De la géopolitique et de la religion 2/2

De la géopolitique et de la religion 2/2 1350 640 René Naba
1- De la religion

La religion présuppose élévation de pensée vers son Dieu créateur, piété, méditation, humanité, fraternité, solidarité, charité. En somme de beaux sentiments. A en juger par le nombre de religion dans le monde, la planète devrait être, non le paradis sur terre, à tout le moins le lieu d’une grande quiétude. Or, tel n’est pas le cas. Mais pas du tout.

-Espace de communion et d’exclusion, la religion est un espace concurrentiel : Le juif se revendique comme «le peuple élu», le musulman se vit comme appartenant à «khairou oummaten ounjibat lil nass – la meilleure nation offerte au Monde» et le catholique appartient à «l’église apostolique universelle».

Le juif se retrouve à la Knesseth, l’assemblée des clercs, le musulman dans «Al Jameh» (le rassembleur)» et le catholique dans l’Église- Eklesia assemblée des fidèles. Ceux qui se trouvent au sein de l’enceinte sont dans un état de communion. Ceux qui sont situés à l’extérieur sont soit des infidèles ou des renégats, en tout état de cause en état d’ex-communion.

La dérive vers la violence s’explique par la nécessité de préserver la cohésion du groupe majoritaire et sa domination.

La sociologie l’enseigne et la pratique le confirme : Toute pensée dissidente suscite une répression car elle met en cause l’ordre établi. Le bouc émissaire ainsi choisi dans ce cas n’est pas le véritable responsable du désordre instauré.

Désigné à la vindicte publique, il devient le coupable idéal en ce que sa culpabilité ne remet pas en cause l’ordre social établi.

Dans l’antiquité, Jésus Christ a ainsi été crucifié non pas tant en raison de son comportement criminel, mais pour ses intentions pacifiques en ce qu’elles portaient en germes une remise en cause de l’ordre romain.

La violence n’est pas réductible à une religion déterminée. La chrétienté persécutée sous l’empire romain, infligera à son tour inquisition et persécution au Moyen âge contre les schismatiques, les impies protestants…et partout ailleurs dans le Monde, la colonisation, l’esclavage, la traite négrière, la forme la plus hideuse de l’exploitation humaine.

A l’époque contemporaine, l’Inde, majoritairement bouddhiste et instigatrice de la non-violence dans le combat politique pour son indépendance, a vu deux de ses plus prestigieux dirigeants, Gandhi lui-même et le premier ministre Indira Gandhi, périrent de mort violente.

Il n’est pas indifférent de noter à ce propos que les massacres entre Indiens et Pakistanais lors du démembrement de l’Empire britannique des Indes ont causé infiniment plus de pertes dans la guerre intestine entre Hindouistes et Musulmans que dans leur combat contre leur colonisateur commun.

L’instrumentalisation de la religion à des fins politiques est une constante de l’histoire. Toutes les religions y ont eu recours, dans toutes leurs déclinaisons, que cela soit la guerre de conquête de la chrétienté en Amérique latine ou les Croisades vers le Monde arabe, ou bien à l’inverse, la conquête arabe vers l’Asie et vers la rive méridionale de la Méditerranée ou l’Afrique.

Guerre de religion au sein de l’espace occidental de la chrétienté (entre Protestants et Catholiques en France ou en Irlande du Nord), ou guerre de religion au sein de l’espace musulman (entre Sunnites et Chiites), ou enfin guerre inter-occidentale, débouchant du fait des pogroms et du génocide hitlérien sur le sionisme, la forme la plus moderne de l’instrumentalisation de la Bible à des fins politiques par la mise en œuvre de la notion du retour à Sion, sur les débris de la Palestine.

2 – Pakistan et Israël, l’entrée en force du religieux en politique

A l’époque contemporaine, Pakistan et Israël ont signé l’entrée en force du religieux dans le politique, particulièrement dans le champ islamique dont son instrumentalisation la plus achevée connaîtra sa concrétisation, 32 ans plus tard, d’abord avec la guerre anti soviétique d’Afghanistan, puis contre les pays arabes (Libye, Syrie).

Israël : Le solde de tout compte de l’Occident du génocide hitlérien, par la sous-traitance aux pays arabes de l’antisémitisme récurrent de la société occidentale. Une compensation sur bien d’autrui, génératrice d’une perversion triangulaire dont les effets se font sentir encore de nous jours.

Israël, premier cas de sous-traitance au tiers monde de l’antisémitisme récurrent de la société occidentale, il débouchera un demi-siècle plus tard à troquer l’antisémitisme occidental par une arabophobie et une islamophobie et fera des Palestiniens, les parias absolus, et corrélativement, la cause palestinienne le critère du combat anti-impérialiste contemporain.

L’empressement de la France à adopter la définition de l’antisémitisme telle qu’elle est formulée par l’Alliance Internationale pour la Mémoire de l’Holocauste (IHRA), témoigne de la tétanie du débat public en France du fait de la collaboration nazie du régime de Vichy. Il tend à faire du sionisme la forme la plus achevée de la xénophobie assurée d’impunité avec la caution occidentale. Mais le fait d’aseptiser le débat public de toute critique à l’égard d’Israël est-il incitatif à la démocratie ? Ou, au contraire, une prime à l’autoritarisme et à l’arbitraire ?

A-t-elle songé un instant la France au traumatisme infligé aux Palestiniens par la dépossession de leur patrie du fait d’un crime commis par des Européens et d’un découpage arbitraire dans la pure tradition coloniale ? De l’ignominie résultant d’une compensation sur bien d’autrui, la forme la plus achevée de la perversion triangulaire en ce qu’elle exonère un criminel et pénalise un innocent, sans pour autant donner pleinement satisfaction au bénéficiaire de la compensation, sans apaiser sa soif vindicative ?

L’indifférence des pays occidentaux à l’égard du drame palestinien et leur soutien continu à Israël du fait du génocide hitlérien, pose la question de savoir si les Palestiniens ne sont pas effectivement, finalement, «les ultimes victimes du nazisme».

Le Pakistan a été fondé et voulu par le premier ministre britannique Winston Churchill pour soustraire à l’influence soviétique une portion non négligeable de l’Inde, à l’époque pro soviétique et faire du «pays des purs», une base occidentale et le «bodyguard» de la jeune monarchie wahhabite. Il est ainsi apparu rétrospectivement comme la dividende des États Unis à l’Arabie saoudite pour sa conclusion du Pacte de Quincy (1945) fondant le partenariat stratégique entre la grande démocratie américaine et le régime le plus obscurantisme de la planète et de la créance du Monde musulman à l’égard de l’Occident.

3 – La créance du monde musulman à l’égard de l’occident

La religion est un fait prégnant de la zone du Moyen Orient, berceau des trois monothéismes, un cas unique dans le monde en ce que les trois grandes religions monothéistes ressortissent des religions d’Asie. Ce fait pourrait expliquer sans la justifier la virulence des conflits inter religieux.

Partenaire majeur de l’Alliance atlantique durant la guerre froide soviéto-américaine, le Monde musulman dispose d’une dette d’honneur à l’égard de l’Occident, avec la Turquie en sentinelle avancée de l’Otan sur le flanc sud de l’URSS, amplifiée par la participation de 50.000 arabo-afghans à la guerre contre l’armée rouge en Afghanistan, avec en surplus la participation de près de 2 millions d’arabo africains aux deux guerres mondiales contre l’Allemagne.

Mais, paradoxalement, en dépit de cette contribution, unique dans l’histoire, l’Islam et les Musulmans constituent une thématique majeure de la polémologie contemporaine, désormais promus au rôle d’épouvantail dans la production intellectuelle occidentale, alors que les pays musulmans sont les grands perdants de la coopération islamo-occidentale.

La Turquie ne dispose même pas d’un strapontin au sein de l’Union Européenne et pas une parcelle de la Palestine n’a été restituée aux Palestiniens, alors que parallèlement, l’opération française Serval au Mali, en janvier 2013, pour neutraliser le groupement Ansar Eddine du Qatar, de même que l’opération Sangaris en RCA, ont affranchi la France de sa dette à l’égard des troupes d’outremer. En surplomb, les suppliques du Mufti de l’Otan Youssef Qaradawi, pour bombarder des pays arabes (Libye, Syrie), ont libéré les anciennes puissances coloniales occidentales de leur dette à l’égard des Arabes et des Musulmans.

Puis ce sera au tour d’une alliance régionale et internationale « Des amis de la Syrie ». Pour déboucher, enfin, sur une nouvelle alliance internationale et régionale « Contre le terrorisme », dans la foulée des dérives sanguinaires de Jabhat an Nosra et Da’ech, sous-tendant une guerre frontale contre les déclinaisons du concept de nation, nationalité, concitoyenneté et nationalisme arabe revendicateur et contestataire de l’hégémonie israélo-américaine; une guerre contre les armées nationales arabes, concédant à l’hégémonie israélo-américaine sur la zone ce que ce duo n’a pu assurer ni par la paix ni par la guerre.

Le Monde musulman a été le dindon de la farce de la stratégie occidentale et la Palestine, le cadet des soucis des groupements terroristes islamiques.

La religion est un fait prégnant de la zone du Moyen Orient, berceau des trois monothéismes, un cas unique dans le monde en ce que les trois grandes religions monothéistes ressortissent des religions d’Asie. Ce fait pourrait expliquer sans la justifier la virulence des conflits inter religieux. En surplomb, les suppliques du Mufti de l’Otan Youssef Qaradawi, pour bombarder des pays arabes (Libye, Syrie), ont libéré les anciennes puissances coloniales occidentales de leur dette à l’égard des Arabes et des Musulmans.

Pire : La guerre anti soviétique d’Afghanistan a contribué à l’implosion de l’empire soviétique, qui faisait office de contrepoids mondial à l‘hégémonie américaine.

Pire encore, lors du siège de Beyrouth, en 1982, alors que le dernier carré de la contestation arabe, -les Palestiniens et les combattants progressistes libanais- ployaient sous un déluge de feu de l’aviation et de la marine israéliennes, et que Yasser Arafat, chef du combat national palestinien était traqué dans les recoins de la capitale libanaise, Oussama Ben Laden, le chef d’Al Qaida, claironnait un communiqué de victoire annonçant fièrement en Août 1982, la destruction par ses hommes d’un convoi de chars soviétiques, ne pipant mot sur la Palestine, encore moins sur la tragédie de Beyrouth.

Ni Al Qaida, pas plus Daech, ni non plus la totalité des groupements terroristes islamistes n’ont mentionné, ne serait-ce qu’une fois, le mot Palestine dans leur logomachie. Visiblement, la Palestine est le cadet de leur souci et le terme ne figure même pas dans leur argumentaire propagatoire.

La guerre anti soviétique d’Afghanistan a été une guerre dérivative au combat pour la libération de la Palestine, en déportant le bellicisme des paumés de l’islam, à cinq mille km du champ de bataille, contre un pays qui n’avait aucun passif colonial avec les Arabes. Plus niais que cela tu meurs.

L’aberration mentale se prolongera lors de la séquence dite du «printemps arabe», dans la décennie 2010. Elle prendra la forme de parrainage d’oppositions off-shore par le Qatar, la Turquie et l’Arabie saoudite en Libye et en Syrie, en 2011, prélude à la mise sur pied d’une alliance régionale et internationale « Des amis de la Syrie ».

Pour déboucher, enfin, sur une nouvelle alliance internationale et régionale « Contre le terrorisme » avec les dérives sanguinaires de Jabhat an Nosra et Da’ech, sous-tendant une guerre frontale contre les déclinaisons du concept de nation, nationalité, concitoyenneté et nationalisme arabe revendicateur et contestataire de l’hégémonie israélo-américaine;

Une guerre contre les armées nationales arabes, concédant à l’hégémonie israélo-américaine sur la zone ce que ce duo n’a pu assurer ni par la paix ni par la guerre.

4- L’Islamisme politique, une théologie de la Libération?

Trève de charlatanisme idéologique: L’expression «l’Islamisme politique, en guise de théologie de Libération constitue une vaste supercherie».

La fable selon laquelle l’islamisme est la version musulmane de la théologie de libération du Monde occidentale est une imposture.

La théologie de la Libération en Occident, notamment en Amérique latine, a été une «alliance de classes». Une «alliance horizontale», c’est à dire une alliance des paysans, ouvriers, croyants ou non croyants, chrétiens ou non chrétiens, des femmes et des hommes, des civils et des prêtres contre la hiérarchie religieuse et la hiérarchie militaire, la junte au pouvoir en Amérique Latine, de même que les capitalistes.

Quiconque ne participait pas à au combat de libération était contourné, mis de côté. Pas de viols, ni de profanation encore moins la destruction des symboles religieux à l’instar des Bouddhas de Bamyan ou des stèles de Tombouctou de l’Islam noir. L’objectif était la Libération du peuple de toute forme d’oppression.

L’Islamisme, présentée comme étant la théologie de libération dans l’Islam, est une «alliance sectaire». Une «alliance verticale» regroupant EXCLUSIVEMENT BIEN EXCLUSIVEMENT des musulmans sunnites de la mouvance salafistes takfiristes.

L’objectif est le primat sunnite de rite wahhabite et sa soumission à l’imperium américain, le principal protecteur d’Israël, et non le renversement de l’ordre social. Quiconque ne relevait de l’Islam sunnite wahhabite subissait le contrecoup, décapitation ou conversion forcée au wahhabisme

La théologie de Libération en Amérique s’est appuyée sur le peuple pour lutter à la libération du peuple

L’Islamisme s’est appuyé sur les ennemis du peuple arabe et musulman pour faire triompher leurs anciens colonisateurs. Youssef Al Qaradawi, le mufti du Qatar, qui supplie l’Otan de bombarder la Syrie, -un pays qui a mené 4 guerres contre Israël- demeurera une souillure morale indélébile.

Ce milliardaire polygame avait lancé son appel depuis Doha où il était à l’abri d’une attaque israélienne, protégé par l’importante base du CentCom située à 30 km de Doha, dont la zone de compétence s’étend d’Afghanistan au Maroc.

La religion n’est pas condamnable en soi. Ses dérives si, car la piété n’exclut ni l’intelligence, ni le libre arbitre. Elle n’interdit pas l’esprit critique. Elle ne saurait, en tout état de cause, se dévoyer dans des causes desservant l’intérêt national. Mais nul part ailleurs qu’au sein du leadership sunnite arabe, l’instrumentalisation de la religion n’a autant dévié de son objectif, desservant la cause arabe, au bénéfice de ses commanditaires, les États-Unis, le meilleur allié de leur principal ennemi, Israël.

Au début du XX me siècle, les Arabes, à l’instigation de l’agent britannique Thomas Edward Lawrence se sont soulevés contre leurs coreligionnaires musulmans sunnites de l’empire ottoman, ils en ont été gratifiés de la Promesse Balfour de la création d’un «Foyer National Juif en Palestine», la fin de la première Guerre mondiale (1914-1918)

Au début du XXI me siècle, les bédouins du Golfe, lointains successeurs des flibustiers de l’ancienne Côte des Pirates, ont procédé à la destruction systématique du Monde arabe à l’aide de la cohorte de leurs zombies criminogènes takfiristes, récoltant, en guise de rétribution à leur entreprise criminelle, «la transaction du siècle», le règlement au rabais de la question palestinienne par le bradage de la Palestine.

La répétition systématique d’une erreur n’a jamais constitué la marque supérieure de l’intelligence.

La religion est capable du pire que du meilleur. Animée par des pacifistes, elle est facteur de paix. Instrumentalisée par des belliqueux, la religion est belliciste, voire belligène.

Illustration

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:World_Muslim_Population_Map.png

René Naba

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l'AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l'information, membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme et de l'Association d'amitié euro-arabe. Auteur de "L'Arabie saoudite, un royaume des ténèbres" (Golias), "Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l'imaginaire français" (Harmattan), "Hariri, de père en fils, hommes d'affaires, premiers ministres (Harmattan), "Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David" (Bachari), "Média et Démocratie, la captation de l'imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l'Institut Scandinave des Droits de l'Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l'Association d'amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l'Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l'Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Editorialiste Radio Galère 88.4 FM Marseille Emissions Harragas, tous les jeudis 16-16H30, émission briseuse de tabous. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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