Dernière mise à jour le 7 décembre 2024
Par Anis Balafrej, ingénieur, diplômé de l’École Centrale Paris, membre éminent du militantisme marocain pro palestinien, Anis Balafrej est le fils de Ahmed Balafrej, chef du parti Al Istiqlal, (L’indépendance), animateur du combat contre le protectorat français sur le Maroc.
Anis Balafrej est contributeur https://www.madaniya.info
La liste de ses contributions figurent sur ce lien: https://www.madaniya.info/author/anis-balafrej/
Le cessez-le-feu de 60 jours proclamé le 27 novembre 2024 au Liban laisse perplexe par le secret qui a entouré les négociations et les ambiguïtés des termes de l’accord.
Ce qui est sûr est que le front libanais d’appui à Gaza déclenché par le Hezbollah le 8 Octobre 2023 a tourné en guerre ouverte, comme l’a souligné le nouveau SG du Parti, Naïm Qassem. L’objectif initial de la formation paramilitaire chiite libanaise était d’ouvrir un front au nord pour disperser des forces terrestres israéliennes et éviter leur concentration à Gaza.
La tactique a réussi puisque la moitié des divisions de l’armée israélienne a été déplacée vers la frontière libanaise. En même temps, les actions de la résistance libanaise au nord de la Galilée ont entraîné le déplacement d’environ 100.000 habitants des colonies frontalières vers le centre, avec la désorganisation sociale et le coût financier induit.
Jusqu’en Septembre 2024, Hezbollah a riposté de manière proportionnée aux bombardements aveugles de l’aviation israélienne. Mais pendant que les israéliens ciblaient les villageois et les civils libanais et détruisaient les écoles, les hôpitaux, les logements et même le sites historiques, la résistance libanaise ciblait les installations militaires, les usines d’armement, les radars, les centres de renseignements du Mossad et les regroupements de soldats.
Le premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, pris au piège dans le bourbier de Gaza et ses calculs mis en échec au Liban, (1) se lance alors dans une fuite en avant en provoquant l’Iran, afin d’engager les États Unis et certains «alliés» arabes à un affrontement direct contre ce pays. Mais cette politique a jusqu’à présent échoué devant la supériorité tactique de l’Iran.
Dans l’impasse totale, Benyamin Netanyahu déclencha alors une opération de type terroriste inédite et aveugle, propre à la mafia, en ciblant les milliers d’usagers des appareils de communication ne nécessitant pas de réseaux téléphoniques-médecins, infirmiers, taxis, commerçants, employés…en plaçant des explosifs dans ces appareils avant leur commercialisation au Liban.
Au moment où les négociations de cessez semblaient sur le point d’aboutir sur la base des conditions de Hezbollah, et au moment où le premier ministre israélien se trouvait aux États Unis, le chef du mouvement chiite libanais était localisé avec précision, le 27 septembre 2024 et le feu vert américain donné pour le cibler avec une bombe capable de transpercer le béton et d’aller à 60 mètres de profondeur.
Hassan Nasrallah n’y survivra pas. D’autres assassinats de chefs politiques et militaires de la résistance libanaise avaient précédé et suivi le chef du Hezbollah.
Grisé par ces «victoires», Benyamin Netanyahu obtient l’accord pour occuper le Liban. C’était un moment «d’euphorie» où le dirigeant israélien annonça la configuration d’un «nouveau moyen orient», dont la 1ere étape sera le Liban.
Il voulait rééditer et achever le travail de son prédécesseur Ariel Sharon, artisan de l’invasion du Liban en 1982, en le débarrassant de la résistance armée et en plaçant à sa tête un président et un gouvernement dociles.
Selon les «stratèges américano-israéliens», l’occupation de tout le Liban ne ne devait prendre que quelques jours voire quelques semaines, après un an de bombardement aérien massif, qui a fait environ 5000 morts côté libanais et détruit au deux tiers l’infrastructure militaire du Hezbollah.
En 1982, l’armée israélienne n’avait mis que 10 jours pour arriver aux portes de Beyrouth. Et le général Sharon, à l’époque ministre de la défense, avait réussi, après un siège de Beyrouth qui a duré 100 jours, à négocier le départ de la résistance palestinienne du Liban et à placer un pion, le phalangiste Bachir Gemayel, à la présidence. (2)
Malgré «les garanties» américaines et françaises d’épargner les civils après le départ de la résistance palestinienne, les soldats de Sharon et les milices phalangistes avaient investi les camps palestiniens de Sabra et Chatila à Beyrouth et y avaient commis pendant 48 heures, à huis-clos, un véritable carnage d’enfants, de vieillards, de femmes et d’hommes sans armes, laissant un spectacle d’horreur de plusieurs milliers de cadavres mutilés, torturés et exécutés.
Jean Genet qui s’était rendu juste après transcrivit cette tragédie dans un pamphlet intitulé « 48 heures à Chatila ». cf ce lien : https://www.madaniya.info/2017/09/15/malediction-de-sabra-chatila-35-ans-apres/
Mais le Liban de 1982 n’est pas celui de 2024. Affaibli par 7 ans de guerre civile, le Liban d’alors était divisé et sans défense.
Né en 1982, après le départ des résistants palestiniens du Liban et dont beaucoup de militants combattaient aux côtés de la résistance palestinienne, le Hezbollah est devenu un grand parti politique, majoritaire au Parlement. Sa branche armée a recruté des dizaines de milliers de jeunes Libanais aguerris au combat et dévoués à la défense de la souveraineté libanaise et à la cause palestinienne.
Voilà ce qui explique l’échec lamentable des calculs de Benyamin Netanyahu au Liban. Son rêve de « nouveau moyen orient » s’est brisé sur la résistance héroïque du Hezbollah, son armement évolué et sur la solidarité totale du peuple et de la résistance.
Ses troupes, après deux mois de combat, n’ont pas pu atteindre plus que quelques kilomètres de la frontière sans pouvoir s’y fixer, laissant plusieurs centaines de morts et de blessés et une cinquantaine de chars détruits.
On comprend alors pourquoi Netanyahu, qui depuis Octobre 2023, s’était toujours opposé à un cessez le feu, a pressé les américains de le demander avec le Liban. Il n’a pu ni occuper le Liban, ni détruire les capacités militaires du Hezbollah (3), ni perturber son commandement malgré l’assassinat de ses chefs.
Il ne pourra pas non plus ramener les 100.000 colons à leurs colonies, en grande partie détruites et qui refusent de revenir tant qu’un accord de paix n’est pas signé.
Alors que les libanais, dès le 27 novembre 2024, ont repris le chemin du retour vers le sud par centaines de milliers et ont déjà commencé à reconstruire leurs villages détruits.
Pour justifier son acceptation du cessez le feu, Netanyahu a avancé 3 raisons: il veut se focaliser sur l’Iran, rafraîchir et réarmer ses troupes et concentrer ses forces sur Gaza pour « libérer les otages ».
Trois aveux d’échecs
L’Iran a déjà envoyé deux échantillons de ses capacités militaires en attaquant avec succès les installations militaires en « Israël » en Avril et en Octobre dernier. Il a averti que la prochaine riposte à une agression sioniste sera dévastatrice.
Le réarmement de l’armée israélienne n’a pas cessé depuis Octobre 2023 par pont aérien depuis les États Unis, la Grande Bretagne, l’Allemagne et la France.
Par voie maritime, les porte-conteneurs de Maerks acheminent depuis les États Unis le matériel militaire lourd, via le port de Tanger Med (l’Espagne ayant refusé que ses ports servent au génocide de la population de Gaza), à destination de Haïfa à raison d’une rotation par semaine.
De quoi a encore besoin M. Netanyahu pour réarmer ses troupes ? Ne veut-il pas plutôt dire qu’il n’a plus de soldats pour se battre ?
La résistance palestinienne à Gaza ne sentira pas l’impact du cessez le feu avec le Liban, car les divisions sionistes mobilisées sur le front nord y resteront tant qu’il ne s’agit que d’un cessez le feu de 60 jours.
Les soldats israéliens qui occupent Gaza sont toujours harcelés par les résistants. La guérilla se poursuit avec des pertes israéliennes quotidiennes.
Mais Netanyahu, dont le mandat d’arrêt international le poursuit, joue le tout pour le tout. Il sait que la prison l’attend dès l’arrêt de la guerre.
En attendant, le génocide des Palestiniens de Gaza se poursuit depuis 14 mois sans discontinuer.
Objectif : le nettoyage ethnique de l’enclave, son annexion et sa recolonisation
C’est la 2e étape du «nouveau moyen orient». Mais la résistance héroïque du peuple de Gaza et sa résistance armée feront échouer les plans de Netanyahu, à l’exemple du Liban.
L’arrivée de Donald Trump ne sauvera pas l’Israélien. D’ici son investiture le 20 Janvier 2025, il a demandé l’arrêt de la guerre au Moyen Orient. Voilà ce qui explique le réveil soudain des groupes Jabhat An Nosra, la franchise syrienne d’Al Qaïda, et Daech à la solde des israéliens, en Syrie.
Pour Netanyahu, déstabiliser la Syrie lui permettra d’isoler le Hezbollah et couper son approvisionnement en armes. Une voie sans issue, car la Syrie n’est plus celle d’il y a 10 ans. La Russie et l’Iran ont pris leur disposition pour lui faire échec.
Notes
- Hezbollah à utilisé des missiles et des drones intelligents dont la précision est remarquable.
- Assassiné deux mois après son investiture.
- Une des preuves éclatantes de la force de frappe de Hezbollah a été la nuit du 26 au 27 Novembre, précédant de quelques heures le cessez le feu et durant laquelle Tel Aviv a été pris sous le bombardement des missiles libanais pendant plusieurs heures.
Illustration
Andrew Harnik/Getty Images