Dernière mise à jour le 10 février 2025
Socrate : Une âme sans mémoire est condamnée à répétition
Ce papier est dédié à Georges Ibrahim Abdallah, l’antithèse du chef milicien chrétien.
Georges Ibrahim Abdallah et Samir Geagea représentent les deux faces du Liban. Le premier, militant communiste pro palestinien, incarne son aspect glorieux, la fierté nationale du Liban ; le second, le supplétif des Israéliens, puis des Saoudiens, son aspect hideux, la lie du Liban, sa fosse septique.
Les deux sont maronites, qui plus est originaires du Nord-Liban. Preuve éclatante que l’appartenance religieuse ne pré détermine pas à la servilité, mais la prédisposition intellectuelle commande une posture de rectitude ou de reptation, selon le choix du vertébré ou l’inclination profonde du reptile. La conclusion qui en découle est que Georges Ibrahim Abdallah est un homme de conviction de stature internationale. Un arabe authentique. Samir Geagea, un larbin drapé – camouflé ? – dans un discours souverainiste.
Ce papier est publié le 9 Février, date commémorative de la célébration de Saint Maron afin que le saint patronymique des Maronites incite les dirigeants politiques de cette communauté à transcender leurs turpitudes criminelles en cessant leur guerre picrocholine dans leur intérêt bien compris et celui du Liban.
A l’intention des locuteurs arabophones, la version arabe se trouve dans le prolongement de la version française.
Le syllogisme circulaire des pays occidentaux
En 82 ans d’indépendance, le Liban a connu 14 présidents, -dont deux présidents assassinés- Bachir Gemayel (1982) et René Mouawad (1989) au seuil de leur pouvoir-, deux autres dont le mandat a sombré dans la guerre civile, Camille Chamoun (1958) et Soleimane Frangieh (1975) – et cinq présidents issus du commandement de l’armée : Fouad Chehab, Emile Lahoud, Michel Sleimane, Michel Aoun et Joseph Aoun. Les quatre derniers se succédant sans discontinuer depuis 1998, soit depuis 27 ans.
Le Liban a d’ailleurs connu de nouveau une vacance du pouvoir présidentiel depuis la fin du mandat du général Michel Aoun, le 30 octobre 2022, faute d’un consensus des forces politiques libanaises sur le choix de son successeur. L’un des postulants, M. Soleimane Frangieh, petit-fils d’un ancien président de la République libanaise, dont il porte d’ailleurs le nom, bénéficiait du soutien du bloc chiite, et se heurtait, par conséquent, à l’opposition résolue de la totalité du bloc parlementaire chrétien.
Le camp chrétien bénéficiait du soutien des pays occidentaux, qui considèrent, par une sorte de syllogisme circulaire, qu’une éventuelle élection de Soleimane Frangieh, réputé proche de la Syrie, aurait constitué, par ricochet, une victoire de l’Iran et par extension, celle de la Russie, augurant d’une défaite de l’OTAN en Ukraine et d’Israël à Gaza, face au Hamas. La chute du régime baasiste à Damas, le 8 décembre 2024, a entraîné ipso facto le retrait de la candidature de de Soleimane Frangieh de la course présidentielle.
Une des singularités de cette compétition est le fait que Samir Geagea, chef des Forces Libanaises (milices chrétiennes), a opposé un veto absolu à l’élection de Soleimane Frangieh, dont il a été pourtant l’artisan de l’anéantissement de la quasi-totalité de la famille de son rival du Nord-Liban, indice indiscutable de l’aberration mentale qui consiste à conférer à un bourreau un droit sur sa victime; indice indiscutable de la perversité du comportement occidental qui consiste à introniser le plus grand criminel du Liban de « Grand électeur » d’un pays qu’il largement contribué à sinistrer .
Retour sur ce sinistre personnage
Fils d’un sous-officier de l’armée libanaise, habitant la banlieue chrétienne de Beyrouth, d’Ein Er Remmaneh, Samir Geagea a constamment voulu conjurer la fatalité des conditions modestes de sa naissance, rêvant de trôner sur sa communauté, les Maronites, détenteurs des principaux leviers pouvoirs au Liban, en vertu de la répartition confessionnelle du pouvoir.
Et Achrafieh, la colline surplombant Beyrouth, fief du pouvoir maronite qui narguait de son mépris bourgeois la banlieue populeuse de son lieu de résidence, devint son point de mire permanent. Tel pourrait être le sens de la totalité des démarches qu’il a entreprises depuis son engagement dans l’action armée.
Un être doublement paradoxal de surcroît, qui ne s’embarrasse ni de cohérence, ni de rationalité encore moins d’humanité.
Atteint non de mégalomanie, mais de mégalocéphalite, le syndrome de la grosse tête, cet irrédentiste chrétien aura été le fossoyeur du leadership chrétien ; ce souverainiste à tout crin, le factotum des deux théocraties du Moyen Orient : Israël, durant la guerre civile libanaise (1975-1990), l’Arabie saoudite depuis la période de l’après-guerre, deux régimes antinomiques du Liban.
Dans un contexte de violence exacerbée, il parviendra au sommet de la hiérarchie milicienne à la faveur de l’assassinat de ses deux prédécesseurs, Bachir Gémayel, le fondateur des « Forces Libanaises » et son successeur, Elias Hobeika, l’exécutant des basses œuvres des Israéliens dans le massacre des camps palestiniens de Sabra et Chatila, dans la banlieue sud-est de Beyrouth, en septembre 1982.
Sanguinaire, réducteur, rudimentaire, expéditif, il gravira les échelons de sa hiérarchie sur un terrain jonché des cadavres de ses ennemis réels, potentiels voire virtuels, glanant au passage le titre peu glorieux d’implacable « fossoyeur du leadership chrétien ».
Son pseudonyme ne doit pourtant pas faire illusion : il emprunte à l’amphibologie, tout comme son personnage à l’ambivalence.
« Al Hakim », son nom de guerre, qui signifie le sage ou le médecin, n’a jamais été sage dans son comportement belliqueux, au-delà de toute mesure et démesure, ni docte, ni médecin, dont il ne détient pas non plus le grade universitaire. C’est là sa première usurpation.
Celui que sa formation universitaire aurait dû destiner à un comportement d’humanité, s’est révélé être l’un des plus inhumains chefs de guerre, responsable de la décapitation de la famille Frangieh, en 1978, n’épargnant rien ni personne de cette grande famille du nord du Liban, pourtant ses voisins, pas plus une petite fillette de trois ans que le chien de garde devant la maison.
Récidiviste en 1980, il donnera l’assaut contre le fief de l’autre allié des phalangistes, les milices du PNL (Parti National libéral) de Dany Chamoun fils de l’ancien président Camille Chamoun, à Faqra, dans la région montagneuse du Liban, noyant dans le sang des forces chrétiennes pourtant alliées au sein d’une même coalition. En juillet 1983, il engagera le combat de la montagne du Chouf contre la milice druze conduite par Walid, le fils et successeur de Kamal Joumblatt, le chef du parti socialiste progressiste et chef de la communauté druze. Son offensive s’était soldée par la destruction de 60 villages et de l’exode d’une population chrétienne de plus de 250.000 habitants du Chouf, mettant un terme à un siècle de convivialité druzo-chrétienne dans le Chouf.
Il en sera de même avec des résultats identiques à Saida, chef-lieu du sud-Liban et à Zahlé, dans le centre du Liban, en 1985.
Piètre bilan pour le défenseur des minorités chrétiennes opprimées, que son bellicisme a opprimé plus durablement que l’hostilité de leurs adversaires.
La liste n’est pas limitative. En 1988, à la fin du mandat du président Amine Gemayel, Samir Geagea se trouvait à la tête d’une entreprise prospère soutenue par une machine de guerre bien rodée. L’épreuve de force qu’il engagera contre le général Michel Aoun, commandant en chef et premier ministre intérimaire, achèvera d’épuiser le camp chrétien, le général Aoun prenant le chemin de l’exil vers Paris où il demeurera quinze ans et Samir Geagea, le chemin de la prison où il croupira pendant près de dix ans.
Auparavant, Samir avait élargi le rayon d’action de sa furie à ses rivaux du camp palestino-progressiste, tel le premier ministre Rachid Karamé, un personnage de premier plan de la vie politique libanaise, puis, sans succès, à la vedette politique incontestée du cénacle libanais, Najah Wakim, en personne, en octobre 1987, mais ratera sa cible.
Grand seigneur, Najah Wakim s’opposera pourtant à l’incarcération de Samir Geagea, en dépit de son lourd passif, tout comme au départ en exil du Général Michel Aoun, soucieux d’éviter une opération qui pourrait être perçue par le camp chrétien d’une « chasse aux sorcières », provoquant par contre-coup, par le sentiment de sa victimisation, une cristallisation définitive du camp chrétien autour de leurs chefs déchus, préjudiciable à la cohabitation interconfessionnelle.
L’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, en février 2005, donnera lieu à un invraisemblable retournement d’alliance coalisant les anciens chefs de guerre antagonistes et leur bailleur de fonds : Walid Joumblatt, Samir Geagea, Amine Gemayel et Saad Hariri.
Si elle a débouché sur la libération de Samir Geagea à la faveur du vote d’une loi d’amnistie amnésiante, cette coalition hétéroclite et sans crédit constituera le point faible du dispositif occidental en vue de préserver le pouvoir libanais dans son giron.
Unique dirigeant libanais condamné pour assassinat, amnistié et non blanchi, Samir Geagea assume désormais une posture de nuisance pour le compte du camp occidental. Et de l’Arabie saoudite, son bienfaiteur. Le point d’achoppement de toutes les démarches politiques qui n’auraient pas l’aval de la dynastie wahhabite et de son protecteur américain.
Samir Geagea est l’unique rescapé de principaux protagonistes de l’affaire de Sabra-Chatila, dont le grand vainqueur moral pourrait être, a posteriori et paradoxalement, Soleimane Frangieh, le rescapé du massacre fondateur de son autorité.
Dans un pays transformé depuis longtemps en un gigantesque cimetière, Soleimane Frangieh, dont la famille a servi de banc d’essai à la boucherie de Sabra-Chatila, bridera ses instincts guerriers pour accorder le pardon des offenses, seul dirigeant libanais à avoir accompli ce geste de grandeur morale, renvoyant à sa vilénie le bourreau de sa propre famille.
Barricadé dans sa forteresse de Meerab, en plein cœur du réduit chrétien du Kesrouane (Mont-Liban), Samir Geagea, né en 1952, se trouve au crépuscule de sa vie. Circonstance aggravante : L’absence d’héritiers biologiques le fragilise en même temps qu’elle frappe de précarité la pérennisation de son projet politique, le mettant à la merci d‘un mauvais coup du sort.
L’homme a ainsi donc provisoirement échappé à la justice des hommes. Personnage funeste sans progéniture, sans remords, seul face à ses méfaits, seul face à ses fantômes, entravé de ses forfaits, tâches indélébiles, il pourrait difficilement se soustraire au châtiment de l’Histoire….
A n’en pas douter, l’œil sera dans la tombe et regardera Caïn.
- Sur l’équipée des milices chrétiennes durant la guerre du Liban : https://www.renenaba.com/chretiens-dorient-le-singulier-destin-des-chretiens-arabes-2/
- Sur les Maronites, cf, ce lien : https://www.renenaba.com/france-liban-a-propos-des-maronites/
- Sur la Guerre du Liban : https://www.madaniya.info/2015/04/13/liban-beyrouth-le-vietnam-d-israel/
- Sur l’équipée des milices chrétiennes durant la guerre du Liban : https://www.renenaba.com/chretiens-dorient-le-singulier-destin-des-chretiens-arabes-2/
- et sur les marchands d’armes de la Guerre du Liban : https://www.madaniya.info/2018/04/05/liban-memoires-de-guerre-1-3-les-racines-americaines-de-la-guerre-civile-au-liban-1975-2000/
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REUTERS/Mohamed Azakir