Professeur émérite Robert Charvin, Université de Nice (France). Ancien responsable de l’AIJD, Association Internationale des Juristes Démocrates et membre du conseil exécutif de Nord-Sud XXI, ONG à statut consultatif auprès de l’ONU
Politiques des États, confusion du langage et droit
Les forces politiques et les instances étatiques usent d’un vocabulaire le plus souvent confus afin de faciliter la réalisation de leurs objectifs qui ne peuvent cependant être admis par les juristes, les politistes et l’intelligentsia ayant quelque préoccupation de rigueur et de justice. Ne pas employer les termes exacts et appropriés, se garder de les définir, c’est manipuler les opinions et c’est favoriser les pratiques politiques qui rendent les problèmes insolubles.
C’est précisément le cas des mots « terrorisme » et « extrémisme ».
Selon le droit international (même s’il n’est pas contraignant) et les Nations Unies, le « terrorisme » (Résolution A/RES/49/60), vise « les actes, méthodes et pratiques qui violent gravement les buts et les principes des Nations Unies et peuvent constituer une menace pour la paix et la sécurité internationale, compromettre les relations amicales entre États, entamer la coopération internationale et viser à l’anéantissement des droits de l’homme, des libertés fondamentales et des bases démocratiques de la société ».
Autrement dit, « le terrorisme » est une forme particulière de violence (parmi toutes celles, y compris la violence sociale, qui affectent les populations) contraire aux buts poursuivis par le droit. Il n’est aucunement précisé qui peut en être l’auteur déterminé : la Résolution 49/60 précitée indique « quels qu’en soient les auteurs », c’est-à-dire un groupe d’individus ou un État. Il peut s’agir d’opérations étatiques assurées, par exemple, par des « services spéciaux » (ce fut le cas, par exemple, des multiples attentats et actions militaires des États-Unis contre le régime cubain à compter de la Révolution de 1959) ; il peut s’agir aussi de groupes d’individus (comme ceux relevant des Mouvements de Libération Nationale comme le FLN algérien, les organisations palestiniennes ou certains groupes révolutionnaires d’Europe occidentale).
Le terme « terroriste » visait à faire peur, à justifier la répression la plus radicale, et à montrer que les « forces de l’ordre » pouvaient rétablir la situation ! (Cf. R. Charvin. La peur, arme politique. Gouverner, c’est faire peur… et rassurer. Investig’action. Bruxelles. 2020).
Les nazis dans les années 1940 ont été les champions de la terreur, tout en exploitant les accusation de « terrorisme » contre les Résistants (cf, par exemple, l’Affiche Rouge contre Missak Manouchian ) !
Curieusement, les guerres anti-terroristes menées par les États sont de loin plus dévastatrices que les attentats individuels qualifiés de terroristes (voir, par exemple, les opérations israéliennes contre Gaza !).
Il faut rappeler qu’il n’existe pas de Convention universelle contre le terrorisme, le Nord ayant refusé la proposition du Sud d’inclure la notion de « terrorisme d’État ». Il n’y a qu’une Convention régionale européenne (1977), que peu d’États ont ratifié, qui va jusqu’à refuser le caractère politique de l’acte terroriste (!!), afin de faciliter l’extradition de son auteur ! Chaque État a par ailleurs sa propre législation nationale en cette matière.
Il faut noter aussi que sur tous les continents, les « forces de l’ordre » sont responsables d’actes « terroristes » contre les militants d’opposition, y compris en Occident, alors que celui-ci ne qualifie de terroristes que les attentats islamistes. Ce serait le seul qui soit lié à « l’extrémisme religieux ».
Les liaisons dangereuses du terrorisme et de l’islamisme religieux
Constat d’évidence : l’Islam est profondément méconnu aux États-Unis et en Europe. En atteste, par exemple, la notion de Djihad qui dans le Coran est avant tout le combat contre le mal en soi.
L’Islam, religion jugée hostile par l’Occident depuis de nombreux siècles, dominée et méprisée durant la période de la colonisation, mis au ban des religions comme, aujourd’hui encore, particulièrement fanatique et obscurantiste, alors que les victimes de l’islamisme intégriste (très minoritaire) sont essentiellement des musulmans.
Dans toutes les religions, l’Histoire recense des phases intégristes particulièrement violentes (y compris pour le christianisme avec l’Inquisition, les Croisades et ses affrontements avec la démocratie et les droits de l’homme aux côtés des fascismes).
Aujourd’hui, on constate que les catholiques intégristes sont ultra-conservateurs, racistes et ralliés à l’extrême-droite ;
Quant aux Évangéliques (nés aux États-Unis, liés au Trumpisme), ils sont de plus en plus nombreux en Afrique dont ils n’aident pas au développement démocratique ; les Bouddhistes eux-mêmes, en Birmanie, pourchassent avec violence les Rohingya ! etc…etc…
En réalité, la sacralisation d’une « vérité » exclusive au sein de chaque religion ne peut que favoriser le rejet de l’Autre et sa persécution.
L’Assemblée Générale des Nations Unies a eu raison dans sa Résolution 77/243 de faire du 12 février, chaque année, une « journée internationale pour la prévention de l’extrémisme » pouvant conduire au terrorisme. Cette résolution précise – et c’est essentiel – que cette violence ne doit pas être associée à une religion déterminée, à une nationalité particulière, à une civilisation ni à aucun groupe ethnique.
Ce n’est pourtant pas, du moins en Occident, ce qui a été compris et pratiqué : la religion musulmane (dont la critique systématique est jugée plus « élégante » et plus facile qu’un vulgaire racisme anti-arabe) est en permanence mise en cause et accusée d’être « la » source du terrorisme !
Cette liaison pour une large part artificielle, entre extrémisme islamique et « terrorisme » est particulièrement nocive ! Elle clive très fortement les parties en présence et chacune auto-justifie sa violence par la dangerosité de l’Autre, considéré et traité comme l’ennemi irréductible.
En 1964, la Convention nationale du Parti Républicain aux États-Unis, par exemple, animé par l’ultraconservateur Barry Goldwater, a pu affirmer que l’extrémisme anti-communiste dans la défense des institutions « n’était pas un vice ». C’était même le contraire !
Aujourd’hui, comme hier, chacun dans sa communauté, dans son pays, dans sa culture, désigne l’Autre comme l’adversaire des « valeurs » dites « universelles » qui sont en réalité essentiellement locales et relatives.
Chacun a donc « ses » extrémistes et « ses » terroristes à pourchasser sans admettre qu’il est lui-même pour ce faire un « extrémiste terroriste », bien qu’il n’ait essentiellement ni les mêmes méthodes ni les mêmes armes : Israël en témoigne qui estime avoir « l’armée la plus morale , qui combat pour la démocratie contre le terrorisme du Hamas responsable du massacre du 7 octobre, mais qui a tué plus de 30.000 Palestiniens tout en rasant Gaza sous ses bombes, au point que la Cour Internationale de Justice s’interroge sur les prémices d’un génocide !
Chaque camp dans tout conflit a ainsi les outils pour accuser son adversaire de terrorisme ainsi que sa religion, sans même examiner s’il y a d’autres fondements plus essentiels à son combat.
Pourtant, les faits sont là : L’Occident, par exemple, a combattu à mort le nationalisme arabe lui préférant l’islamisme. Il a choisi lui-même son ennemi qu’il croyait moins dangereux pour ses intérêts ; il l’a même aidé à se renforcer !
Dans la réalité, les causes du terrorisme sont infiniment plus variées.
En Afrique, par exemple, c’est le chômage des jeunes, les difficultés sociales, et la pauvreté généralisée qui conduisent les hommes à rejoindre les groupes religieux. Il est donc inutile de combattre la foi religieuse, mais essentiel de résoudre au mieux la sempiternelle question sociale !
Mais comme toujours, le social, jugé trop coûteux pour les dominants et l’impérialisme étranger, est relégué au second plan au profit de fausses raisons non matérielles.
Les religions sont instrumentalisées à des fins politiques, aggravant toutes les oppositions et rendant indépassables toutes les différences et toutes les contradictions !
L’urgent est donc de chercher les racines authentiques des conflits et de ne pas s’arrêter sur les idéologies et sur les croyances affichées, mais d’analyser les inégalités et les discriminations socio-économiques qu’il est possible de régler s’il y a volonté politique !
Les croyances, au contraire, ne disparaissent pas avec leur répression : bien au contraire, elle fabrique des martyrs qui eux-mêmes produisent des mythes historiques indéracinables.
L’enseignement du rationalisme doit être développé : il permet de libérer les esprits des vérités absolues qui sont des armes de guerre, ne laissant aucune place au doute, à l’autocritique et à la conciliation. La croyance ne peut servir qu’à resserrer les rangs des forces combattantes, à l’homogénéité de ceux qui veulent faire la guerre et non aux individus qui recherchent la paix.
Il est fondamental aussi de vaincre l’anti-féminisme commun à toutes les religions : aucun progrès profond ne peut être atteint si on relègue les libertés de 50% de la population, qu’il s’agisse de l’Iran, de l’Afghanistan ou du Texas où l’IVG est interdite. L’Occident connaît toujours, malgré quelques progrès, la domination masculine qui est surtout beaucoup plus discrète.
En conclusion, au Sud comme au Nord, les dominants de chaque société, les dirigeants de chaque État sont plus préoccupés de « durer » que de résoudre les grands problèmes humains et de faire cesser tous les conflits.
L’inévitable réponse est la colère des peuples et une extrême confusion dans les esprits devenus incapables de résoudre les contradictions de toutes les sociétés.
English version (translated) :
Terrorism and religious extremism
State policies, confusion of language and law
Political forces and state bodies use a vocabulary that is often confused in order to facilitate the achievement of their objectives, which cannot, however, be accepted by jurists, political scientists, and the intelligentsia with any concern for rigour and justice. Failing to use the correct and appropriate terms, and failing to define them, means manipulating opinions and encouraging political practices that render problems insoluble.
This is precisely the case with the words « terrorism » and « extremism ».
According to international law (even if it is not binding) and the United Nations, « terrorism » (Resolution A/RES/49/60) refers to « acts, methods and practices that seriously violate the purposes and principles of the United Nations and may constitute a threat to international peace and security, impair friendly relations among States, undermine international cooperation and aim at the destruction of human rights, fundamental freedoms and the democratic basis of society ».
In other words, « terrorism » is a particular form of violence (among all those, including social violence, that affect populations) that is contrary to the aims pursued by the law. No mention is made of who may be the specific perpetrator: the aforementioned Resolution 49/60 states « whoever the perpetrators may be », i.e. a group of individuals or a State.
The perpetrators may be State operations carried out, for example, by « special services » (this was the case, for example, of the many attacks and military actions carried out by the United States against the Cuban regime after the 1959 Revolution); they may also be groups of individuals (such as those belonging to National Liberation Movements like the Algerian FLN, Palestinian organisations or certain revolutionary groups in Western Europe). The term « terrorist » was used to frighten people, to justify the most radical repression, and to show that the « forces of order » could restore the situation! (Cf. R. Charvin. Fear as a political weapon. Gouverner, c’est faire peur… et rassurer. Investig’action. Brussels. 2020).
The Nazis in the 1940s were champions of terror, while exploiting accusations of « terrorism » against Resistance fighters (see, for example, the Red Poster against Missak Manouchian)!
Curiously, the anti-terrorist wars waged by governments are far more devastating than individual attacks labelled as terrorist (see, for example, the Israeli operations against Gaza!).
It should be remembered that there is no universal convention against terrorism, the North having refused the South’s proposal to include the notion of « state terrorism ». There is only a regional European Convention (1977), which few States have ratified, which goes so far as to deny the political nature of a terrorist act (!!), in order to facilitate the extradition of the perpetrator! Each country has its own national legislation in this area.
It should also be noted that on every continent, the « forces of law and order » are responsible for « terrorist » acts against opposition activists, including in the West, which only classifies Islamist attacks as terrorist. This would be the only one linked to « religious extremism ».
The dangerous links between terrorism and religious Islamism
It is obvious that Islam is profoundly misunderstood in the United States and Europe. This is demonstrated, for example, by the notion of Jihad, which in the Koran is above all the fight against evil itself.
Islam, a religion considered hostile by the West for many centuries, dominated and despised during the period of colonisation, and ostracised as a particularly fanatical and obscurantist religion even today, while the victims of fundamentalist Islamism (a very small minority) are essentially Muslims.
In all religions, history records particularly violent fundamentalist phases (including Christianity with the Inquisition, the Crusades and its clashes with democracy and human rights alongside fascism).
Today, we can see that fundamentalist Catholics are ultra-conservative, racist and aligned with the far right; as for the Evangelicals (born in the United States, linked to Trumpism), they are increasingly numerous in Africa, where they are not helping democratic development; the Buddhists themselves, in Burma, are violently hunting down the Rohingya! etc…etc….
In reality, the sacralisation of an exclusive « truth » within each religion can only encourage the rejection and persecution of the Other.
In Resolution 77/243, the United Nations General Assembly was right to declare 12 February each year an « International Day for the Prevention of Extremism », which can lead to terrorism. This resolution specifies – and this is essential – that this violence must not be associated with a particular religion, nationality, civilisation or ethnic group.
This is not, however, at least in the West, what has been understood and practised: the Muslim religion (whose systematic criticism is deemed more « elegant » and easier than vulgar anti-Arab racism) is constantly being blamed and accused of being « the » source of terrorism!
This largely artificial link between Islamic extremism and « terrorism » is particularly harmful! It sharply divides the parties involved, with each side justifying its own violence in terms of the dangerousness of the Other, considered and treated as the irreducible enemy.
In 1964, for example, the National Convention of the Republican Party in the United States, led by the ultraconservative Barry Goldwater, was able to affirm that anti-communist extremism in the defence of institutions « was not a vice ». Quite the opposite, in fact!
Today, as in the past, everyone in their own community, country and culture points to the Other as the adversary of so-called « universal » « values », which are in reality essentially local and relative.
Each side therefore has « its » extremists and « its » terrorists to hunt down, without admitting that it is itself an « extremist terrorist », even though it has essentially neither the same methods nor the same weapons: Israel is a case in point, which believes it has « the most moral army », fighting for democracy against the terrorism of Hamas, responsible for the massacre of 7 October, but which has killed more than 30,000 Palestinians while razing Gaza to the ground with its bombs, to the point that the International Court of Justice is wondering about the beginnings of genocide!
Each side in any conflict thus has the tools to accuse its adversary of terrorism as well as its religion, without even examining whether there are other more essential grounds for its fight.
Yet the facts are there: the West, for example, fought Arab nationalism to the death, preferring Islamism. It chose its own enemy, which it believed to be less dangerous to its interests; it even helped to strengthen it!
In reality, the causes of terrorism are infinitely more varied.
In Africa, for example, it is youth unemployment, social difficulties and widespread poverty that lead people to join religious groups. So there’s no point in fighting religious faith, but it is essential to resolve the age-old social issue as best we can!
But as always, the social issue, deemed too costly for the dominant powers and foreign imperialism, is relegated to the background in favour of false non-material reasons.
Religions are used for political ends, exacerbating all opposition and making all differences and contradictions unbridgeable!
What is urgently needed, therefore, is to look for the real roots of conflicts and not to dwell on ideologies and stated beliefs, but to analyse the socio-economic inequalities and discrimination that can be resolved if there is the political will to do so!
Beliefs, on the other hand, do not disappear with their repression: on the contrary, they produce martyrs who themselves produce ineradicable historical myths.
The teaching of rationalism must be developed : it frees minds from the absolute truths that are weapons of war, leaving no room for doubt, self-criticism or conciliation. Belief can only serve to close the ranks of the fighting forces, to ensure the homogeneity of those who want to wage war, not the individuals who seek peace.
It is also essential to overcome the anti-feminism common to all religions: no profound progress can be made if the freedoms of 50% of the population are curtailed, whether in Iran, Afghanistan or Texas, where abortion is banned. In the West, despite some progress, male domination persists, though in a much more discreet from.
In conclusion, in the South as in the North, the rulers of every society and the leaders of every State are more concerned with « lasting » than with resolving the major human problems and putting an end to all conflicts.
The inevitable response is anger on the part of the people and extreme confusion in the minds of those who have become incapable of resolving the contradictions in all societies.