Dernière mise à jour le 25 décembre 2023
Ci-joint in Memoriam un panorama des temps heureux de l’Irak, un papier daté de 1974, soit un papier vieux de 49 ans avec en additif, en fin de texte, une note de réactualisation.
Panorama de l’Irak des temps heureux.
René Naba/ 13 Décembre/AFP 1974 – Beyrouth
L’Irak : Un vieux monde en mutation
Grâce au pétrole, sa «manne» contemporaine, l’antique Mésopotamie -tel un phœnix- renaît de ses cendres. Disposant de ressources abondantes et variées et d’une structure socio-économique qui ne présente pas de déséquilibres majeurs, l’Irak, pays privilégié, est résolument engagé, sous la direction du parti Baas, dans la voie d’un développement économique intégral et d’une expansion harmonieuse.
L’Irak, un pays privilégié
Contrairement à ses voisins du désert arabique (notamment l’Arabie Saoudite et le Koweït), l’Irak dispose tout à la fois du pétrole, certes, mais aussi de l’eau, de la terre et des hommes. Avec un territoire aussi vaste que la France (445000 km 2) le pays d’«Al Rafidain» -le pays des deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate- est, après l’Égypte, l’état arabe du Moyen orient le plus important par le nombre de ses habitants : dix millions. Juste assez pour ne pas connaître les difficultés démographiques que rencontrent, par exemple, les états de la vallée du Nil. L’exiguïté du marché national est compensée par l’existence d’un marché potentiel dans «l’hinterland asiatique».
Pays continental, il a un débouché maritime: le Golfe arabo-persique, puis au-delà, l’océan indien et l’Afrique orientale. Enfin, dernier mais non le moindre de ses atouts: le pétrole. Des réserves de brut s’élevant à 29 milliards de barils (4,3 pour cent des réserves mondiales).
Des réserves prouvées de gaz de l’ordre de 25 milliards de pieds cubes (1.32 pour cent des réserves mondiales). Six milliards de dollars de recettes pour l’année 1974, chiffre cinq fois supérieur à celui de 1973.
Un développement économique intégré
L’utilisation de ces fonds est déjà prévue par le plan quinquennal de développement. Ambitieux plan qui tend à réaliser un équilibre entre les divers secteurs économiques.
La priorité demeure toutefois aux industries pétrochimiques. Maître de ses ressources énergétiques et des installations annexes depuis qu’il a nationalisé en juin 1972 les avoirs de l’«Iraq Petroleum Company», l’Irak entend développer ce secteur dans les conditions optimales recourant pour ce faire aux concours les plus divers (France, URSS…).
La firme française «Creusot-Loire» doit construire un complexe pétrochimique à Bassorah d’une valeur de 3,5 milliards de francs et «Pechiney» une fonderie d’aluminium de 800 millions de francs. Une nouvelle raffinerie, la 7ème, va être édifiée prochainement à Mossoul avec la collaboration des Soviétiques.
De nombreux projets industriels et d’infrastructure sont également envisagés : construction de deux oléoducs.
L’un reliant le sud de l’Irak (Roumeillah) à la Méditerranée via la Syrie et l’autre le nord de l’Irak (Kirkouk) à Iskenderun (Turquie), construction aussi d’une voie ferrée de 400 km de long reliant Bagdad à la frontière syrienne et d’une liaison ferroviaire entre l’Irak et la Turquie.
Dans le but de réduire les importations et de diminuer la part du secteur minier et pétrolier dans le revenu national, le plan prévoit en outre la construction de nouvelles industries (pêcherie, caoutchouc) et le développement de la production des industries existantes : les cimenteries produiront sept millions de tonnes par an en 1980, les sucreries un million de tonnes, et les usines de textiles, 50 millions de mètres carrés de tissus.
Nourrir les Arabes du Golfe à l’Océan
Sur le plan agricole, les Irakiens, premiers producteurs de dattes du monde, caressent le secret espoir de «nourrir les arabes de Golfe à l’océan».
Les responsables du pays se sont lancés dans un vaste programme de promotion des provinces rurales : six milliards de dollars seront investis en cinq ans pour relever le niveau de vie des paysans et accroître considérablement la production agricole. Sur cette somme, 2,5 milliards de dollars seront affectés au développement de la production animale et 250 millions pour l’achat d’équipements agricoles mécanisés.
D’importants projets d’infrastructures agricoles sont en cours de réalisation. Un canal de 37 kms de long- et deux fois plus profond que celui de Suez-doit relier la dépression du «Tharthar» à l’Euphrate. Il permettra ainsi d’irriguer de vastes superficies du bassin mésopotamien où la végétation a disparu depuis des siècles en raison de la salinité excessive du sol. La mise en valeur de 400.000 hectares dans le nord de l’Irak est également envisagée.
Le projet qui nécessite un investissement de dix milliards de francs pourrait être confié à la France.
Les investissements sociaux ne sont pas non plus négligés. Une «cité médicale», ensemble hospitalier, a été construite à Bagdad et un grand hôpital d’une capacité de 1600 lits doit être prochainement édifié dans cette ville.
Le projet d’une valeur de 1,5 milliards de francs pourrait être réalisé par la France. Une cité industrielle en voie de construction à Iskandariyah (près de Bagdad) abritera 125.000 ouvriers et leur famille. Ce projet qui sera achevé en 1980 contribuera à résoudre le problème de l’exode de la main d’œuvre vers la capitale et attirera les ouvriers de l’Euphrate moyen.
Enfin 19 villages ont été construits dans la région d’Al Anbar (secteur occidental de l’Irak) et 22 autres le seront prochainement en application du programme de sédentarisation des nomades. Parallèlement à ces investissements, un effort est fait pour mettre à la disposition de la population des biens de consommation (automobiles, appareils électro ménagers).
Le parti Baas et la question kurde
Le maître d’œuvre de la renaissance irakienne est le parti «Baas» (parti de la résurrection)- musclé et entreprenant- et son chef réel, Saddam Hussein, au pouvoir depuis 1968, un «homme d’état d’une qualité exceptionnelle», selon l’expression de Jacques Chirac premier ministre français, qui s’est récemment entretenu avec lui à Bagdad pendant six heures.
Dans le pays de la Tour de Babel, le parti Baas- mu par un «pan-arabisme socialisant», se veut la synthèse de toutes les minorités ethnico-religieuses qui peuplent ce pays: Arabes (musulmans sunnites ou chiites), Kurdes, Turkmènes, Arméniens, Circassiens, chrétiens orientaux (Assyriens, Chaldéens, Jacobites, Monophysites, Orthodoxes, Melkites).Enfin Sabéens ou Mandaites au culte intermédiaire entre l’Islam et le Christianisme. Ils bénéficient tous d’une autonomie culturelle et des droits politiques qu’ils doivent exercer «dans le cadre de la République irakienne».
L’euphémisme exclut le droit à la sécession que revendiquent des dirigeants de la plus importante minorité de la mosaïque irakienne: les Kurdes. L’autonomie politique leur est reconnue dans les régions du nord de l’Irak où ils sont prédominants. Ils disposent d’une autorité exécutive et d’une assemblée dont les compétences s’étendent à tous les domaines à l’exception de la diplomatie, la défense nationale et les questions financières et monétaires.
Cependant une rébellion kurde, dirigée par le mollah Moustapha Barzani, se maintient dans les zones montagneuses frontalières de l’Iran. L’armée irakienne, fortement équipée par les soviétiques, s’emploie à maintenir les villes pétrolières de Kirkouk et de Mossoul à l’abri des tirs des maquisards barzanistes. La persistance de cette rébellion, estime-t-on généralement, dépend dans une large mesure du soutien que sera disposé à lui accorder le Chah d’Iran qu’un conflit frontalier et des divergences idéologiques opposent au régime baasiste d’Irak.
La question kurde réglée, de nouvelles énergies pourraient être libérées et une expansion harmonieuse du pays assurée.
Cauda
Sous l’égide du parti Baas, qui a gouverné le pays pendant 35 ans, l’Irak a connu une courte période faste, de 1969 à 1978, période durant laquelle la nationalisation de la firme pétrolière britannique l’Iraq Petroleum Cy (IPC), la terreur des gouvernements irakiens depuis son installation en Irak dans la décennie 1920, de même que le quadruplement du prix du pétrole dans la foulée de la guerre d’octobre 1973 ont propulsé le pays au-devant de la scène régionale et ses dirigeants, notamment Saddam Hussein, au pinacle de la popularité au sein des pays du tiers monde,
Saddam Hussein deviendra alors l’interlocuteur obligé des décideurs occidentaux. L’euphorie sera de courte durée: neuf ans. Grisé par le pouvoir, Saddam Hussein mu par un sentiment de prépotence s’engagera dans une spirale infernale de violence.
Au terme d’une guerre de dix ans contre l’Iran (1979-1989), de l’invasion de son petit voisin koweïtien (1990), suivi d’une réplique occidental matérialisée par un embargo international de 13 ans et d’une double intervention saoudo américaine en 1990, en réplique à l’invasion du Koweït, et en 2003 en substitution au châtiment de l’Arabie saoudite, dont 14 nationaux sur les 19 constituaient l’équipe des pirates de l’Air ayant projeté les 3 avions de lignes américaines contre les symboles de l’hyperpuissance américaine, le Pentagone et les deux tours jumelles du World Trade Center.
La mégalomanie incompressible de Saddam Hussein le mènera à sa pendaison et son pays sera réduit à l’état de pierre, en en faisant «le pays des veuves».
Le Parti Baas irakien passera, lui,sans coup férir, de parangon de la laïcité à l’une des composantes majeures de l’État Islamique, en fait son ossature militaire.
Plutôt que d’opposer un front idéologique commun avec leurs frères baasistes syriens, les baasistes irakiens ont rallié leur ancien bourreau saoudien, la caution arabe et musulmane de l’invasion américaine de l’Irak, abandonnant à son sort le pouvoir syrien, qui fut leur plus ferme soutien dans la guérilla antiaméricaine en Irak, s’attirant à ce titre les foudres de Washington par la «Syrian Accountability Act», en 2002.
Fruit de la copulation ancillaire entre Al Qaida et d’anciens dirigeants baasistes happés par la tentation d’un alignement sectaire, le commandement de l’ISIS, dont l’acronyme en arabe est Da’ech, est exclusivement irakien.
Autour du noyau central se sont greffés des membres des tribus sunnites d‘Irak lésés par la disparition de Saddam Hussein, de concert avec des Frères Musulmans irakiens, des Nachkabandistes, une secte minoritaire du sunnisme dont se réclame Izzat Ibrahim Ad Doury, ancien vice-président du Conseil de la révolution irakienne et successeur de Saddam Hussein à la tête de la guérilla anti américaine en Irakien.
Une structure hétéroclite, scellée par une alliance contre nature entre ce même Izzat Ad Doury, surnommé «le rouquin» pour sa pigmentation, et son ancien bourreau, le Prince saoudien Bandar Ben Sultan, un des artisans de la destruction de l’Irak et des assises du pouvoir baasiste sunnite dans ce pays. Une alliance scellée, paradoxalement, en vue de restaurer le primat sunnite à Bagdad, dans l’ancienne capitale abbasside.
Une démarche qui révèle la fragilité des convictions idéologiques des dirigeants arabes. Une insulte à la mémoire des nombreux morts d’Irak et du Monde arabe.
Le surgissement de l’État Islamique en Irak et son existence éphémère (2014-2017) a eu pour première conséquence le retour en force des états Unis dans ce pays qu’ils avaient quitté piteusement 5 ans plus tôt, une percée correspondante de l’Iran dans ce pays limitrophe des monarchies pétrolières, en superposition à des destructions supplémentaires incommensurables du pays, jadis à la pointe du Monde arabe.
L’opposition irakienne
a- Ahmad Chalabi, banquier en faillite promu chef nominal de l’opposition irakienne pour servir de paravent de l’OTAN à la déstabilisation du régime baasiste, sera rejeté par ses employeurs américains après avoir servi d’alibi à l’invasion de l‘Irak, exclu, une fois son sale boulot accompli, de la recomposition politique du pouvoir en Irak post invasion américaine.
Il mourra quelques années plus tard dans l’anonymat le plus complet, laissant à la postérité une pathologie médiatique connue sous le nom de «Syndrome Ahmad Chalabi», du nom de ce transfuge irakien qui avait alimenté la presse américaine des informations fallacieuses sur l’arsenal irakien, via sa nièce journaliste en poste dans l’une des principautés du golfe, qui le répercutait à sa supérieure, la journaliste Judith Miller, la journaliste vedette du New York Times, Judith Miller.
Un fonctionnement réticulaire qui se manifestera à nouveau dans la guerre de Syrie, 7 ans plus tard, avec le tandem Kodmani, les sœurs Basma et Hala, fonctionnant en osmose Basma, porte-parole de l’opposition off shore pétro monarchique et Hala, chargée de la rubrique Moyen orient au journal Libération. En pure perte. Errare Humanum Est.
https://www.madaniya.info/2016/02/01/la-controverse-a-propos-de-basma-kodmani/
b- Rafed Al Janabi: L’officier irakien qui a vendu aux Américains un photo montage de sa fabrication sur la prétendue présence d’armes de destruction massives en Irak, sera exfiltré d’Irak. Il finira sa vie employé d’un service de restauration rapide en Allemagne.
c-Le Chah d’Iran,
Gendarme des Américains dans le golfe, parrain des Kurdes irakiens et allié privilégié d’Israël, le chah d’Iran sera évincé du pouvoir en 1979, quatre ans après l’accord avec Saddam Hussein sur le règlement du contentieux irako iranien. Fugitif, l’accès au territoire américain lui sera refusé, le Roi des Rois ne trouvera finalement refuge qu’en Égypte, le pays contre lequel il avait pourtant incité Israël à attaquer en juin 1967.
d- Les Kurdes
Faisant office de lièvre de l’invasion américaine de l’Irak en 2003, les Kurdes obtiendront en guise de récompense l’autonomie de la région nord kurdophone de l’Irak, qu’ils transformeront en plate forme opérationnelle pro israélienne contre l’Iran
Mais le Kurdistan indépendant qu’il rêvait de proclamer à l’instigation des chefs de file du philosionisme européen, Bernard Kouchner et Bernard Henry Lévy, pour en faire un «2eme Israël sur le flanc oriental du Monde arabe», a été mis en échec par par les trois pays limitrophes de l’Irak, la Turquie, la Syrie et surtout l’Iran.
Récidivistes impénitents et amnésiques, les Kurdes feront alliance une nouvelle fois avec les Américains en Syrie huit ans plus tard, en 2011, pour y créer un abcès de fixation dans les zones pétrolifères du nord de la Syrie.
Une alliance contre nature avec un pays qui avait pourtant capturé le chef mythique du mouvement national kurde turc Abdullah Ocalan pour le remettre à son bourreau turc.
L’alliance systématique des Kurdes avec les ennemis du Monde arabe a conduit l’un des plus célèbres éditorialistes arabes contemporains à Abdel Bari Atwane, à déplorer la trahison constante des Kurdes à l’égard de leurs hôtes arabes en ces termes:
«Un califat a été dirigé par un kurde en Égypte à l’aide des troupes arabes sous la dynastie Fatimide –(Saladin a dirigé l’Égypte de 1169 à 1193, Damas de 1174 à 1193 et Alep de 1183 à 1193.) et Saladin le kurde a conquis Jérusalem avec les troupes arabes, mais les Arabes ne permettront jamais qu’un pays arabe soit conquis par les Kurdes à l’aide des ennemis du Monde arabe, Israël et les États Unis». Propos tenus lors d’un colloque à l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme à Genève, le 6 octobre 2021, sur le thème de «La Palestine», auquel a participé le signataire de ce texte.
- Pour aller plus loin sur ce thème, cf ce lien : https://www.madaniya.info/2017/10/02/irak-l-independance-kurdistan-2-eme-israel-flanc-oriental-monde-arabe/
Du côté américain,
Outre «l’hécatombe des faiseurs de guerre» en Irak, Colin Powel, secrétaire d’état américain, l’homme qui s’était opposé à Dominique De Villepin au Conseil de Sécurité de l’ONU en brandissant une éprouvette contenant de la poudre de perlimpinpin, admettra ultérieurement avoir été abusé et vivra cette intoxication comme une «souillure indélébile» sur son parcours jusqu’à présent exemplaire;
Quand à Judith Miller, la journaliste vedette du New York Times, elle sera renvoyée sans autre forme de procès pour avoir était «l’arme de destruction massive de la crédibilité du New York Times» à propos de ces bidouillages répétitifs sur la présence d’ADM en Irak.
Pour aller plus loin sur ce thème, cf ces deux liens
- https://www.renenaba.com/l-hecatombe-des-faiseurs-de-guerre/
- https://www.liberation.fr/grand-angle/2005/11/11/intoxication-au-new-york-times_538752/
Enfin, dernier et non le moindre des protagonistes régionaux, l’Iran apparaît comme un vainqueur par défaut de cette confrontation, «par effet d’aubaine» de la furie occidentale et des visées prédatrices des néo conservateurs américains sur le pétrole du Moyen Orient.
L’Iran, par effet d’aubaine, a acquis en effet une stature de puissance régionale du fait de la politique erratique des États-Unis tant en Irak qu’en Syrie, où ses rivaux idéologiques, les radicaux sunnites et le laïc baasiste irakien Saddam Hussein, ont été éliminés par leur ancien protecteur américain.
En janvier 2020, le général Qassem Souleimany, le chef de la prestigieuse «Jerusalem Brigade» iranienne, maître d’œuvre de la guerre asymétrique anti américaine au Moyen Orient et son collaborateur irakien Abou Mahdi al Mouhandess, chef de la milice irakienne «Al Hach Al Chaabi», était éliminés par un drone à leur arrivée à l’aéroport de Bagdad. Des tirs de missiles contre les bases américaines en Irak et contre l’ambassade des États-Unis à Bagdad, l’ancien palais présidentiel de Saddam Hussein transformé en bunker, -en représailles à ce double assassinat-, conduisent le parlement irakien a voté le retrait des troupes américaines d’Irak.
Les États-Unis annonceront la fin de la présence d’unités combattantes américaines en Irak, en décembre 2021, quatre mois après le désastre de Kaboul, 22 ans après l’invasion américaine d’Irak.
Illustration
PHOTO HUSSEIN FALEH/AFP
Bonjour Monsieur Naba
Merci pour cet article que je n’ai pas encore lu, mais que je vais imprimer pour le lire plus tad ainsi que la partie 3/3
Cet article ne nous rajeunit pas 1974 wow !
Chokran jazilan