Gaza, un an après 3/3

Gaza, un an après 3/3 1200 800 René Naba

Gaza, un an après :  Vers la fin de l’âge d’or de la supériorité absolue militaire israélienne sur son voisinage  3 /3

Le dossier “Gaza, un an après”, en cinq volets est co-publié en partenariat avec l’Ecole Populaire de Philosophie et des Sciences sociales (Alger)

https://ecolepopulairedephilosophie.com/


  • 53 pour cent des vetos américains ont bloqué une résolution concernant Israël.
  • L’Afrique du sud, puissance d’influence, boussole morale du nouveau monde en devenir
  • La Cour Pénale Internationale, substitut à un Conseil de sécurité de l’ONU, dysfonctionnel.

Déluge Al Aqsa : un électrochoc salutaire sur la léthargie occidentale en propulsant la nécessité de la création d’un état palestinien indépendant et souverain.

La rapporteure spéciale Francesca Albanese avait ouvert une polémique avec Emmanuel Macron à la suite de la commémoration par le président français des victimes du 7 octobre qu’il avait présenté comme le « plus grand massacre antisémite de notre siècle ».  Elle lui avait alors rappelé qu’elles n’étaient pas mortes « à cause de leur judaïsme, mais en réaction à l’oppression d’Israël ». Le ministère français des Affaires étrangères avait condamné la remarque de la rapporteure spéciale. Celle-ci avait alors posé qu’affirmer que la mort des victimes était le résultat de l’antisémitisme « obscurcit leur véritable cause ».

“Ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d´Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique.” – Aimé Césaire.

« Je suis à la fois ahuri et indigné par le fait que ceux qui représentent les descendants d’un peuple qui a été persécuté pendant des siècles, pour des raisons religieuses ou raciales, que les descendants de ce peuple qui sont aujourd’hui les décideurs de l’État d’Israël, que ceux-là puissent non seulement coloniser tout un peuple, le chasser en partie de sa terre et vouloir le chasser pour de bon, mais qui en plus, après le massacre du 7 octobre, se sont livrés à un véritable carnage, massif sur les populations de Gaza, et continuent sans arrêt, frappant civils femmes et enfants.»  Edgar Morin, Philosophe et sociologue, invité d’honneur de la deuxième édition du Festival du livre africain de Marrakech (FLAM) du 8 au 11 février 2024.

https://www.middleeasteye.net/fr/actu-et-enquetes/le-philosophe-edgar-morin-se-dit-ahuri-et-indigne-par-le-carnage-commis-par-israel

Un taux de mortalité quotidien supérieur celui de tout autre conflit majeur du XXIe siècle

Un historien palestinien de renom, Walid Al Khalidy, fondateur de l’Institut d’Études Palestiniennes, a estimé qu’Israël a tué en six semaines de Guerre contre le Hamas à Gaza, près de 20.000 palestiniens, la plupart des civils, soit plus qu’en 106 ans de présence juive en Palestine, amorcée avec la Promesse Balfour portant création d’un «Foyer National Juif en Palestine», en 1917. De son côté, M. Haytham Manna, président de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme (SIHR), et doyen des opposants politiques syriens, a précisé que la guerre de destruction de Gaza a compté en 55 jours, le double des pertes civiles enregistrées en deux ans de guerre en Ukraine (2022-2023).

En contre champs, Israël a détruit la quasi-totalité des universités de Gaza, tué des milliers d’étudiants et près de cent professeurs. Près de 50 journalistes ont été tués en 45 jours à Gaza, dont 11 dans le cadre de leurs fonctions, faisant de ce bilan, l’un des plus meurtriers de ce siècle. Tant les Etats Unis qu’Israël sont coutumiers du fait où les deux pays ont conjugué leurs efforts pour anéantir toute forme de vie chez leurs ennemis.  Et dans le cas de l’Irak, détruire le potentiel scientifique irakien. Cent trente-cinq (135) universitaires toutes disciplines confondues assassinés entre 2003 et 2006 à la faveur de l’invasion américaine de l’Irak.

Cf ce lien https://www.madaniya.info/2018/09/21/le-martyrologe-scientifique-irakien/

L’armée israélienne procède à une « démolition contrôlée» de l’enclave de Gaza, selon l’expression du New York Times, faisant exploser des écoles, des mosquées, des quartiers résidentiels, dans le cadre d’une démolition systématique des bâtiments et des infrastructures.

L’objectif de la guerre est de rendre Gaza inhabitable, rendant inévitable la « relocalisation », c’est-à-dire la déportation, de la population palestinienne, avec pour conséquence l’anéantissement du territoire palestinien de Gaza et, en même temps, celui de la Cisjordanie, sabordant définitivement la possibilité pour les Palestiniens d’avoir leur propre État souverain, comme l’ont décidé les Nations unies il y a 77 ans.

Israël est désormais l’un des pays du monde qui compte le plus grand nombre de journalistes emprisonnés, selon une étude publiée par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), basé à New York. Au 1er décembre 2023, ce nombre s’élevait à 320, soit le deuxième le plus élevé depuis que ce classement a été créé en 1992.  D’un certain point de vue, la dynamique est encourageante : le record en la matière – 367 – avait été enregistré en 2022.

Lire la suite sur:  http://libnanews.com/linquietante-progression-disrael-dans-le-classement-des-pays-par-nombre-de-journalistes-emprisonnes/

Au vu de ce bilan humain, l’ancien ministre britannique de la Défense, Ben Wallace, en a déduit, en référence au Conflit Nord Irlandais que «La radicalisation suit l’oppression, et une réponse disproportionnée de l’État peut être le meilleur agent recruteur d’une organisation terroriste».

Israël, état génocidaire ? Un «seuil moral infranchissable», selon le Quai d’Orsay

En mission à Beyrouth, fin décembre 2023, avant d’être relevé de ses fonctions, Bernard Emié, alors directeur de la DGSE, a fait valoir à ses interlocuteurs libanais, que 1.200 israéliens tués lors de l’attaque du Hamas équivalait, proportionnellement à sa population, à 16.000 français tués, un taux inadmissible, qui explique la violence de la riposte massive israélienne, comme pour justifier les représailles sans discernement opérées par l’armée israélienne, au point d’être perçues comme un massacre à huis clos.

En vertu de ce raisonnement biscornu, 40.000 Palestiniens tués équivaudrait à plus d’1,5 millions de Français tués.

Mais malgré cette mortalité élevée chez les Palestiniens, c’est le Hamas qui est qualifié de «terroriste», et Israël épargné de l’accusation de génocide, «un seuil moral» que l’Occident ne saurait franchir. Drôle de seuil pour une drôle de morale.

Le seuil moral que la France ne saurait franchir est la collaboration vichyste avec le nazisme qui tétanise tout débat public dans la «Patrie des droits de l’Homme» et obstrue toute vision claire des problèmes contemporains.

-Songer à la visite en catimini du président Emmanuel Macron, en pleine nuit, à Ramallah pour rencontrer le président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas…Comme si serrer la main d’un palestinien devenait un geste honteux.

Pour aller plus loin sur ce thème:  https://www.renenaba.com/macron-en-israel-les-palestiniens-en-catimini-la-honte-de-la-france/

-Songer à la sérénade de François Hollande, un socialiste, entonnant dans la cuisine de Benyamin Netanyahu, un ultra faucon xénophobe et populiste, un hymne à la gloire d’Israël.

– Songer enfin à l’adoption d’une loi française IRHA assimilant la critique du sionisme à de l’antisémitisme, de même la criminalisation des campagnes du BDS (Boycott-Désinvestissement-Sanctions), comme si Israël devait bénéficier d’une impunité totale et absolue. Au point que les dîners annuels du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) sont devenus un exercice de prosternation périodique du pouvoir français devant le judaïsme institutionnel.

Ainsi en 2019, année des élections européennes, l’Assemblée nationale française a adopté une proposition de résolution controversée contre l’antisémitisme, préconisant l’adoption de la définition de l’antisémitisme telle que formulée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), assimilant toute critique du sionisme comme une forme d’antisémitisme.

Cf ces liens :

Dans les pays occidentaux, énorme est le fossé entre l’unanimité philo-sioniste de la caste politico médiatique et une meilleure compréhension de la situation palestinienne de la part du grand public.

Pour mémoire, à l’attention des linguistes français, l’extermination d’une population en raison de ses origines s’appelle en français «génocide». Il en est ainsi du génocide arménien en Turquie, comme du génocide des Tutsis au Rwanda. Lui préférer l’expression hébraïque du terme biblique de «Shoah» (holocauste) signe son appartenance au camp pro-israélien

Israël n’a jamais reconnu le caractère de «génocide» aux massacres des Arméniens en Turquie au début du XX me siècle, sans doute pour marquer le caractère unique des persécutions dont les Juifs ont été victimes en Europe. D’abord en Russie, les «pogroms» de la fin du XIX me siècle, puis en Allemagne et en France durant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945).

Il en est aussi des termes antisémitisme et antiracisme. Arabes et Juifs sont des sémites, mais l’antisémitisme ne concerne que les Juifs, pour se distinguer des autres, alors que l’antiracisme englobe Arabes, Noirs, Musulmans, Asiatiques etc. Le Président Jacques Chirac, lui-même, en fustigeant «l’antisémitisme et le racisme» dans son discours d’adieu, le 27 mars 2006, a consacré dans l’ordre subliminal un racisme institutionnel.

Disposant du monopôle du récit médiatique, les Occidentaux, particulièrement les États-Unis-, auront constamment cherché à rendre inaudibles leurs ennemis, au besoin en les discréditant avec des puissants relais locaux ou internationaux, tout en amplifiant leur offensive médiatique, noyant les auditeurs sous un flot d’informations, pratiquant la désinformation par une perte de repères due à la surinformation en vue de faire des auditeurs lecteurs de parfaits «analphabètes secondaires», pour reprendre l’expression de l’allemand Hans Magnus Einsenberger.

CF à ce propos «Analphabètes secondaires» Hans Magnus Eisenberger, auteur de «Médiocrité et Folie» Éditions Gallimard 1991

La Justice Internationale : une boussole morale en raison du rôle dysfonctionnel du Conseil de Sécurité

Puissance d’influence, l’Afrique du sud est apparue comme une boussole morale du nouvel ordre international en gestation, en poursuivant Israël du crime de génocide auprès de la Cour Pénale Internationale.

Ce faisant, la juridiction pénale internationale est apparue comme un substitut à un Conseil de Sécurité dysfonctionnel en raison du fait que cinquante-trois pour cent (53 %) des vetos américains ont bloqué une résolution concernant Israël.

La motivation sud-africaine est consubstantielle à sa victoire sur le régime d’Apartheid et la profession de foi de Nelson Mandela, l’artisan de la réconciliation nationale et de la «Nation arc en ciel’’ : Les Sud-Africains ne seraient jamais complétement libres tant que les Palestiniens vivraient sous l’apartheid israélien.

«En deux mois, les attaques militaires israéliennes ont «causé plus de destructions que les combats d’Alep en Syrie entre 2012 et 2016, ceux de Marioupol en Ukraine, ou proportionnellement, les bombardements alliés sur l’Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale».

Mme Blinne Ni Ghralaigh, au nom de l’Afrique du Sud, a fait un redoutable exposé clinique, jeudi 11 janvier 2024 à La Haye, aux Pays-Bas, lorsqu’elle a qualifié de « premier génocide diffusé en direct » à propos des Palestiniens de Gaza.

La plainte déposée par le pays vainqueur de la politique d’Apartheid a été vécue par de larges fractions de l’opinion mondiale comme la plainte du Sud global contre les critères occidentaux de la supériorité morale en même temps que la remise en cause d’un ordre international installé par le plus puissant allié de l’accusé, les États-Unis;

La contestation d’une mémoire dominée par la Shoah, à laquelle s’oppose ouvertement celle de la colonisation.

Sur Nelson Mandela, vainqueur de l’Apartheid sud-africain, cf, ce lien https://www.renenaba.com/hommage-a-madiba-the-invictus-1918-2013/

Pour mémoire, La Cour Pénale Internationale avait déjà condamné Israël pour sa construction d’un «mur d’Apartheid», mais cette condamnation est demeurée inopérante du fait de l’absence d’un dispositif contraignant de la juridiction pénale internationale, à laquelle n‘ont souscrit ni les Etats Unis, ni Israël.

Anomalie majeure, les décisions de la Cour Pénale Internationale sont contraignantes, mais sans les moyens de contrainte.  Seuls les Etats Unis disposent du pouvoir de contrainte du fait de la «déterritorialisation du Droit», qui autorise abusivement les Etats Unis à infliger des sanctions à un citoyen français dès lors qu’il traite avec des Américains ou des intérêts américains.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/17/avec-la-plainte-de-l-afrique-du-sud-contre-israel-pour-genocide-le-sud-conteste-une-memoire-dominee-par-la-shoah-et-lui-oppose-celle-de-la-colonisation_6211366_3232.html#:~:text=Il%20est%20la,de%20la%20colonisation.

Le bilan psychologique et moral pour Israël : La dissuasion militaire en lambeaux. Les mythes fondateurs de l’État Hébreu, en miettes.

La coalition suprématiste au pouvoir en Israël et la boucherie de Gaza ont sapé un des grands mythes fondateurs de l’État Hébreu : la puissance d’Israël, fondée sur le mythe de l’incompatibilité des juifs avec le fascisme.

L’attaque du Hamas contre Israël, le 7 Octobre 2023, a en outre pointé du doigt l‘écrasante responsabilité des pays occidentaux dans leur complaisance à l’égard de l’Etat Hébreu du fait de leur complicité tacite à l’égard de l’annexion rampante du territoire dédié au futur état palestinien ; discrédité durablement Mahmoud Abbas, le chef nominal de l’Autorité palestinienne et signé la mort politique du premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, artisan, pour sa survie politique,  de l’alliance avec les forces les plus xénophobes et suprématistes israéliennes.

Les représailles massives ordonnées sans discernement par l’armée israélienne, aussi bien contre les civils que contre les hôpitaux,  de même que le blocus économique décrété contre la population civile et le nombre élevé de journalistes tués dans l’accomplissement de leur mission, enfin la destruction systématique de toute surface bâtie, ont sapé durablement un autre mythe fondateur de l’Etat Hébreu sur lesquels il a prospéré depuis sa création: À savoir la «pointe avancée du Monde libre» face à la barbarie arabo musulmane.

Au terme de cette campagne, le patrimoine religieux et culturel de Gaza a été effacé par la guerre d’Israël et la destruction généralisée des sites historiques de Gaza prive les Palestiniens de représentations physiques de leur histoire et de leur mémoire.

Subsidiairement les représailles cataclysmiques israéliennes tant contre Gaza que contre la Cisjordanie ont favorisé la jonction des deux champs de bataille pour en faire une lutte globale pour la libération de la Palestine.

Les divergences israélo-américaines

Bien que n’étant pas membre de l’OTAN Israël est le pays qui, chaque année, bénéficie le plus de l’assistance militaire des États-Unis. Israël est non seulement un acheteur majeur d’armes américaines mais il développe également de nombreux programmes de recherche-développement militaire en coopération avec les États-Unis.

Selon le Times of Israël, Les Etats Unis ont livré à Israël, en 4 mois, de d’octobre 2023 à fin janvier 2024, 250 avions-cargos et une vingtaine de navires représentant une dizaine de milliers de tonnes d’armement et d’équipements militaires. Le New York Times a enquêté spécifiquement sur les bombes MK-84, modèle non guidé de près d’une tonne, dont l’emploi dans la bande de Gaza suscite de vives critiques, avançait fin décembre le chiffre de 5 000 exemplaires fournis.

Les armes fournies par les Etats-Unis depuis le début de cette guerre comprennent au moins 23 000 armes à guidage de précision, dont des missiles air-sol Hellfire, des drones et des kits JDAM (Joint Direct Attack Munition) qui transforment des bombes « ordinaires » en bombes guidées.

Signe de la vulnérabilité israélienne, Les Etats Unis ont même livré à l’État Hébreu des armes dont l’usage est  prohibé internationalement;  Au total, Les Etats Unis ont  ainsi livré 14.000 bombes de 2.000 Kg, 6.500 bombes de 500 kg, 2.200 bombes de 250 kg, ainsi que 1.000 buster Bunker, des bombes anti-bunker.

Sur ce sujet, pour le locuteur arabophone, cf ce lien.

En 1987, les États-Unis ont accordé à Israël le statut d’allié majeur de l’OTAN, donnant droit à Israël d’acheter de l’armement américain au même titre qu’un pays membre de l’OTAN. Israël devient alors le pays le plus fourni au monde en armement américain.

La coopération entre Israël et les États-Unis est très étroite dans beaucoup de domaines d’activité militaire.

Les États-Unis supervisent la recherche-développement en armes d’Israël, contribuant au financement d’importants projets de défense israélien comme le char d’assaut Merkava et le chasseur IAI Lavy. Israël participe activement au développement de l’avion de combat Lockheed Martin F-35 Lightning II

En contrepartie, la Sixième flotte américaine stationne à Haïfa et Israël assure la logistique et la maintenance pour les forces américaines déployées dans la région. Les deux pays mettent également partiellement en commun leurs services de renseignements.

Israël reçoit une assistance militaire de la part des États-Unis plus que n’importe quel autre pays au monde. Depuis 1987, Israël reçoit en moyenne chaque année 1,8 milliard de dollars en termes de vente ou de financement. Cette aide fut portée à 2,4 milliards sous l’administration Clinton.

En 2007, les États-Unis ont accru de 25 % leur enveloppe pour Israël portant leur subvention à 3 milliards de dollars chaque année pour la décennie à venir. De 2019 à 2028 l’aide militaire s’est élevée à près de 4 milliards de dollars par an.

Israël a obtenu, depuis sa création en 1948 jusqu’au début de l’année 2023, plus de 158 milliards de dollars d’aide américaine, dont plus de 124 milliards pour le volet militaire, ce qui en fait le principal récipiendaire de financement américain cumulé depuis la seconde guerre mondiale.

La guerre d’Octobre 1973, qui a mis aux prises Israël face à l’Egypte et la Syrie, constitue la dernière confrontation entre l’Etat Hébreu et des Etats arabes.  Depuis lors, toutes les confrontations ont opposé Israël à des forces paramilitaires non étatiques menant contre l’Etat Hébreu une guerre hybride, asymétrique. Elles se sont soldées par des revers pour Israël compte tenu de ses objectifs de guerre déclarés.

La première expression d’une divergence manifeste entre les Etats Unis et Israël sur les options géostratégiques d’un conflit majeur, dans une zone d’influence privilégiée des Etats Unis, sur un sujet fondamental –la conduite de la guerre à Gaza et son objectif final, la création d’un état palestinien indépendant- a considérablement desservi l’Amérique en ce que le soutien absolu et inconditionnel à l’Etat Hébreu a accrédité l’idée de la première puissance planétaire captive d’un lobby politique, au point que dans un éditorial publié par la revue Foreign Policy, Stephen Walt, professeur de Relations Internationales à la prestigieuse Université d’Harvard (Boston Ma) préconise «de mettre un terme à la relation spéciale entre les États-Unis et Israël».

Sans ambages, l’universitaire américain estime que les États-Unis ont surévalué «la valeur stratégique» d’Israël et que le «soutien inconditionnel» à l’Etat hébreu crée parfois davantage de problèmes à Washington que l’avantage stratégique que ce pays est supposé procurer.

«Le coût de cette relation stratégique va en augmentant et ce coût n’est pas uniquement politique mais également économique», conclut Stephen Walt, co-auteur avec son collègue universitaire américain, John Mearsheimer d’un remarquable ouvrage sur «Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine» – Éditions La Découverte.

Jamais dans l’histoire de l’humanité, une superpuissance de 310 millions d’habitants n’est apparue aussi complètement inféodée à un petit pays de sept millions d’individus. Jamais dans l’histoire, un pays au PIB annuel de l’ordre de 200 milliards de dollars, n’a autant imposé sa volonté à une superpuissance pesant 14. 510 milliards de PIB annuel. En vain.

Subsidiairement, l’opposition frontale du premier ministre israélien Benyamin Netanyahu au président américain Joe Biden à la création d’un «Etat Palestinien Indépendant» a mis un terme à une mystification israélienne d’un demi-siècle, accréditant l’image d’Israël expansionniste, annexionniste et négationniste des droits nationaux palestiniens.

En fait, l’échec [face à la Russie en Ukraine] et l’impératif géographique de maintenir le contrôle de certaines routes maritimes pour assurer la domination des États-Unis ont presque rendu inévitable l’ouverture d’un nouveau front au Moyen-Orient, et ce sont les populations sacrifiables, en l’occurrence les Palestiniens, qui sont contraintes d’en payer le prix

L’incapacité de Washington à garantir une paix durable dans la région est en grande partie liée à son refus de privilégier la création d’un État palestinien à la sécurité d’Israël. Tant qu’il en sera ainsi, le conflit perdurera.

Dans ce contexte, Joe Biden pourrait être «le dernier président pro-israélien issu du Parti démocrate», prédit Nathan Brown, spécialiste du Proche-Orient, professeur de sciences politiques et de relations internationales à l’université George-Washington, à Washington et expert non résident auprès de la Fondation Carnegie pour la paix internationale.

Le très respecté journaliste britannique, David Hearst, en a déduit qu’«En réalité, aucun pays ne fait plus pour dé-légitimer Israël que l’État israélien lui-même».

Sur ce thème, cf ce lien https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/guerre-gaza-justice-internationale-afrique-du-sud-genocide-israel

L’Occident chrétien a pensé purger son passif avec le judaïsme et lui témoigner sa solidarité expiatoire en créant l’État d’Israël en vue de normaliser la condition juive diasporique dans des composantes nationales claires (Abraham B. Yehoshua). Mais il a dans le même temps transmuté son contentieux bimillénaire avec une religion longtemps considérée comme «déicide» en un conflit israélo-arabe et un conflit islamo-judaïque, en négation avec la symbiose andalouse. Ce faisant, l’Occident a transféré en terre arabe les problèmes lancinants de l’antisémitisme récurrent des sociétés occidentales.

L’histoire du Monde arabe contemporain demeurera incompréhensible à quiconque ne prendra en considération la blessure originelle représentée par l’implantation de l’État d’Israël en Palestine tant il est vrai que de toutes les grandes dates qui jalonnent l’Histoire des Arabes, la date du 15 Mai 1948, est sans doute la plus traumatique.

Au-delà des considérations bibliques, la création d’une entité occidentale au cœur du Monde arabe à l’intersection de sa rive asiatique et de sa rive africaine, scellait la rupture définitive de la continuité territoriale de l’espace national arabe, la rupture du point d’articulation entre la voie continentale et la voie maritime de la «Route des Indes», la voie marchande des caravanes reliant le couloir syro-palestinien à son prolongement égyptien, une rupture stratégique du continuum au point de confluence des voies d’eau arabes (le Jourdain, le Yarmouk, le Hasbani et le Zahrani) et de ses gisements pétroliers, source de sa richesse, de son décollage économique et de sa puissance future.

Un choc à tous égards traumatisant. Il sera vécu à juste titre comme tel, comme une amputation du patrimoine national, une spoliation de l’identité arabe.

Il conditionnera durablement la relation du Monde arabe et de l’Occident à l’époque contemporaine et explique une large part de sa nature conflictuelle, de ses dérives successives, de ses déflagrations répétitives, et, enfin dernière et non la moindre des conséquences, l’aversion révulsive et la méfiance instinctive que continue de nourrir le camp arabe face à toute initiative occidentale.

Il en résulte que le monde occidental est aux prises avec un «effondrement moral» significatif face à la redistribution globale du pouvoir, lequel échappe désormais aux mains de la sphère euro-américaine. Qu’il est dur d’être après avoir été.

Depuis 1917 ans, soit depuis près de 107 ans, la Promesse Balfour a gangréné la relation entre l’Europe et le Monde arabe, puis, par cercles concentriques, la relation entre le Monde arabe et l’Occident, en dépit de la normalisation des relations entre l’Etat Hébreu et six pays arabes, dont trois monarchies périphériques du champ de bataille (Maroc, Bahreïn, Emirats Arabes Unis), pour finir par vicier la relation entre l’Islam et l’Occident, en dépit de l’instrumentalisation de l’Islam comme arme de combat contre l’Union soviétique au plus fort de la guerre soviéto-américaine (Afghanistan, Bosnie, Tchétchénie).

Se pose la question de savoir, face à l’indifférence des pays occidentaux à l’égard du drame palestinien et leur soutien continu à Israël du fait du génocide hitlérien, si les Palestiniens ne sont pas effectivement «les ultimes victimes du nazisme».

Pour le locuteur arabophone, ci joint l’intégralité de la chronique Mayssa’a Abou Zeydane. (Chroniqueuse du site en ligne «Ar Rai al Yom»).

Le contre-amiral Ami Ayalon, ancien chef du Shin Beth (1996-2000), le service de renseignement intérieur israélien, s’interroge, pour sa part, sur la notion d’ennemi dans le conflit israélo-palestinien, ainsi que sur les errances de la vision sécuritaire israélienne qui menace, selon lui, de déboucher sur une «guerre sans fin». Âgé de 78 ans, il est l’auteur de Friendly Fire : How Israel Became Its Own Worst Enemy («Tir ami : comment Israël est devenu son propre ennemi».

Se pose également la question de savoir si le soutien absolu et inconditionnel des Etats Unis ne constitue-il pas une «assistance au suicide», pour reprendre l’expression du pacifiste israélien Uri Avnery, fondateur d’une ONG pacifiste cataloguée à l’extrême gauche, Gush Shalom (Bloc de la paix).

La Chine et la Russie sont restées remarquablement silencieuses, observant attentivement l’évolution des plaques tectoniques mondiales en réponse aux «deux guerres» (l’Ukraine et la “multi-guerre” d’Israël). Ce n’est pas vraiment surprenant.  Les deux États peuvent se contenter de regarder Joe Biden persister dans ses erreurs stratégiques sur ces deux fronts, convaincues que l’entrelacement des deux guerres façonnera, bien entendu, la nouvelle ère ;

Bis Repetita Placent : Près de cent ans après la déclaration Balfour portant création d’un «foyer national juif en Palestine», le sablier de l’Histoire s’est retourné. Sur fond de génocide hitlérien et de sociocide palestinien, le compte à rebours a commencé. L’Union sacrée de l’Otan autour de son pupille en témoigne : Plus qu’en Ukraine, une part du destin de l’Occident se joue, depuis cet automne 2023, sur la terre de Palestine.

En brisant le goulot d’étranglement dans lequel voulaient les enserrer les Etats Unis, Israël et les «normalisateurs arabes » via les «accords d’Abraham», «Déluge Al Aqsa» a fait l’effet d’un électrochoc salutaire de forte intensité secouant la léthargie occidentale en posant l’impérieuse nécessité de la création d’un état palestinien indépendant et souverain.

Le leadership occidental paraît confus et désorienté

Le professeur Barry Buzan, co-auteur de The Making of Global International Relations,  soutient que le soi-disant ordre mondial fondé sur des règles, et jusqu’à présent dirigé par les États-Unis, subit une transition évolutive :

«La Chine, l’Inde et le monde islamique se réapproprient leur statut culturel… pas seulement leur richesse et leur pouvoir… mais aussi l’autonomie culturelle qu’ils avaient perdue.

La dialectique entre l’Occident et le reste du monde mondialisé sera l’un des principaux moteurs géopolitiques des années à venir, avec pour pierre angulaire la concurrence entre les États-Unis et la Chine. Les perspectives sont désormais différentes. Les dirigeants et les décideurs semblent confus et désorientés, sans parler des gouvernés. C’est un état d’esprit décrit comme une zétéophobie : une paralysie face à des choix qui pourraient changer le cours de la vie, à une période où les Etats Unis ont cessé d’être «les gendarmes du Monde»

Une évidence occultée du débat public occidental depuis les accords d’Oslo, en 1993, soit depuis 31 ans et qui s’impose désormais inéluctablement, en ce que l’incursion militaire palestinienne au cœur d’Israël a été vécue par l’immense majorité de la population du quart monde comme la version palestinienne de la bataille des Thermopyles du fait que plusieurs dizaines de milliers de Palestiniens ont sacrifié leur vie en cet automne 2023 et en cet hiver 2024, sans désavouer le leadership palestinien de Gaza, pour pérenniser la question nationale palestinienne.

Et Israël est devenu non pas le foyer d’un peuple assailli et persécuté dans le monde entier depuis des millénaires, mais le Fort Knox du suprématisme juif, l’héritier naturel des suprématistes blancs.

((NDLR !  La bataille des Thermopyles, l’un des plus célèbres faits d’armes de l’histoire antique a opposé une alliance des cités grecques à l’Empire achéménide en 480 av. J.-C.  À la suite d’une manœuvre de contournement par les Perses, la plupart des Grecs abandonnent le champ de bataille à cause de la trahison d’un des leurs et seuls les 300 soldats spartiates commandés par le roi Léonidas 1er décident de combattre jusqu’au sacrifice, malgré une infériorité numérique prononcée, pour laisser aux Grecs le temps d’organiser leur défense.

Cette bataille devient l’un des symboles de la résistance grecque à l’envahisseur car, grâce à elle et malgré la prise d’Athènes par les Perses, les Grecs conservent leur indépendance après leurs triomphes à Salamine en septembre 480 av. J.-C.  ))

Pour aller plus loin :

La sanctuarisation d’Israël, objectif constant de l’Otan

https://www.renenaba.com/israel-etats-unis-2-4-la-sanctuarisation-disrael-objectif-constant-de-lotan/ https://www.madaniya.info/2014/11/27/la-conference-d-annapolis-la-palestine-en-contrechamps/

Le rapport de l’ONG américaine «Human Right Watch» sur «Israël commet le crime d’apartheid», cf ce lien :

https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/27/kenneth-roth-israel-commet-le-crime-d-apartheid-dans-les-territoires_6078225_3210.html

Pour une plus grande documentation sur la question
  • «Le Sionisme contre Israël» par Nathan Weinstock – Éditions François Maspero 1968, épuisé.
  • «Le Proche-Orient éclaté» (1956-2012) Georges Corm Folio/ Histoire tome 1 et tome 2
  • Norman Finkelstein : «L’Industrie de l’Holocauste», Réflexions sur la souffrance des Juifs
  • Postface de Rony Brauman -Sortie : 1 février 2001 – ISBN : 9782913372108
  • Mythes et réalités du conflit israélo-palestinien, Norman Finkielstein, préface de Dominique Vidal- Éditions Aden. Colloque Caen- 24 Octobre 2007

René Naba

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l'AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l'information, membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme et de l'Association d'amitié euro-arabe. Auteur de "L'Arabie saoudite, un royaume des ténèbres" (Golias), "Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l'imaginaire français" (Harmattan), "Hariri, de père en fils, hommes d'affaires, premiers ministres (Harmattan), "Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David" (Bachari), "Média et Démocratie, la captation de l'imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l'Association d'amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Editorialiste Radio Galère 88.4 FM Marseille Emissions Harragas, tous les jeudis 16-16H30, émission briseuse de tabous. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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