L’Arabie saoudite, 1er consommateur de drogue au Moyen Orient et dans le Monde arabe, 4ème consommateur au Monde
45 % du captagon saisi à travers le Monde entre 2015 et 2019 l’ont été en Arabie saoudite
L’Arabie saoudite, qui compte 32 millions d’habitants, constitue l’un des plus importants marchés de consommation de drogue au Monde. Mais le Royaume considère néanmoins que la drogue est un produit d’exportation de son proche environnement, rejetant ainsi la responsabilité des ravages de ce fléau sur les pays exportateurs et non sur les consommateurs saoudiens, encore moins sur la politique ultra répressive du pouvoir royal qui incite la population saoudienne à rechercher des paradis artificiels, pour échapper à leur sinistre quotidien de stupéfiante façon.
Telle est la substance d’un rapport publié par le journal libanais Al Akhbar en date du 26 juin 2023, dont la version arabe se trouve sur le lien pour le locuteur arabophone
L’hallali anti-Hezbollah
Embourbée au Yémen dans une guerre qu’elle a déclenchée contre le plus pauvre pays arabe, l’Arabie saoudite a jugé commode d’accabler le Hezbollah libanais, l’accusant d’être un grand producteur et un grand trafiquant de drogue, le grand corrupteur du Royaume et de l’addiction d’une fraction de sa population aux drogues dures.
Le procédé, classique, a été utilisé par les ennemis de la formation paramilitaire chiite libanaise, outrés de son prestige et de ses succès militaires. L’un des exemples les plus récents de cette charge n’est autre que le tir croisé opéré en février 2023, par les médias israéliens et français sur ce sujet.
Dans cette campagne de diabolisation, Yves Mamou y a joué un rôle précurseur. L’ancien journaliste du Monde s’est en effet lancé, dans un ouvrage à diffusion restreinte, dans une vaseuse démonstration sur le rôle néfaste du Hezbollah libanais, le comparant au Baron de la drogue latino-américain Pablo Escobar, omettant de mentionner que la triangulation de l’espace européen par la drogue est le fait de corporations sunnites et non chiites : le haschich marocain, la drogue albanaise et le coke sahélo-saharien.
- Cf ce lien sur cette affaire : https://www.renenaba.com/yves-mamou-et-le-phenomene-de-serendipite/
Dans sa guerre contre le Hezbollah, l’Arabie saoudite a été jusqu’à interdire l’exportation des fruits et légumes du Liban vers le Royaume au prétexte d’avoir déniché de la drogue dans des cargaisons frigorifiés d’oranges et de grenades, quand bien même ces cargaisons illicites avaient été découvertes par les forces de sécurité libanaises, ou que les cargaisons n’étaient pas de provenance libanaise.
Mais depuis la normalisation saoudo-iranienne et le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe, en mars 2023, à l’initiative de l’Arabie saoudite, l’accusation saoudienne désigne la Syrie et le Liban sans mentionner précisément l’identité des trafiquants. Ryad a même justifié partiellement la normalisation de ses relations avec Damas par le souci de la Syrie de collaborer avec le Royaume en vue de juguler ce fléau.
Certes, il est du devoir de chaque état de combattre la commercialisation de la drogue sur son territoire, mais ignorer les problèmes spécifiques inhérents à la consommation de la drogue par ses propres citoyens est contre-productif en ce qu’il constitue une source de complication supplémentaire dans l’éradication de ce phénomène, d’autant plus gravement qu’il occulte un aspect majeur du problème: la qualité des parrains du trafic, de même que leur rapport avec l’appareil sécuritaire de l’Etat saoudien .
Des panneaux publicitaires incitant à la délation des consommateurs de drogue
A Ryad et dans les grandes villes saoudiennes, l’affichage des placards publicitaires mettant en garde contre les dangers de la consommation de la drogue est intense. Des panneaux incitent à la délation des consommateurs, les avisant de l’existence de centres de désintoxication, de même que de la grille des sanctions contre les usagers, notamment la peine capitale contre les trafiquants. Cet affichage révèle, par contrecoup, l’ampleur du phénomène et ses ravages.
Des drones pour le transport de la drogue et les gros trafiquants épargnés, dont certains appartenant à la famille royale
La guerre contre la drogue aussi bien contre les trafiquants que contre les consommateurs présente un grand défaut en ce qu’elle épargne les gros trafiquants, dont certains appartiennent à la famille royale, qui compte 15.000 membres, selon les dernières statistiques.
Certains gros trafiquants n’hésitent pas à recourir à des drones pour le transfert de leur marchandise, comme ce fut le cas, en juin 2023, lors de la saisie d’une cargaison transportée par drone via Toubouk, au nord-ouest du Royaume.
Répression du menu fretin
La répression frappe principalement le menu fretin, les intermédiaires sans défense : Pakistanais, Indiens, Syriens, Yéménites, mais épargne les parrains saoudiens. Or il est de notoriété publique, qu’en l’absence d’un parrainage saoudien, aucune cargaison de drogue ne saurait arriver à bon port sur le territoire du royaume. En dépit de cet état de fait, aucun dignitaire saoudien n’a été arrêté encore moins interpellé. Il est vrai que Mohamad Ben Salmane, Prince héritier saoudien et Gouverneur de fait du Royaume, prend bien soin à ne pas fédérer ses opposants au sein de la famille royale et se garde ainsi d’ouvrir un nouveau front dans ce domaine.
Du financement des guerres par la drogue
Chaque guerre a sa dope: l’Opium au Vietnam et en Afghanistan, dans la décennie 1970-1980, Le crack commercialisé par le FBI au sein de la communauté noire de Los Angeles pour financer les «contras» en Amérique latine, particulièrement contre le régime sandiniste du Nicaragua, dans la décennie 1980 ; le captagon, enfin, pour les guerres de prédation économique du Monde arabe au XXI me siècle.
La drogue a été largement utilisée pour le financement d’activités illicites, y compris par des instances américaines, en dépit de la présence d’une redoutable «US Food and Drug Administration», tant sur le plan interne que sur le théâtre des opérations extérieures, tant pour neutraliser la montée en puissance de la communauté afro américaine, que pour financer la guerre du Vietnam.
Si la Guerre du Vietnam (1955-1975), la contre-révolution en Amérique latine, notamment la répression anti castriste, de même que la guerre anti soviétique d’Afghanistan (1980-1989) ont pu être largement financées par le trafic de drogue, l’irruption des islamistes sur la scène politique algérienne signera la première concrétisation du financement pétro monarchique de la contestation populaire de grande ampleur dans les pays arabes.
Le Liban, centre névralgique de fabrication du captagon
Dommage collatéral de la guerre de Syrie, ce conflit a fait du Liban un centre névralgique pour la fabrication du captagon et un des principaux points de passage de cette drogue vers les pays du Golfe, en raison de l’intérêt croissant des pétromonarchies pour cette substance considérée comme revigorante.
Au-delà de ces facultés énergisantes, le captagon dispose d’un pouvoir dissolvant de tous les antagonismes régionaux et ethnico-religieux de la zone. Chiites et Sunnites y collaborent de même que Syriens et Libanais en tant que producteurs et les pétromonarchiques en tant que consommateurs. Stupéfiante unité arabe en somme par les stupéfiants.
Une substance si convoitée que le consommateur paie un prix élevé le comprimé (entre 5 et 20 dollars) pour un prix dérisoire de fabrication (quelques centimes). Découverte en 1963, cette drogue classée par l’ONUDUC sous le groupe des stimulants de type amphétamine (ATS), avec une composition chimique à base de Fénétylline, le captagon est l’énergisant préféré des djihadistes, amis des Américains et des Saoudiens qui en font un grand usage pour la conquête de leur paradis terrestre.
A la faveur de la guerre de Syrie, le Liban s’est très vite propulsé au premier rang des producteurs et exportateurs de cette substance. Des ateliers clandestins se sont nichés dans la plaine de la Bekaa, dans la région frontalière syro-libanaise, alors que Beyrouth, via son port et son aéroport, était promu au rang de voie d’accès majeur à l’exportation du captagon vers les pays du Golfe, le plus grand marché de consommation de ce produit.
Avec des dénominations variées, Al Bahhar (le navigateur), Aboul Hilalyane (le père de l’entre parenthèse), Lekrys (nom dérivé d’une célèbre marque de voiture), sous des couleurs variées (rose, jaune, blanc) et de formes variées, le captagon est sans aucun doute le plus célèbre produit de consommation et de trafic de l’époque contemporaine auprès des «Seigneurs de la Guerre» de Syrie et de leurs souteneurs pétro monarchiques.
Quatre-vingt (80) millions de comprimés ont été saisis en 2014-2015. Ce chiffre impressionnant est infiniment moindre que la quantité ayant échappé à la vigilance des douanes et à la brigade de lutte contre les stupéfiants. Bien que plusieurs pontes du trafic soient tombés dans les mailles de la justice, la source n’en est pas pour autant tarie.
L’industrie du captagon dépasse les clivages ethnico religieux. Début 2012, au lancement des grandes offensives djihadistes en Syrie, culminant avec la bataille de Bab Amro, en février, plusieurs laboratoires de fabrication du captagon dans la Bekaa, opérant dans le périmètre des centres religieux, à proximité des mosquées, ont ainsi été neutralisés.
Le cas du Prince du Captagon
L’hallali anti-Hezbollah sera de courte durée. En 2015, ce fut au tour de l’Arabie saoudite d’être sur la sellette, avec l’implication du fils de l’ancien gouverneur de Médine, 2me haut lieu saint de l’Islam, dans un trafic de stupéfiants.
Le prince Abdel Mohsen Ben Walid Ben Abdel Aziz a été intercepté avec ses 4 complices à l’aéroport de Beyrouth, le 27 octobre 2015, alors qu’il s’apprêtait à embarquer à bord d’un avion royal saoudien 2 tonnes de captagon et une grosse quantité de cocaïne contenues dans 40 valises diplomatiques. Un an auparavant 15 millions de comprimés avaient été saisis au port de Beyrouth en avril 2014.
Le prince du Captagon, auguste personnage s’il en est, a été logé littéralement dans une « prison dorée » au sein de l’immeuble abritant les bureaux de la lutte contre les stupéfiants à Beyrouth, un commissariat au lieu-dit «Makhfar Hbeich». Une salle spacieuse lui a été spécialement aménagée, climatisée, équipée de télévision et d’un portable pour ses communications externes ; avec un garde prélevé sur les effectifs des gardiens pour tenir lieu d’office boy ; un abonnement à «Free Delivry» pour ses deux rations alimentaires quotidiennes en plus d’un deuxième abonnement quotidien à un service de blanchisserie (bien blanchisserie et non blanchiment) pour le nettoyage de ses vêtements. Un traitement royal pour un malfrat royal en application du principe de l’égalité des citoyens devant la loi.
La Saudi Connection : La Cour saoudienne entre narcotrafic et toxicomanie
La famille royaume saoudienne, enfant chéri des puissances occidentales et prescripteur rigide d’un dogme rigoriste de l’Islam, n’en défraie pas moins régulièrement la chronique pour son trafic, auquel elle participe activement. Les saisies répétitives de drogue en France en rapport avec la famille royale saoudienne ont donné lieu à un ouvrage d’un ancien fonctionnaire de police mentionnant ouvertement la Saudi Connection.
Ainsi, en 2010, 111 kg de cocaïne, d’une valeur de 25 millions d’euros ont été saisis dans un appartement de Neuilly Sur Seine (région parisienne) appartenant à une princesse saoudienne. Une ténébreuse affaire à l’origine de la comparution en justice du commissaire lyonnais Michel Neyret, en mai 2016.
Auparavant, en 1999, un vaste trafic de cocaïne entre la Colombie et l’Europe, via le Prince Nayef al Chaalane avait été démantelé. Le prince, qui n’est pas en ligne directe pour la succession au trône d’Arabie saoudite, était soupçonné d’avoir mis à disposition son avion privé pour transporter deux tonnes de cocaïne colombienne destinée au marché européen. L’affaire avait débuté le 6 juin 1999 avec la découverte de plus de 800 kg de cocaïne dans un pavillon de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis).
Au cours de l’enquête, les policiers français, puis américains, avaient découvert que le trafic avait des ramifications jusqu’en Arabie Saoudite. La drogue d’une valeur de 30 millions de dollars avait été acheminée en France en mai 1999 à bord de l’avion privé du prince, qui avait atterri au Bourget, près de Paris. Elle devait être distribuée en Espagne et en Italie.
Relation de causalité entre la politique ultra répressive saoudienne et la toxicomanie
Des experts internationaux dans le domaine de la toxicologie inclinent à penser qu’il existe une relation de causalité entre la politique ultra répressive menée par Mohamad Ben Salmane depuis son arrivée au pouvoir, en 2015, et la toxicomanie ambiante en Arabie saoudite, en ce qu’elle a accentué la consommation de la drogue au sein de la jeunesse du Royaume. Une demande amplifiée par la précarité financière et sociale d’une fraction de la population, de même que l’absence de substituts dérivatifs tel l’Alcool.
En 2020, le Centre National Américain pour les Renseignements Biotechnologiques estimait que de 7 à 8 pour cent de la population saoudienne faisait usage de stupéfiants, plaçant l’Arabie saoudite au 4ème rang mondial des consommateurs de drogue, après les États-Unis, le Mexique et la Thaïlande.
Selon ce centre, l’Arabie est ainsi le premier consommateur de drogue au Moyen Orient et dans le Monde arabe et le Royaume est considéré par les analystes occidentaux comme «la capitale de la drogue pour le Moyen Orient». 45 pour cent de la quantité de captagon produite à travers le monde entre 2015 et 2019 ont été saisies en Arabie saoudite.
L’Arabie saoudite annonce régulièrement des saisies de cargaisons de drogue, en provenance des pays limitrophes (Émirats Arabes Unis, Koweït, Sultanat d’Oman, Yémen, Irak, Jordanie).
La dernière campagne anti-drogue lancée en Arabie saoudite a été déclenchée à la suite d’un retentissant scandale qui a révélé l’ampleur des ravages de la drogue : En avril 2022, un habitant de la région d’Al Qatif, a incendié le domicile familial avec un bidon d’essence, en plein Iftar, le repas qui marque traditionnellement la rupture du jeûne quotidien du Ramadan, tuant 4 membres de sa famille. Al Qatif est une ville portuaire de la province orientale du Royaume, dans le golfe persique, à proximité de Bahreïn. L’homme était sous l’emprise de la méthamphétamine, une drogue puissante composée d’éphédrine et de pseudoéphédrine, qui agit sur le cerveau.
Nerf de la guerre de Syrie, le captagon, tel un effet boomerang, s’est révélé être un puissant facteur d’abrutissement des zombies criminogènes pétromonarchiques.
Pour aller plus loin sur ce thème :
- https://www.madaniya.info/2017/08/20/liban-le-captagon-le-nerf-de-la-guerre-de-syrie-un-puissant-facteur-dabrutissement-des-zombies-criminogenes-petro-monarchiques/
- https://www.madaniya.info/2017/08/25/liban-captagon-stimulant-djihad-revenus-de-leurs-parrains-2/
- https://www.renenaba.com/arabie-saoudite-decapitation-romeo-et-juliette-dans-sa-version-wahhabite/
Illustration
Les autorités saoudiennes ont saisi plus de 600 millions de comprimés de captagon au cours des dernières années. (Joseph Eid/AFP)