et les peuples arabes n’hésitaient pas à exprimer violemment leur hostilité à toute décision qu’ils jugeaient contraires aux intérêts du Monde arabe, à coups de manifestation ou de sit-in devant les ambassades en autant d’expression de la violence politique. Tout cela a disparu. Depuis lors, plus personne ne prend la peine de solliciter l’avis des Arabes ou de leur gouvernement», écrit notamment M. Abou Khalil.
-«Dans les chancelleries occidentales, les arabisants ne cherchent même plus à s’opposer aux sionistes afin de faire valoir les intérêts de leur pays à entretenir de bonnes relations avec les pays arabes. Plus rien de tout cela n’existe», ajoute l’universitaire libano-américain, qui fait la description suivante:
-«Le lobby sioniste a réussi à exercer son emprise sur les circuits de décision de la politique étrangère des États Unis, du Royaume Uni, du Canada, d’une manière générale du Monde occidental.
-«Les pays arabes (Liban, Syrie, Palestine, Irak, Yémen, Libye) vivent dans une situation catastrophique, sans pareille dans l’histoire, en phase de déséquilibre et d’abattement.
-«Les médias sociaux ont été érigés en mode d’expression suprême, donnant à un digitaliste l’illusion que l’envoi d’un tweet a davantage de force qu’une manifestation de protestation devant une ambassade au point que l’activisme digitaliste a eu un effet soporifique sur la population pour devenir le substitut absolu à toute forme de contestation, quand bien même les réseaux sociaux compensent largement la censure en vigueur dans la quasi totalité des pays arabes.
-L’extrême pauvreté de la population constitue un deuxième motif de démobilisation, qui mène une lutte quotidienne pour sa survie.
-Le divertissement ou plutôt l’information divertissante plus connue sous le vocable anglais d’infotainment. Une politique fortement suggérée par les États Unis aux pétromonarchies afin de détourner l’opinion arabe de la cause palestinienne. Les pétrodollars du Golfe se sont assurés la loyauté, voire même la servilité de d’un grand nombre de journaux et de journalistes.
-La répression et la censure: En vigueur dans les pays arabes, tant dans les monarchies (Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats Arabes Unis, Jordanie, Koweït, Maroc, Sultanat d’Oman, Qatar) que dans les pays à structure républicaine mais gouvernés par une bureaucratie militaire (Égypte, Syrie, Irak, Libye, Soudan, Yémen, Algérie), la censure a banni toute pensée dissidente et aseptisé le débat public de toute pensée critique, contribuant grandement à la régression arabe.
Ainsi, à titre d’exemple, les Émirats Arabes Unis font régner l’ordre et la loi avec une poigne de fer, muselant toute opposition. L’alliance des deux chefs de file de la contre révolution arabe, le prince héritier saoudien Mohamad Ben Salmane et son homologue d’Abou Dhabi, Mohamad Ben Zayed, désormais souverain et président de la Fédération, a débouché sur une normalisation d’Abou Dhabi avec Israël et une coopération corrélative entre les services de sécurité des Émirats et le Mossad, conséquence de la régression du Monde arabe.
Les accords israélo-palestiniens d’Oslo.
Pour sa part, M. Issam Al Naqib relève les points suivants:
«Les accords israélo-palestiniens d’Oslo, signé le 13 octobre 1993 en Norvège, posent les premiers jalons d’une résolution du conflit israélo-palestinien prévoyant une période d’autonomie transitoire n’excédant pas cinq ans, en vue d’un règlement permanent fondé sur les résolutions 242 (1967) et 338 (1973) du Conseil de sécurité.
«L’adhésion de Yasser Arafat au processus d’Oslo, en renonçant à la lutte armée, a amputé le combat palestinien de son principal outil de combat et fait perdre à la Palestine sa qualité de cause centrale du combat de libération arabe.
«Oslo a constitué un cadeau inestimable au mouvement sioniste. Un cadeau gratuit particulièrement dommageable à la cause palestinienne, d’une importance égale à la Promesse Balfour (1916), à l’attribution du mandat britannique sur la Palestine (1920) et au plan de partage de l’ONU (1947).
«Si Balfour, le mandat britannique et le plan de partage ont été le fait de décisions imposées par les puissances coloniales auxquelles le peuple palestinien ne pouvait s’opposer, Oslo est une renonciation opérée par la direction historique de l’OLP, sans consultation du peuple palestinien.
«Oslo a appris aux peuples arabes de ne jamais confier le pouvoir à des dirigeants qui ne soient pas issus du peuple et soumis à son contrôle permanent.
Pour aller plus loin sur ce thème, cf:
- https://www.madaniya.info/2021/06/05/egypte-le-legs-de-nasser-comment-le-chef-est-tombe-dans-le-piege-qui-lui-a-ete-tendu/
- https://www.madaniya.info/2017/06/06/etude-critique-d-un-ancien-dirigeant-baasiste-syrien-guerre-de-juin-1967-a-l-occasion-de-commemoration-de-la-defaite-arabe/
- https://www.madaniya.info/2017/10/16/les-deux-fautes-strategiques-majeures-du-mouvement-national-palestinien/
Épilogue
Par trois fois en un siècle, le Monde arabe a perdu la bataille de la modernité et du décollage économique, perpétuant durablement sa sujétion.
- Au XIX me siècle, sous Mohamad Ali, à l’époque de l’essor de l’industrie manufacturière.
- Au moment de l’indépendance des pays arabes, à l’époque de la guerre froide soviéto-américaine et des conflits inter-arabes subséquents à l’instrumentalisation de l’Islam comme arme de combat contre le nationalisme arabe.
- Pendant le dernier quart du XX me siècle, à la faveur du boom pétrolier qui transforma précocement bon nombre de jeunes pétromonarchies en «état rentier» dispendieux.
Au seuil du XXIe siècle, aucun État arabe n’a encore rejoint le club des nouveaux pays industriels émergents du Tiers-monde.
Longtemps pourvoyeur dociles des besoins énergétiques des économies occidentales et de facilités militaires aux armées anglo-saxonnes, les États arabes sont désormais pris en tenaille par la crainte d’un double syndrome, le syndrome de la démocratisation forcée et le syndrome de radicalisation islamiste.
A l’image du Monde arabe, la confrérie des Frères Musulmans, a, par trois fois, raté sa course vers le pouvoir, la première fois, sous la Monarchie, la deuxième fois, sous Gamal Abdel Nasser, en 1953, la troisième fois, sous Abdel Fattah Sissi, son successeur militaire, en 2013, soixante ans plus tard, le ratage le plus douloureux en ce qu’il a été le fait de l’Arabie saoudite, son incubateur absolu pendant près d’un demi-siècle. En 86 ans d’existence, malgré revers et déboires, souvent de son fait et du fait de ses alliés, la plus importante et la plus ancienne formation trans-arabe, fondée en 1928, paraît laminée en ce qu’elle n’a jamais conçu un projet de société autre que la propulsion de l’interdit comme mode de gouvernement, corrélativement à l’enfouissement du corps et surtout de l’esprit.
Plutôt que de veiller au dépassement des clivages ethnico religieux, les avatars de l’ère Mohamad Morsi en Égypte ont déblayé la voie à la proclamation d’un califat nouveau, sur les rives de l’Euphrate et de la Mésopotamie, faisant planer le risque d’anéantissement de l’unique mouvement de résistance nationale sunnite du Monde arabe, qui plus est de sensibilité des Frères Musulmans, le Hamas, miraculeusement rescapé de l’enfer israélien par la bravoure des défenseurs de Gaza et le soutien exclusif des renégats de l’Islam – l’Iran la Syrie et le Hezbollah – le plus important camouflet infligé à la sphère sunnite.
Principal vecteur d’accompagnement de la stratégie américaine en vue de la soumission du Monde arabe à l’ordre atlantiste, la confrérie, aura été, de surcroît, la matrice de la totalité des déclinaisons dégénératives du djihadisme planétaire d’Al Qaïda à Daech.
Fonctionnant selon un mode opératoire unique fondé sur l’articulation de l’international sur le local, la source exclusive de son impulsion, -particulièrement leur articulation sur le camp pro occidental au Liban, notamment les phalangistes, les milices chrétiennes libanaises-, ainsi que de leur propagande outrancièrement fantaisiste, à l’origine de leur discrédit durable, la connivence souterraine de la confrérie sur le plan opérationnel avec les groupements takfiristes, lors de la bataille de Syrie (2011-2014), a frappé de caducité le discours novateur de son programme politique en ce que sa duplicité en le dévoilant, l’a dévoyé, le fourvoyant face à son ultime excroissance pathologique.
Par leurs errances et leurs déviances, sur fond de démagogie inépuisable, les Frères Musulmans auront affligé le Monde arabe d’un handicap aussi lourd que les adversaires dont ils se voulaient le substitut.
L’histoire retiendra que les Frères Musulmans auront été poignardés par un État se réclamant de la même religiosité rigoriste qu’eux, et non par des nationalistes républicains qu’ils ont éperdument combattu.
L’histoire retiendra aussi que les Frères Musulmans auront été les plus parfaits idiots utiles de la stratégie atlantiste dans l’espace arabe, au détriment de leur propre cause et de la cause de l’Islam qu’ils sont supposés promouvoir.
Mohamad Morsi, premier président néo-islamiste démocratiquement élu du plus grand pays arabe, l’Égypte, auparavant accrédité sécurité nationale américaine pour le compte de la NASA, c’est à dire un homme qui prône l’Islam comme référence absolue, son univers indépassable, qui consent néanmoins à prêter serment de loyauté et de fidélité aux États Unis; Bourhane Ghalioune, salarié français de l’administration française, premier président de l’opposition off shore syrienne, de même que sa porte-parole, Basma Kodmani…, Akila, la secrétaire particulière de Tareq Aziz, ancien ministre irakien des Affaires étrangères pendant trente ans, qui convole avec le naufrageur de l’Irak, Paul Bremer, sans la moindre requête en grâce pour son ancien mentor en longue détention et cancéreux;
Une dame de la grande bourgeoisie libyenne en positionnement embedded avec Paul Wolfowitz, le naufrageur du Moyen orient pour le compte d’Israël…. La caste intellectuelle arabe de la diaspora occidentale pâtit lourdement d’un phénomène de désorientation, la marque typique de l’acculturation, sur fond d’une décompression psychologique et d’une déperdition intellectuelle morale. Un naufrage humain.
La personnalisation du pouvoir ne saurait, à elle seule, servir de panacées à tous les maux de la société arabe, ni la déclamation tenir lieu de substitut à l’impérieuse nécessité d’une maîtrise de la complexité de la modernité. Ce qui implique une nécessaire mais salutaire remise en cause de la «culture de gouvernement» dans les pays arabes. Ce qui présuppose pour le pouvoir une refonte de ses pratiques, «une révolution dans la sphère culturelle», au sens où l’entend Jacques Berque, c’est à dire «l’action d’une société quand elle se cherche un sens et une expression».
Pour l’intellectuel, un réinvestissement du champ du débat par sa contribution à la production des valeurs et au développement de l’esprit critique. Pour le citoyen, la conquête de nouveaux espaces de liberté. Pour le Monde arabe, la prise en compte de ses diverses composantes, notamment ses minorités culturelles et religieuses, et, surtout, dernière et non la moindre des conditions, le dépassement de ses divisions. En un mot, une rupture avec la fatalité du déclin.
La plus grande erreur de l’Occident est d’avoir toujours voulu coexister avec des «Arabes domestiqués» dans la plus grande tradition coloniale. De Nasser, comme auparavant Mohammad Mossadegh en Iran, en 1953, l’Occident a réagi à l’émergence de dirigeants nationalistes arabes ou musulmans par leur diabolisation, débouchant sur une radicalisation du combat.
Nasser comme Arafat ont été comparés à Hitler, et, par mouvement symétrique, le nationalisme a cédé la place à l’islamisme, Nasser à Oussama Ben Laden, Mossadegh à l’Imam Khomeiny, guide suprême de la révolution islamique iranienne, Arafat au Hamas et au Jihad islamique et les fedayines, ces combattants palestiniens politisés, aux volontaires de la mort, ces désespérés d’une vie sublimée par le sacrifice dans la croyance en une foi idéologisée.
Sauf à se résoudre à un déclin irrémédiable, les pays arabes ne sauraient faire l’économie d’une réflexion approfondie de leur approche stratégique des défis du monde contemporain, car le plus grand danger qui guette le Monde arabe au XXIème siècle sera, non la modernité, mais l’artifice de la modernité, l’amalgame entre modernité et archaïsme, et, sous couvert de synthèse, de mettre la modernité au service de l’archaïsme, mettre une technologie du XXI me siècle au service d’une idéologie passéiste pour le plus grand bénéfice des équipes dirigeantes, avec en prime le risque probable d’une plus grande régression arabe.
Sauf à entraîner le Monde arabe dans un déclin irrémédiable, une claire rupture avec la logique de la vassalité s’impose, alors que la scène internationale s’achemine vers un choc entre le leader en devenir (la Chine) et la puissance déclinante (les États-Unis), impliquant une vaste redistribution des cartes géopolitiques à l’échelle planétaire.
L’histoire du Monde arabe abonde de ces exemples de “fusibles” magnifiés dans le “martyr”, victimes sacrificielles d’une politique de puissance dont ils auront été, les partenaires jamais, les exécutants fidèles, toujours. Dans les périodes de bouleversement géostratégique, les dépassements de seuil ne sauraient se franchir dans le monde arabe sans déclencher des répliques punitives.
Le Roi Abdallah 1er de Jordanie, assassiné en 1948, le premier ministre irakien Noury Saïd, lynché par la population 10 ans après à Bagdad, en 1958, ainsi que son compère jordanien Wasfi Tall, tué en 1971, le président égyptien Anouar Al-Sadate en 1981, le président libanais Bachir Gemayel, dynamité à la veille de sa prise du pouvoir en 1982; de même que comme l’ancien premier ministre libano-saoudien Rafic Hariri, chef du clan saoudo américain au Liban, en 2005, et l’ancien premier ministre du Pakistan Benazir Bhutto en 2007.
Tous ces dirigeants morts en pleine gloire constituent à cet égard les plus illustres témoins posthumes de cette règle non écrite des lois de la polémologie si particulière du Moyen-Orient. Tel pourrait être l’enseignement majeur de cette séquence dont la victime principale aura été l’espérance.
Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui ruse avec ces principes est une civilisation moribonde (Aimé Césaire).
La version arabe sur ces trois liens:
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